Lorsque l’on écoute  A Series Of Shocks “C’est l’élégance simple qui nous charme” (Ovide, Conseils aux femmes). Il y a peu d’éléments mais tout s’agence si bien que les quelques sons qui se juxtaposent, forment un tout parfaitement cohérent. Il est difficile de résumer la carrière de Tobias en quelques mots tant le nombre de projets collaboratifs auxquels il a participé sont conséquents et que les alias qu’il a utilisé le sont aussi. Parmi eux on citera surtout NSI avec son compagnon de studio Max Loderbauer, Sieg Uber Die Sonne aux côtés de Dandy Jack ou encore Odd Machine avec l’incroyable Atom™ et Ricardo Villalobos. Fin Mars, l’artiste originaire de Francfort sortait son second long format qui synthétise à merveille sa maitrise de la simplicité et sa capacité à construire quelque chose de complexe à partir d’éléments faussement basiques. La prouesse de l’album passe notamment dans le fait que ce disque se prête à une écoute domestique mais prend une toute autre signification sur un système son digne de ce nom. Dans le cadre de cette remarquable sortie nous lui avons posé quelques questions.

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– Bonjour, peux-tu te présenter ?

Bonjour, je m’appelle Tobias Freund, je suis ingénieur du son et musicien. Je travaille dans l’industrie musicale depuis 1980, année où j’ai acheté mon Korg MS20. J’étais ingénieur du son avant de gagner ma vie uniquement comme musicien. J’ai commencé à travailler dans un studio il y a 30 ans, ça a duré 18 ans. En 2003, j’ai déménagé à Berlin afin de travailler sur mes propres projets.

– Quand tu as commencé à travailler dans un studio, sur quel genre de musique travaillais-tu ?

Il n’y avait pas de techno à cette époque, ça allait être inventé. A ce moment, je m’intéressais déjà beaucoup aux musiques électroniques. En fait, je voulais apprendre à jouer d’un instrument et mon frère avait appris à jouer de la guitare, seulement, c’était trop compliqué pour moi. Je n’arrivais pas à synchroniser mes deux mains et ça me blessait les doigts. J’ai trouvé ce synthétiseur et il jouait presque de lui même. Tu jouais une note et la machine continuait de jouer donc je pouvais tourner les boutons en même temps. J’étais comme un enfant se demandant ce qu’il pouvait arriver. Ça me fascinait beaucoup.

– Quel était le déclic qui t’a poussé à faire de la musique à côté de ton travail d’ingénieur du son ?

J’ai acheté ce MS20 lorsque j’étais encore à l’école. C’était avant que je ne commence à travailler. J’étais intéressé par le son, la technologie et ces instruments-machines afin de comprendre ce qui pouvait en sortir. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler en studio. Avant, j’étais juste intéressé par la musique.

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– Lors de ton premier projet tu n’étais pas seul, comment cela a-t-il pris forme ?

C’était avec Lars Müller dans le cadre d’un projet appelé Vo Ese mais c’était un projet scolaire, pas quelque chose pour faire carrière ou pour être célèbre. Je n’ai jamais eu cette approche de devenir une star ou quoique ce soit s’en approchant. Je préfère plutôt essayer de développer la musique.

– Lorsque l’on écoute ton album, le son est parfaitement maitrisé. Chaque élément est à sa place. Comment ton travail d’ingénieur du son t’a-t-il aidé à maitriser tes outils et le développement de tes compétences  ?

Je n’ai jamais étudié la musique, je ne sais pas lire les partitions et je ne sais pas jouer au piano. Je sais seulement écouter les fréquences et je compose avec. Grâce à ma carrière d’ingénieur du son, je sais quelles fréquences sont de trop et quelles sont celles qui manquent. Je compose de cette manière là. J’ai une image du morceau et j’imagine ce qui pourrait correspondre ici où là mais pas d’une manière harmonique. Je le fais uniquement grâce aux fréquences, donc oui ça m’a énormément aidé d’intégrer ces compétences à ma musique.

– N’as-tu jamais été prisonnier de ta propre connaissance ?

Non jamais, je connais mes instruments et je sais comment ils fonctionnent donc je n’ai aucun problème pour composer seulement avec des fréquences. Si je travaille avec quelqu’un, parfois la personne me donne des fichiers. La plupart du temps, ils proviennent d’Ableton et sont dans un sale état. J’aime beaucoup ce logiciel mais la plupart des gens ne savent pas l’utiliser pour enregistrer et le travail de fréquences qui en ressort est très mauvais et je dois l’améliorer. Je dois également apprendre aux gens comment l’utiliser d’une meilleure manière, spécialement lorsqu’il s’agit de traiter des vocales. Parfois j’ai des enregistrements qui ont été tellement mal faits que je ne peux pas les améliorer – je ne peux que limiter la casse. Quand un enregistrement est fait, il est fait.

– Tu as produit pour énormément de gens, quels sont tes principaux défis lorsque tu travailles pour d’autres personnes ? Tu les aides à maîtriser leurs outils mais après, comment les aides-tu as atteindre leurs objectifs ?

Je travaille seulement avec mes amis, comme ça je peux partager avec eux certains secrets. Tu dois appliquer certaines règles à l’enregistrement si tu veux le rendre meilleur par la suite. Si le travail de base est intéressant, je peux faire quelque chose d’intéressant à partir de ça, sinon je dois leur expliquer comment l’améliorer pour la prochaine fois.

– Est-ce que ceux sont les mêmes amis que l’on peut écouter sur ton label Non Standard Productions ?

Non, Non Standard Productions est destiné à l’expérimentation, je ne veux pas produire avec des personnes que je ne connais pas vraiment. Tous les projets sur le label sont soit avec mon ami Max Loderbauer, soit avec d’autres amis, soit mes propres projets. Je n’accepte pas les productions de personnes que je ne connais pas.

La seule personne avec qui j’aime travailler, c’est Margaret Dygas. J’ai produit des choses pour elle et  j’admire vraiment la façon dont elle produit sa musique. J’ai envie de faire partie de ça et de lui apporter quelques inputs.  La façon dont elle fait de la musique est vraiment spéciale pour moi. C’est fait d’une « Non Standard  Way ».

– Tu as commencé ton label en 2006 mais tu avais déjà une grosse discographie auparavant sous le pseudonyme Pink Ellen. Comment as-tu choisi de développer ta propre structure après tout ce temps ?

Le truc, c’est que je suis venu à Berlin en 2003 et j’ai quitté beaucoup de choses à Francfort, ma ville d’origine. Je voulais commencer quelque chose de nouveau, je ne sortais plus rien sous mon pseudonyme Pink Ellen. J’ai commencé à sortir des choses sous mon vrai nom. A ce moment là, on m’avait demandé de faire un autre disque sous cet alias mais pour un label mais la direction de celui-ci n’a pas aimé mon disque. J’ai décidé de ne plus être dépendant de ça.

Je suis dans cette industrie depuis un moment mais lorsque tu commences un projet avec un nouveau nom, tu recommences à zéro. C’était un défi. Je n’avais pas envie que l’on me parle de Sieg Uber Die Sonne ou Pink Ellen. J’avais envie de quelque chose de frais, plus orienté vers les clubs. Je tournais beaucoup donc j’avais beaucoup d’inputs et beaucoup d’influences que je voulais mettre à profit. J’ai pensé qu’il était bon également de mettre en avant une approche expérimentale car je voulais développer ma propre structure avec ma propre direction artistique. C’est comme ça que mon label est né mais la musique avec laquelle je gagne de l’argent est celle que je sors sur les autres labels, et c’est également celle qui me rapporte des évènements comme mes sorties avec le label Ostgut Ton.

– Pourquoi avoir choisi de sortir de la musique sous ton propre nom après tout ce temps ? Ca n’a pas la même signification en terme d’engagement.

Pink Ellen est un surnom que j’avais à l’école, depuis que j’avais mon MS20, c’est un surnom amusant. Après l’école, tu n’es pas encore mature et tu te choisis un nom stupide. J’avais envie de m’en débarrasser. J’avais grandi et ce temps était révolu, je ne voulais pas choisir un énième alias j’ai donc pensé qu’il pourrait être judicieux de sortir des disques sous mon propre nom.

– Avant 2006, tu avais un projet collaboratif qui s’appelait Sig uber Die Sonne qui a était un élément important dans ta carrière. Maintenant les gens te connaissent pour ton propre projet : comment as tu fais la transition de tes collaborations à ton travail solo ?

Ce projet était une collaboration avec mon ami Dandy Jack et lorsque j’ai bougé à Berlin, on a terminé notre dernier album. Le quatrième disque. Cet album était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai déménagé à Berlin. Lorsque je suis venu, il a déménagé à Genève car il était tombé amoureux de Sonja Moonear. On ne s’est jamais séparé. Il a vécu chez moi pendant longtemps et l’on a produit beaucoup de musique. On ne faisait jamais rien séparément. Lorsqu’il y a eu ce problème de distance, on a du se concentrer sur nos propre projets. Je n’étais pas là, il n’était pas là, on ne pouvait rien faire séparément et je devais gagner de l’argent. J’ai décidé de me concentrer sur moi même.

– Avant de commencer Tobias, tu avais fait de nombreux LP. Comment as-tu approché ton premier long format « Leaning over backward » ?

J’avais fait Street Knowledge auparavant et également des choses avec Atoms (Uwe Schmidt), mais c’était toujours des maxis, donc un format destiné aux DJ’s, « Leaning Over Backward ». Il semblait intéressant de proposer quelque chose qui soit à écouter dans un salon et qui puisse par la suite être écouté en club. Je ne voulais pas faire seulement quelques tracks club à compiler dans un album. Pour moi un album c’est quelque chose qui doit être écouté en entier. Je pense que c’était le bon moment pour moi. Je suis rentré dans l’agence de booking Ostgut Ton et ils m’ont donné l’opportunité de faire un album. J’ai donc pensé que c’était une bonne idée.

Puis j’avais déjà commencé à composé dans ma tête. Ça peut paraître stupide mais j’ai commencé à faire l’artwork avant la musique. C’était le même processus. J’ai commencé avec quelque chose de très visuel, j’ai peint dans ma tête avant et pendant que je faisait la musique. C’était un processus global.

– Quel était le message du précédent long format ?

J’avais une image très forte dans ma tête avant. J’aime également beaucoup jouer avec les mots. Un de mes groupes favoris est ce groupe de punk « Wire » des 80’s et dans mon disque favori de leur groupe, il y a une phrase qui dit « leaning over backward. ». J’avais envie de leur rendre un hommage. J’admire énormément leur travail et j’aimais les paroles. Ce titre signifie « bending over » : faire beaucoup d’efforts pour faire quelque chose. Je ne m’étendrais pas sur le sujet mais il y avait de grands changements dans ma vie à cette époque. C’était un disque qui avait beaucoup de sens pour moi.

– Dans quelles circonstances A Series Of Shocks a été produit ?

Le truc avec cet album, c’est qu’avant de le faire je voulais déjà faire quelque chose de puissant et clubby mais très simple. Le moins d’éléments possible, le mieux ce serait. Je voulais juste un kick une bassline et quelque chose en plus, « That’s it » ! Trois éléments pour un morceau ça devrait bien être assez. Comme toujours j’ai écouté de la musique, j’ai entendu des paroles et dans ce cas là c’était David Bowie qui chantait « A Series Of Shocks ». Je jouais dans ma tête avec le concept de l’album et j’entendais cette voix chanter. J’ai choisi le nom automatiquement, j’avais la photo puis j’ai commencé à travailler sur les tracks.

– Ce n’est pas si simple de réduire la musique à sa base.

Non, le terme simple signifie uniquement « moins d’éléments », c’est très dur de ne pas surproduire quelque chose. C’est dur d’enlever des éléments et de rajouter des émotions dans un morceau. Ce n’est pas simple du tout.

– Ton album est orienté club mais ce n’est pas si simple, il y a quelque chose en plus dans ces structures complexes faites à bases de combinaisons très simples.

C’est parce  que j’utilise des instruments aux sons très chauds. J’utilise ma 808, j’utilise ma table analogique et beaucoup d’autres choses qui rendent ma musique assez deep et complexe d’une certaine manière. Si tu ajoutes seulement une reverb et qu’elle dispose de l’espace nécessaire pour s’exprimer, ça devient beaucoup plus profond même si ce procédé est simplement appliqué à  un kick.

– Vas-tu défendre ton album live ? Comptes-tu transposer ton travail de studio au club?

Je penses que ce sont deux parties différentes de mon travail. L’album se suffit à lui même et il n’y aucun besoin de le transposer au live. Dans mon live, on reconnaît certains morceaux mais ça reste totalement différent. J’ai envie d’improviser lorsque je joue live. Je ne sais jamais vraiment ce que je joue, si je joue un morceau, si je joue la basse d’un autre morceau. Je veux avoir une liberté totale. Ça ne m’intéresse pas de reproduire le travail que j’effectue dans mon studio. Sur scène, il s’agit d’une interprétation de ma musique.

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– Dans quelle mesure as-tu des libertés dans ton live ?

Je  viens juste de construire mon setup pour mes lives . J’utilise un Roland Mc202, c’est un très vieux séquenceur/synthétiseur. La plupart des morceaux ont été composé avec ce sequencer mais tu ne peux pas l’utiliser en live car il n’a qu’une seule séquence. J’ai donc effectué une transformation qui fait que je puisse jouer les inputs que je joue avec mon Ableton Push ce qui me permet de jouer en temps réel sur mon Mc202. J’ai combiné ça avec ma 808 et Ableton Live. C’est complètement ouvert. J’ai les percussions de ma boite à rythme que je programme lors du live et je joue sur mon séquenceur également. Tu peux juste jouer et enregistrer quelque chose rapidement. C’est un challenge pour moi car je veux vraiment éviter d’avoir le même live set chaque weekend – ça serait tellement ennuyeux. Je veux vraiment conserver cet état de nervosité avant de jouer avec toutes les questions que ça entraine. « Comment est-ce que je commence ? Comment est-ce que je finis ? » ou encore « Comment les gens vont réagir »,  je suis nerveux et concentré et c’est comme ça que ça doit se passer selon moi.

– Comment composes-tu avec les limites de tes machines à l’instar de ton séquenceur ? Comment les appréhendes-tu ?

En fait, j’aime les limites car elles me permettent d’être plus créatif. Je ne pense pas qu’il soit bon d’avoir beaucoup de possibilités. J’ai des tonnes de banques de sons mais j’utilise toujours les mêmes, j’utilise ma 808. J’ai des millions de samples mais je préfère plutôt prendre un même son et le faire passer dans un effet ce qui me rend plus créatif que d’utiliser quelque chose de joli déjà bien produit par quelqu’un d’autre. J’aurai le sentiment de tricher si je prenais quelque chose de déjà programmé. Lorsque je travaille pour moi,  je préfère commencer de zero.

– Tu ne samples jamais ?

Bien sur que je sample mais plus lorsque je découvre quelque chose que je vais passer dans mon sampler par la suite. Il y a des millions de banques de samples pour ci ou pour ça. Beaucoup de gens les utilisent pour produire quelque chose à partir de ces éléments et les présentent comme leurs propres morceaux. La composition est bien la leur mais le son est juste un preset.

– Mais dans le cas d’une culture comme le Hip Hop, le sample est un élément créatif.

Oui et c’est une culture géniale mais ils samplent des choses à partir de disques. Juste une ligne de basses ou trois notes. C’est une véritable chasse, tu dois chercher quelque chose. Tu dois trouver ton disque et le bon sample. J’admire ça énormément mais si tu choisis un son pré-produit avec de bons niveaux et de jolies fréquences, je trouve ça moins attirant. Je ne suis pas contre le sampling c’est juste que je me sens plus à l’aise de faire quelque chose par moi-même.

– Il semble que tu donnes énormément d’importance à l’expérimentation dans ton travail et à l’improvisation durant tes lives. Dans le club il n’y a pas vraiment de gens qui expérimentent de nos jours.  Dans quelle mesure l’expérimentation a-t-elle sa place dans le club ?

Je suis d’accord sur ce premier point. Du moment que les gens apprécient ce que tu fais, tu peux les emmener où tu veux. Les gens en clubs sont là pour danser, pour vivre quelque chose qui les rend joyeux et qui les fasse « suer ». Quelque chose qui ait un impact sur leurs corps. Tu dois toujours garder ces règles en tête mais à part ça, tu es libre de faire beaucoup de choses. Tu peux surprendre les gens rien qu’en faisant un super beat avec ta boite à rythmes et juste au dessus intégrer quelque chose de complétement expérimental. Tant qu’il y a un bon beat et que c’est groovy, tant que les gens dansent, tu peux faire ce que tu veux au dessus.

– Dans une interview, Monolake avait dit que ça pourrait être intéressant qu’un jour les gens puissent écouter de la musique électronique assis. Au regard de ton travail avec Max Loderbauer, que penses-tu de cet aspect de l’expérimentation ?

Le projet de Max avec Tom Thiel Sun Electric était considéré comme l’invention de la musique Chill Out. Durant les prémisses de cette culture, il y avait toujours une salle Chill Out pour que les gens puissent se détendre, fumer un joint ou s’allonger pour une sieste. C’est toujours quelque chose sur lequel j’ai eu envie de travailler avec Max. J’aime les deux approches de cette musique : le côté pumpin des clubs mais également la partie complétement Ambient sans aucun kick drum. C’est une musique sur laquelle tu n’as pas à bouger ton corps mais seulement fermer les yeux et apprécier. C’est essentiel d’avoir ça dans un club, j’aimerais vraiment développer cette approche la.

– Vous avez travaillé sur ce fameux projet avec un ballet et il n’y a pas forcément besoin de kick drum pour que les danseurs puissent s’exprimer. Serais-tu intéressé de travailler sur des projets comme ça ?

On a fait le premier projet qui s’appelait Shut Up and Dance. On a composé un morceau qui a été interprété par le stadtballet. C’était incroyable. La musique n’avait pas de structure, ce n’était pas du 4/4 c’était complètement libre. Tu ne pouvais pas compter les mesures. D’une certaine manière les danseurs interprétaient ce qui allait arriver.  Ils construisent une chorégraphie là dessus. C’est merveilleux de voir des gens s’immerger si profondément dans ta musique à un point que tu ne puisses pas atteindre toi même. On a également travaillé avec la chorégraphe du ballet. On a répété l’expérience à plusieurs reprises après coup.

– Vous avez d’abord travaillé avec Max en studio puis vous avez proposé le travail au ballet ?

La ligne directrice c’était « fais un morceau pour un ballet peu importe ce qu’il en ressort », ton idée du ballet. On a fait quelque chose et un an plus tard Xenia, la chorégraphe est venue nous voir et nous a dit « on travaille sur votre morceau. Est-il possible de le raccourcir un petit peu ? ». On a juste fait un fade out à la fin mais c’est la seule interaction qu’on a eu avec le ballet. Elle a construit une chorégraphie sur le morceau mais nous ne l’avons vu que lors de la représentation. On a rien changé et c’était incroyable. C’est comme d’écouter ton morceau et de rouler en voiture et de voir le mouvement constant du paysage, tu perçois ton travail comme une vidéo. Lorsque quatre personnes dansent sur ton morceau c’est très très agréable. J’en avais la chaire de poule.

– Tu n’as jamais pensé à t’intéresser au cinéma ?

J’ai essayé mais c’est un marché compliqué à pénétrer. J’aimerais beaucoup en faire car j’adore la musique de films mais il y a énormément d’argent sur ce marché et donc la concurrence est rude. Je n’aime pas trop ça.

– Dans quelle mesure acceptes tu de concéder un peu de ta liberté pour t’adapter à un projet ? Lorsque tu produis pour quelqu’un tu dois probablement faire des compromis sur quelques aspects de la création ? Dans quelle mesure les acceptes-tu ?

Lorsque je fais un album pour Ellen Allien, c’est un défi pour moi qu’il corresponde à la personne. Je n’ai pas envie de mettre ma marque dessus. Bien sûr qu’elle est présente mais je veux que ça sonne comme si elle l’avait fait même si ce n’est pas le cas. J’ai envie que ça sonne de manière primitive, d’une certaine manière, comme si l’on retrouvait l’énergie créative d’un enfant. C’est un défi pour moi de ne pas trop me mettre en avant et de proposer quelque chose qui rendent les gens pour qui je travaille heureux. Je pense que je  me débrouille pas trop mal à ce jeu là.

J’ai récemment fait une production pour un artiste anglais, il m’a juste donné quelques éléments d’un morceau et j’avais une liberté totale. J’ai fait quelque chose dont il était vraiment heureux. J’ai également cet autre aspect de la production ou je suis plus libre.

– Lorsque tu produis pour ces gens là, sont-ils présents avec toi dans ton studio ? 

Ca dépend. Ellen n’était pas là souvent. Cormac était là tous le temps mais il lisait un livre assis et parfois il venait et me disais « très bien ». Il était toujours là, il était partie prenante du processus et je l’ai toujours senti mais je ne lui en ai jamais trop demandé : « est-ce que ce kick  bon ?», « est-ce que cela sonne comme tu veux ? » : j’ai juste fait mes trucs et c’était un procédé très naturel.  J’aime lorsque les choses se déroulent de cette manière là.

– Lorsque tu produis pour quelqu’un ça revêt la forme d’un partenariat passif dans lequel tu as le leadership et tu tiens aux quelques lignes directrice qu’on te fournit. Lors d’un partenariat actif comme avec Max, comment est-ce que vous fonctionnez ?

Max a son studio collé au mien, il travaille principalement avec des instruments modulaires. J’ai un long cable midi qui relie son studio au mien. J’ai le master, je mets le cable dans mon mixer et je lui dis start. Je fais quelque chose avec ma boite rythme, il fait quelque chose de son côté  et on assemble.  Nous sommes très relax, on a une certaine idée de ce que l’on veut explorer en profondeur ou des nouveaux patchs que l’on veut tester. On ne s’impose pas de produire des morceaux, c’est plus tourné vers l’expérimentation.  On est heureux d’entendre des choses nouvelles  et d’essayer des choses qu’on n’a jamais entendu. C’est super cool.

– A t-il participé à « A series of Shocks » ?

Oui, d’habitude il est dans son studio plus tôt que moi et lorsque j’arrive et qu’il fait quelque chose avec ses machines modulaires parfois je me dis « Hum… ça devrait parfaitement correspondre avec mon morceau , ne touche à rien. J’enregistre.». C’est également un très bon pianiste, il sait lire les partitions et il utilise un vieux Clavinet je peux lui demander « peux-tu jouer cet accord ou cette ligne de basse ? » et il le fait parfaitement.

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– Tu n’as aucun patch modulaire dans ton studio…

Non, ce n’est pas trop mon truc. J’ai quelques  trucs et ce nouveau sampler mais ce n’est qu’un sampler. D’une certaine façon, les oscillateurs et les LFO et toutes ces choses sonnent pareilles pour moi. C’est un élément aléatoire présent dans ton morceau. Je trouve ça intéressant mais je préfère quelque chose de concret.

– Quelque chose que tu maitrises parfaitement…

Oui parfaitement. C’est pour ça que Max et moi nous sommes très bons amis. Il en sort de ses machines quelque chose de très bien. Pour moi c’est trop confus, il y a trop de cables je suis perdu.

– Il semblerait que le contrôle dans ta musique est une partie extrêmement importante de ton processus créatif.

En effet, le contrôle et la liberté, La liberté en terme d’improvisation : maintenant que je connais très bien mes machines j’ai confiance en elles. Je connais ma 808, je n’ai jamais eu de problème avec, je l’emmène toujours avec moi lorsque je joue live. Tout le monde me dit que c’est fragile et délicat mais j’ai cette machine depuis 30 ans maintenant et je l’ai seulement faite révisé une seule fois. Je connais mes outils ce qui me permet d’être libre. Le contrôle, c’est ma maitrise des machines mais j’ai toujours voulu y ajouter des éléments nouveaux comme ce «Push » d’Ableton qui est un objet incroyable combiné avec des anciens instruments.

– C’est un peu ta manière de te mettre en danger ?

Oui c’est un peu ça. Ça et de découvrir de nouvelles choses.