L’année dernière nous avons eu l’occasion de rencontre Ron Morelli, fondateur du label L.I.E.S et acteur majeur de la scène alternative new yorkaise. Un an plus tard, alors que New York, et Brooklyn plus précisément, sont de nouveaux au centre d’une explosion musicale mettant à l’honneur la House et la Techno, nous avons la chance ce rencontrer l’une des personnalités les plus importantes de ce nouveau mouvement ayant, avec d’autres, contribué à redorer le blason de Big Apple dans la culture club et undergound.

Cet homme n’est autre que Taimur Agha: co-fondateur de BLKMarket Membership célèbre pour leurs « warehouse parties » et leurs résidences à l’Output, Dj ayant joué aux quatre coins du monde et acheteur de vinyles pour le meilleur disquaire de New York situé dans le quartier de Dumbo, Halcyon. Un CV qui en dit déjà long sur la personnalité de ce passionné de musique qui en plus d’avoir répondu à nos questions, nous a fait l’honneur de réaliser le Phonocast 125 lors de sa dernière tournée européenne et son escale à Ibiza. Bonne écoute et bonne lecture.

La prochaine BLKMarket aura lieu le vendredi 25 Octobre dans un lieu tenu secret à Brooklyn avec comme invité d’honneur Dj Deep (notre interview ici). Plus d’informations sur l’Event Facebook.

 

Last year we had the chance to meet Ron Morelli, founder of the record label L.I.E.S et main player in the new york alternative music scene. One year later, whereas New York, and Brooklyn more precisely, are at the origin of a musical blast putting forward House and Techno Music, we had the opportunity to meet one on the most important character of this new movement which has restored New York’s image among the underground and club culture.

This man is Taimur Agha: the co-founder of BLKMarket Membership famous for its warehouse parties in Brooklyn and its residency at Output, a well respected Dj and also Techno and House buyer at Halcyon, the best records shop in New York, based in Dumbo. An long resumé which tell us a lot about this guy passionate about music and who, in addition to answering our questions, has realized the 125th Phonocast. He says few words about it: “Just got back from my Trip in Europe and this mix was made with alot of inspiration that I found during the end of my tour in Ibiza. This mix was inspired by the early morning afterhours in the hills where you could see the sun rising and people danced the morning away. Making this mix brought me back to those moments.” Good listening and good reading.

The next BLKMarket will take place on Friday October 25th in a secret location in Brooklyn and with the French artist Dj Deep (our interview here). More information on the Facebook Event.

 

Taimur Agha

Crédits photos: Rubens Ben @ Halcyon – Brooklyn, NY

– Taimur, tu es originaire d’Abu Dhabi, capitale des Emirats Arabes Unis. Comment as-tu commencé à t’intéresser à la musique électronique là-bas ?

On n’a pas vraiment de scène musicale là-bas. Tout ce qu’on peut entendre, à la radio ou en club est ce qui figure dans le Top 50. La première fois que j’ai entendu un morceau de musique électronique ça devait être chez des mecs plus âgés que moi, partis faire leurs études aux Etats-Unis. Ils revenaient voir leur famille pour les vacances et ramenaient à chaque  fois des cassettes (à l’époque) de Drum & Bass, de House, de trucs qui étaient vraiment connus aux Etats-Unis. Mais j’étais pas très sensible à la musique électronique en réalité. Moi ce que je préférais c’était le Heavy Metal, le Rock, le hard Rock…

– Tu es arrivé au début des années 2000 à New York, et c’est à partir de là que tout a changé pour toi ?

Oui, je suis arrivé en 1999 à New York. Je suis venu étudier le graphisme à la Pratt Institute. Ça changeait d’Abu Dhabi ! Tous les weekends je sortais dans les clubs de Manhattan, découvrais de nouveaux lieux et rencontrais de nouvelles personnes. C’est à ce moment-là que je me suis vraiment intéressé à la musique électronique. J’ai acheté mes premières platines, puis mes premiers vinyles, et depuis je ne me suis plus jamais arrêté.

Et c’était comment la scène club à cette époque ?

Plutôt cool ! Il y avait vraiment plein de clubs qui faisaient venir de très bons Djs : le Twilo, le Sound Factory, le Limelight et le Vinyl qui commençait à faire parler de lui.

Mais tu as commencé BLKMarket autour de 2006/2007. Qu’est-ce que tu as fait entre temps ?

J’étais graphiste dans une agence de publicité/com. J’ai été embauché à la sortie de l’université et j’y ai bossé pendant près de quatre ans. Et il y a eu un plan social et je savais que j’allais être viré. J’avais envie de faire autre chose donc ça tombait bien ! C’était un peu risqué quand même parce que je passais d’un statut de graphiste bien payé dans une agence réputée à celui d’artiste/ Dj qui allait devoir vivre de sa musique.

– Et c’est à ce moment-là que tu as rencontré Fahad et que vous avez monté BLKMarket ?

Oui je l’ai rencontré à cette période via des amis en commun. On avait les mêmes goûts musicaux et on trainait pas mal ensemble. Au bout d’un moment, on s’est dit : « Pourquoi ne pas organiser une soirée ? ». A cette époque à New York, plus rien ne se passait. Tous les clubs dont je te parlais ont fermé et une grande période de vide s’est installée. Tout se passait dans des petits bars et il n’y avait plus de lieux phares pour la musique que l’on voulait mettre en avant.

Les seules fêtes cools à l’époque c’étaient les Robot parties organisées par Bill Patrick, Nick AC et Dennis Rodgers et toute une bande de potes. C’était le seul rendez-vous Techno qui ramenait les artistes intéressants de cette scène à l’époque comme Anthony Rother, Magda, Sven Vath,…

Halcyon records shop New York

C’était quoi le mot d’ordre de BLKMarket quand vous l’avez créé ?

Au départ c’était pour qu’on puisse jouer ! On n’avait du mal à trouver des dates avec Fahad, alors on s’est dit qu’on allait créer nos propres soirées comme ça, ça nous faciliterait la tâche. Sinon, et c’est surtout ça le plus important, on voulait organiser un rendez-vous où des personnes qui aimaient la même musique que nous puissent venir écouter les artistes du moment.

C’était la première étape ça. La soirée avait lieu tous les mois. Pendant trois semaines on passait notre temps à recouvrir la ville de posters et à déposer des flyers dans n’importe quel endroit. C’était vraiment différent d’aujourd’hui ! Maintenant tu envois un mail et tu fais un Event Facebook et c’est réglé globalement.

– C’était dur de partir de rien et de se lancer dans l’aventure BLKMarket ?

Oui totalement ! Le pire c’était quand on envoyait des mails à des bookers : soit ils ne nous répondaient pas, soit ils se moquaient de nous. C’était très dur même si à l’époque il n’y avait pas de concurrence comme maintenant. A nos toutes premières soirées on avait entre 30 et 50 personnes qui venaient. La première où il y a eu 100 personnes on était tellement heureux ! Je m’en rappelle, on faisait venir Alex Under pour la première fois à New York.

– Qu’est-ce qui vous a poussé à continuer alors ?

Juste parce ça nous plaisait ! Et aussi parce qu’on créait une vraie interaction avec les artistes : on n’avait pas d’argent alors les Djs logeaient chez nous et généralement restaient trois ou quatre jours. Pour certains, c’était la première fois qu’ils venaient à New York, donc on leur faisait même visiter la ville. Ça crée des liens, de la proximité avec les artistes et c’est ce qui donne aussi une bonne image d’une scène musicale locale. C’était très important pour moi et je pense que c’est une des raisons qui a fait qu’on est encore là aujourd’hui.

Toute à l’heure tu disais qu’à l’époque « il n’y avait pas de concurrence comme maintenant ». Qu’entends-tu par là ?

En gros que c’était beaucoup plus dur d’organiser des évènements. Giuliani (ancien maire de New York ndlr) a vraiment remis de l’ordre dans la ville. Si tu voulais faire une soirée ou organiser un événement « dansant », il fallait que le lieu où tu faisais ça ait une « licence de cabaret ». Si tu n’avais pas cette licence, que les gens dansaient dans ton bar ou club et que la police arrivait, il pouvait te mettre une amende ou même tout faire fermer. C’est pour ça que dans certains bars à New York ils ont gardé la pancarte « Dancing is not allowed » sur le dancefloor en clin d’œil à cette période. Le reportage Real Scene New York  de Resident Advisor explique bien tout ça.

– Le public était en quelque sorte frustré… 

Oui bien sûr. Tu imagines tu veux sortir, t’amuser avec tes amis et on te dit « Désolé tu n’as pas le droit de danser ! ». Les choses ont changé maintenant. Il y a plein de soirées et d’évènements qui s’organisent à New York, il y a même de nouveaux lieux qui ouvrent comme l’Output. Les choses ont tendance à revenir à ce qui se passait dans cette grande ville durant les années 90.

– Et tu penses qu’il y a un revers de la médaille ?

Oui mais qui ne touche pas directement notre scène à nous, beaucoup plus alternatives. Ce côté pervers c’est l’explosion de l’EDM ultra commerciale que beaucoup mettent en avant pour s’en mettre plein les poches. Mais bon, je pense que cette « période EDM » ne va pas durer si longtemps que ça et que seule la scène undergound perdurera.

Halcyon records shop New York

– En parlant de cette scène undergound, aujourd’hui elle est très liée à Brooklyn. Tu penses que Brooklyn est représentatif de ce qui se passe au niveau de la musique électronique aujourd’hui ?

Oui ce qui se passe à Brooklyn en ce moment est vraiment intéressant. Tu peux faire plein de choses musicalement parlant et en terme d’évènements. La scène club et undergound s’est déplacée de Manhattan à Brooklyn pour les raisons qu’on évoquait toute à l’heure. Ça a aidé et ça aide aussi énormément les artistes locaux parce qu’ils ont enfin des lieux ou des évènements où ils peuvent jouer devant un public réceptif et qui vient pour écouter de la bonne musique.

De plus en plus d’artistes viennent s’installer ici et de nouveaux labels se créent. On vit un peu ce qu’il s’est passé à Berlin et à Londres au moment de l’explosion de cette scène underground électronique. Mais la différence avec New York, c’est ici, tous les gens se mélangent parce que c’est une ville cosmopolite. Les mecs de la Techno, de la House, du Dubstep,..Tout le monde se connaît, essaye de bosser ensemble et de créer ainsi une véritable scène locale. Aujourd’hui New York est devenue incontournable en terme de musiques électroniques aux Etats-Unis. C’est vraiment la ville où il faut jouer en ce moment.

– La force de la scène new yorkaise ça serait donc la solidarité qui existe entre ses différents acteurs malgré le fait que cette ville soit si grande ?

Oui tout à fait. Quand cette scène a commencé à se développer il n’y avait pas beaucoup de monde. Personne ne faisait ses trucs dans son coin, on s’entraidait tous. Avec le temps, les choses ont pris de l’ampleur mais dans le fond ça reste le même. C’est comme une grande famille mais qui grandit de plus en plus et j’espère que ça ne va pas s’arrêter.

– Du coup tout ça, ça doit être aussi intéressant pour toi à Halcyon

Oui bien sûr. Le fait de travailler chez Halcyon m’aide énormément et de deux manières je dirai: d’abord parce que ça me permet d’entretenir beaucoup de relations avec des labels et des artistes comme je vends directement leurs vinyles. Ensuite, parce que je découvre plein de nouveaux artistes, et pas qu’en Techno ou en House, quand je fais mes commandes pour le magasin. Ça va dans les deux sens tu vois, et ça me met au courant de tout ce qu’il se passe au niveau musical. C’est la raison pour laquelle avec BLKMarket on a fait les premières dates de nombreux Djs. Et j’utilise aussi le shop comme un lieu d’échange et de rencontre : chaque semaine j’ai une émission de radio qui a lieu ici et qui s’appelle The Bandwagon. Lorsqu’un Dj est en ville pour plusieurs jours je lui demande s’il veut passer et faire l’émission. J’ai eu beaucoup de monde au final : Craig Richards, Margaret Dygas, DJ Q, Joey Anderson, Jus Ed,… Du coup le shop prend une toute autre dimension.

– L’année dernière on interviewait Ron Morelli qui au final a un peu le même profil que toi : il tient un shop, il est Dj, il a son label,… Tu penses que c’est essentiel à New York de faire plusieurs choses à la fois ?

New York est vraiment une ville difficile parce que ça coûte très cher. Je fais trois boulots à la fois, par passion et aussi parce que ça me permet de faire plein de choses et de rencontrer beaucoup de gens, mais surtout parce qu’il faut vivre !! C’est fatigant sur le long terme. Pour ce qui est de notre situation à Ron et à moi, on est plutôt chanceux. Parce que les meilleurs Dj que j’ai jamais entendu, bossaient dans des disquaires (rires) !

Halcyon records shop New York

– Si tu devais choisir une seule activité ça serait quoi ?

Ah c’est dur ! Je pense que je choisirai de bosser à Halcyon. J’adore acheter des vinyles en fait et si je devais m’arrêter ça me briserait le cœur…

– J’ai entendu dire que tu vous travaillez sur un label BLKMarket avec Fahad… ?

Oui on est en train de développer ça. Ça sera un label « vinyl only ». Sinon en parallèle, on travaille avec notre ami Shadi Megallah sur un autre projet musical qui s’appelle The Three Wisemen. On a déjà une dizaine de tracks que l’on va sortir d’ici la fin de l’année sur Ark To Ashes, le label de Shadi.

– Tu as déjà des artistes en tête que tu aimerais signer ?

Oui mais je ne peux pas encore te dire ça parce qu’on veut garder secret le nom des artistes que l’on va sortir ! Mais j’aimerais aussi créer une partie « re-issue » et ressortir de vieux morceaux. Mais y a plein de choses en cours, je ne peux pas t’en dire plus pour le moment.

– Tu peux au moins me dire ce que ton expérience d’ « acheteur de vinyles » pour Halcyon t’empêchera de faire comme erreurs ou bêtises avec ton label ?

Je vais sans doute faire des erreurs, mais je ne le sais pas encore. En tout cas, travailler ici, aux côtés de Shawn qui lui aussi gère Scissor and Thread, ça m’a permis d’en savoir beaucoup sur le fonctionnement d’un label. Je me débrouille sur les questions de mastering, de pressage du vinyle, de distribution,…

– Avec ce label, BLKMarket va maintenant occuper tous les terrains de la musique électronique. Tu penses qu’aujourd’hui c’est nécessaire dans la musique de devoir faire une sorte de « branding » autour de ce que les labels ou les promoteurs développent ?

Je ne pense pas que ce soit nécessaire mais si tu veux atteindre un certain stade, oui, peut-être.

– BLKMarket a eu sept ans cette année. Tu l’imagines comment dans sept autres années ?

Je ne sais pas trop j’espère qu’on sera encore là surtout, l’important c’est de rester dans la course. J’espère surtout qu’il y aura de belles rencontres, de bons Djs et de beaux évènements…

– En parlant d’événement, en organiser à Abu Dhabi est-ce que c’est quelque chose que tu aimerais faire ? Tu penses que cette culture undergound et électronique est exportable au Moyen-Orient ?

Oui totalement. En ce moment il se passe pas mal de choses musicalement là-bas. Pas à Abu Dhabi mais plus à Dubaï: beaucoup de Djs européens assez « underground » sont bookés pour jouer dans des nouveaux clubs ; les expats ramènent pas mal de trucs et surtout un sens assez intéressant de la fête. Après ça dépend des pays : au Liban ça se développe pas mal aussi, dans certains pays du Maghreb également, en Israël… Mais après tu sais, plus le gouvernement est radical, et plus c’est difficile. Mais peut-être que ça changera avec le temps, on verra.

– En tant qu’acheteur de vinyles invétéré tu as quoi dans tes bacs à nous conseiller ?

Attends voir… le dernier Omar-S sorti sur FXHE Records au Printemps dernier ; le dernier Fred P sur le label d’un bon ami à moi, The Corner ; le nouveau Anthony Parasole  et tous les trucs qui viennent des labels locaux comme White MaterialMistress Recordings le label House de DVS1 (notre interview ici), Inimeg Records le label de Joey Anderson. Il y a aussi les sorties de Basement Floor Records, Strength Music Recordings , NIL Records le label de Lou Velasco & George Chavez ou encore Strobelight Network créé par mon ami Amaury Arias.

– Et le pire vinyle que tu as dans tes bacs ?

Je suis tombé sur un Deadmau5 l’autre jour je ne sais pas comment il est arrivé ici, ce n’est pas moi qui l’ai commandé ! Et ce qui marrant c’est qu’il était par terre, derrière des gardons et à côté y avait une souris morte. On a donc trouvé deux “dead mices” (rires) !

Taimur Agha

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