Parmi les bars de la capitale, le ZéroZéro fait figure d’exception. Le one-man-dancefloor de la rue Amelot a par le passé toujours su repousser les limites de son local. En effet, on tire notre chapeau au nombre incalculable de bonnes soirées qui ont finit à pas d’heure et dans des conditions troubles, mais également au nombre de personnes ayant réussi à tenir entre ces murs comme à l’éclectisme des gens venus animer le « dj booth » de cette petite échoppe. Nico, Francis, Bataille (aussi connu sous le nom de John Merrick) ainsi que Pit Spector ont grandement participé à l’effervescence de ce lieu. Aujourd’hui, chacun de ses artificiers a fait son chemin.

Vous connaissez surement Pierre Deniel sous le nom Pit Spector, rescapé du Zéro il se concentre depuis quelque temps à son projet solo au travers lequel il gère également la soirée Prospector avec son associé Matthieu Bellaiche et prend part au projet RER (Rose et Rosée) qui réunit Antislash et d’autres membres issu de ce lieu légendaire. Jeudi 2 octobre, Prospector deviendra également un label collaboratif mettant à contribution les différents invités des soirées pour des jams sessions qui sortiront par la suite sur vinyles. La dernière fois qu’on avait échangé avec Pit Spector, c’était sur un coin de table à côté du Zéro lors de notre interview d’Antislash, il a eu la gentillesse de nous consacrer un peu de temps pour nous expliquer sa démarche dans ce nouveau projet. Bonne lecture !

Salut Pit, tout d’abord peux-tu te présenter ?

Je suis Producteur et Dj parisien depuis 2006. J’ai évolué au sein du groupe Antislash avec Charlie Notfonk et John Merrick avec lesquels j’ai sorti 7 maxis sur les labels Circus Company et Salon Records entre autres. On a appris la M.A.O. de manière autodidacte en s’épaulant les uns les autres et nous partageons un studio au sein de l’espace Albatros à Montreuil depuis 2010. Pour ce qui est du mix, j’ai beaucoup pratiqué et appris par mon travail de barman / Dj / Bouncer au ZéroZéro de 2008 à 2013. C’est avec cette équipe que j’ai appris le mix en observant aussi les nombreux Dj’s qui venaient s’y produire. C’est avec cette équipe aussi que nous venons de monter le label Rose et Rosée dont j’ai signé le premier EP en février 2014.

Mon studio à Montreuil me permet d’accueillir des artistes de tous horizons et j’ai cherché comment organiser les nombreux jams qui y ont lieu autour d’un projet cohérent, ce qui aboutit aujourd’hui à la naissance de mon label Prospector.

Antislash est-il un projet toujours d’actualité?

Le groupe existe toujours même si on travaille moins souvent ensemble depuis deux ans, chacun ayant des activités à côté. On a sorti un EP sur le label Tablon Records et une sortie est prévue sur Prospector courant 2015. C’est toujours agréable de se retrouver pour travailler ensemble d’autant que nos techniques de production évoluent avec le temps, on se tourne plus vers les machines et on a réussi à préserver un esprit libre et sans volonté de produire trop souvent pour continuer à sortir des morceaux qui nous correspondent pleinement.

On s’est rencontrés sur les bancs du lycée, attirés par la même passion pour l’électro qu’on découvrait à l’époque via Aphex Twin, Radiohead ou Jeff Mills. Je jouais de la guitare dans des groupes, Raf du piano et Bat venait de lâcher les cours pour se mettre entièrement à la création musicale. Après trois ans de jams dans sa chambre transformée en studio de fortune on a formé le groupe et nous avons réalisé notre premier EP sur Circus Company en 2006. Par la suite, on a pas mal tourné pendant 3 ans avec des dates épiques au Panorama Bar et au Club der Visionare, un lieu qui nous a beaucoup influencé dans le développement du ZéroZéro. C’est à cette époque qu’on a commencé à avoir des DJ’s presque tous les soirs au bar et à avoir nos premières résidences (Triptyque / Chez Moune). La création du label RER est une évolution logique pour notre équipe au-delà du bar et des fêtes, un moyen d’étendre “le domaine de la lutte et du fun”.

– Si je ne me trompe pas, ces deux ans correspondent à beaucoup de choses qui arrivent simultanément non ? Quitter le Zéro, des débuts en solo plus qui s’affirmaient de plus en plus pour toi ainsi que des collaborations avec ton frère (Ark)… Comment expliques-tu cette transition ? Comment différencies-tu tes projets RER et Prospector ?

Effectivement, ces deux dernières années ont été chargé ! Après un premier EP sur Minibar et un album sur Silicate Musique en 2009, période où je participais aussi à de (trop) nombreux projets en même temps une radio internet (Radiozerozero) un cabaret électronique (Cabaret Martyre) et deux autres formations électroniques (Cellule Eat et Ava’s Verden). Après cette période d’effervescence très formatrice, mais aussi assez bordélique dans la gestion, des soucis de famille m’ont rapproché de mon frère Ark et m’ont aussi permis de me recentrer sur la production électro qui correspond aussi à notre installation dans un “vrai” studio. En 2012, j’ai donc commencé travaillé avec Ark qui venait de s’installer sur Lyon. En un an, on a préparé pas moins de 5 maxis ensemble et j’ai parallèlement sorti un second EP solo sur Minibar en février 2013.

Début 2013, j’ai commencé à avoir mes premières dates en solo et je me suis attelé à préparer mon live. Comme ça fonctionnait bien et avec le développement du studio, j’ai progressivement arrêté mon travail au Zéro et ralentit mes “side project” pour me concentrer sur la production musicale.

Avec l’équipe Zérozéro/Antislash, on avait depuis longtemps l’envie de créer un label qui prolongerait musicalement l’effervescence qu’on avait réussi à créer avec le bar. En ce sens, mon premier Ep “RER 00” est un hommage au Zéro dans lequel j’ai voulu traduire à ma manière les courants musicaux que j’aime et qui le représente. C’est une nouvelle manière pour nous de partager notre univers aussi bien musical que visuel. Prospector est un projet plus personnel, lié à mon travail en studio. Cet espace m’a permis au fil des années d’accueillir beaucoup de producteurs pour des jams (souvent en guise d’after une fois le bar fermé). La rencontre avec Matthieu qui s’occupe avec moi du développement du label m’a aidé à transformer ces sessions en un projet cohérent associant résidences artistiques, performances live et label. Depuis décembre 2013, avec le soutien des Sonotown, on a organisé 5 soirées à la Machine du Moulin Rouge autour desquelles j’ai pu collaborer avec Ark, Losoul, San Proper, Ben Vedren, Narcotic Syntax et Antislash avec à chaque fois des sessions studio pour préparer les lives et les productions qui pourraient en découler. Le lancement de RER du label Prospector est pour moi l’aboutissement de ce processus.

– Il y a donc une certaine prise d’indépendance, mais tu restes fondamentalement très attaché au travail collaboratif finalement. Qu’est-ce qui te plaît tant dans le fait de produire à plusieurs ?

Je pense que c’est vraiment lié à mon parcours et à mes influences. Il y a toujours eu des instruments de musique à la maison, je fais des jams depuis que j’ai 12 ans. Les jams sont une forme de communion assez instinctive dont j’ai hérité de mes parents hippies et de mon frère. J’aime ce va-et-vient entre le travail personnel et la rencontre avec d’autres univers musicaux, d’autres techniques. On a toujours fonctionné comme ça avec Antislash, c’est un procédé intuitif, mais ça représente également de beaux moments d’échanges avec les artistes invités.

Pit cartoon

– Donc Prospector tu vois ça principalement comme une plateforme collaborative?  Jusqu’à présent ça a marché avec tout le monde?

Je vois le label comme un témoin, un reflet de mes rencontres musicales en studio comme en club. Les disques sont comme les fruits éclots de ce travail et en ce sens la collaboration avec O’clock pour l’artwork du label apporte une touche colorée et poétique à ce projet. Jusqu’à présent les résidences se sont très bien passées et beaucoup de morceaux issus de ces sessions sont en préparation.

– Mais si tu vois ça comme un ensemble de photographie d’instants comment penses-tu que cela va vieillir ? Comment imagines-tu l’évolution du label dans le temps ?

À la base, avec Matthieu, on a conçu Prospector comme un projet éphémère lié aux soirées et aux échanges entre artistes ayant une sensibilité musicale proche. Tous les artistes invités se sont investis dans le projet et cela permet aussi des rencontres entre eux, de donner un terrain propice à la créativité. Pour l’instant 5 EP correspondants aux 5 premières soirées sont prévus dans l’année et je commence la préparation d’un album associant des morceaux solos et des collaborations afin de clôturer la première saison. On prépare la saison 2 pour janvier prochain, j’ai quelques artistes en tête ! To be continued…

– Comment penses-tu que ton frère ait joué un rôle dans ta perception de la musique?

C’est une influence très importante musicalement. On a 10 ans d’écart, une génération et des parcours un peu similaires, mais très distincts. Au lieu d’être un poids, c’est un véritable atout tant pour lui que pour moi. On a des références communes, mais aussi beaucoup à s’apporter aussi bien musicalement que techniquement. C’est lui qui m’a mis mon premier sampler dans les mains. C’est lui qui m’a amené à ma première fête alors que j’écoutais les Beatles et Radiohead en boucle.Ce fut en quelque sorte un choc des civilisations pour moi. Plus sérieusement, on écoute beaucoup de musique ensemble, dans tous les styles et cela évite de se retrancher dans un courant. Il m’a même finalement avoué qu’il aimait Aphex Twin !

– Où est-ce que vous différez?

On est très proche sur le jazz, le funk et le rock, mais nous n’écoutons pas les mêmes artistes. C’est vraiment générationnel. Je dirais que je suis plus sensible à des artistes et courants récents en hip-hop et en musiques électroniques tandis que lui est beaucoup plus pointu sur la techno et la house des années 1990. Au niveau personnel, je pense également que j’ai en calme ce qu’il a de survolté, ça fait une bonne alchimie.

Par exemple, je découvre toute une partie du hip-hop américain des années 1980 que je ne connaissais pas bien comme NWA / Public Enemy. D’un autre côté, je lui fais écouter Odd Future ou Death Grips, des jeunes dont il n’a pas idée. De même en électro, je découvre à chaque fois des perles en allant chez lui, des vieux Todd Ewards ou des Funkadelic et je lui fais découvrir certains artistes comme Cuthead ou Christopher Rau dont les productions sont proches de notre univers. Je pense qu’on a des goûts quand même très proches

– Dans le RER 00 tu avais d’ailleurs samplé Madlib. Le hip-hop semble avoir un rôle crucial dans ta construction musicale. Quel regard portes-tu sur cette culture ? Penses-tu qu’il y ait des analogies avec les musiques électroniques en dehors des procédés de production ?

J’ai lu récemment Can’t stop won’t stop»: une histoire de la génération hip-hop par Jeff Chang et j’ai trouvé pas mal de similitudes avec le mouvement électronique dans la manière dont s’organisent ces mouvements, je veux dire l’organisation en crew, les soirées, la danse, le graffiti, des médiums dans lesquels j’évolue depuis toujours en tant que citadin et adepte de musique électronique. Et puis il y a cet esprit Do It Yourself et cette défiance envers les institutions dans lesquels je me reconnais profondément. Au-delà des styles et des techniques musicaux, je vois plus des similarités structurelles dans ces musiques.

– Ne penses-tu que ces deux musiques ont tendance à rentrer dans le rang ? Pour le Hip Hop c’est le cas depuis longtemps, mais pour la musique électronique c’est ce qui est en train de se passer à Paris en ce moment non ? De fait, comment abordes-tu ton activité de promoteur avec Matthieu Bellaiche ?

C’est sûr qu’il y a des abus, des dérives et des surfeurs de vagues, mais c’est comme ça dans tous les styles et pourtant il y a toujours des musiciens passionnés, des mélomanes pour faire vivre la musique, et ce dans tous les styles. C’est le plus important à mon avis.

Depuis quelques années, Paris connait un renouveau de sa scène électronique et je trouve ça bien. On peut toujours se tirer dans les pattes entre mélomanes, musiciens ou promoteurs, mais au-delà des potins de la house, c’est une passion commune pour la musique qui fait vivre cette scène.

Quant aux soirées, la première saison s’est bien déroulée, on se concentre pour le moment sur le lancement du label et la release party du 2 octobre au Badaboum. On est confiants.

– Peux-tu nous présenter en détail ce premier EP ?

Le premier morceau de l’EP, “A song for every one” est un morceau d’introduction au label. On a produit ce morceau assez rapidement en fin de session, mais il représente bien la musique qu’on fait ensemble avec Ark, à la fois douce et brute, profonde et instinctive. Un peu comme un mammouth qui marche dans les steppes. “Red Sun” est un morceau plus techno et acid, un voyage dans la fonderie de Terminator 2. Losoul nous a concocté un remix minimal plus sombre, avec une basse énorme en milieu de morceau propre à foutre le bordel en club.

L’artwork est une création du graffeur O’clock. On a commencé à travailler avec lui pour les affiches des soirées Prospector qu’on a réimprimées pour la sortie du disque. On a pensé en commun l’aspect visuel du label, à la fois street et enfantin, un clin d’oeil aux années 1980 avec une explosion de couleurs. Je suis très heureux du résultat!

– L’aspect enfantin et ludique semble assez important pour toi et notamment pour tes camarades de jeux sur RER. Penses-tu que ça soit une posture importante pour un artiste ?

Pour moi elle est primordiale. Je suis sous contrat blague avec Rose Et Rosée. 30 galipettes, 60 jeux de mots et autres calembours par jours. La pression est terrible !

– Pourquoi avoir demandé un remix pour cette première sortie ? Comment as-tu choisi Losoul ?

C’est un producteur et DJ que j’affectionne particulièrement depuis des années. Ses morceaux m’ont accompagné dans beaucoup de fêtes depuis 10 ans. On a tout de suite pensé à lui pour les soirées et comme il avait déjà collaboré avec Ark, ça tombait sous le sens.

Son statut de jeune papa ne lui permettant pas de séjourner longtemps sur Paris pour une session, il a cependant accepté de nous faire ce remix. Lors de la Prospector 1, il avait transporté toute la salle dans une superbe communion en terminant par “Open Door”. Je suis ravi de le recevoir à nouveau pour la release party.

– Qu’as-tu prévu pour les prochains EP ?

J’ai préparé le Prospector 2 avec San Proper, on vient de finir le mixage et il sortira en décembre. San vient souvent à Paris et depuis deux ans on a fait quelques after en sessions au studio. On l’a fait venir pour la Prospector 2 en février dernier pour une session plus “sérieuse” et on a préparé un live ovni en une semaine dont les morceaux de l’EP sont tirés. C’est club et hip et pop à la fois.

Pour la suite, on va finaliser des morceaux avec Ben Vedren pour le troisième opus dans une veine plus «Minibar». Dans le courant de l’année 2015, je compte également sortir les morceaux issus des sessions avec Narcotic Syntax et Antislash.

– Comment vous avez pensé cette collaboration avec Narcotic Synthax ? En termes de spontanéité, comment cela s’est mis en place ?

J’ai rencontré Yapacc et James Dean Brown via Matthieu qui les avait bookés l’année dernière. Je n’avais pas pu les voir et eux non plus. Cependant, Yapacc logeait à la maison et nous sommes devenus amis en quelques bières. Je les ai revus sur Berlin et quand on leur a proposé le projet, ils sont venus sur deux sessions d’une semaine à Paris pour monter le live et des productions. J’étais un peu intimidé, mais ça a très vite collé musicalement en apportant mes samples et mélodies. Ils sont vraiment calés sur les machines, Yapacc travaille pour MFB et ils ont des machines fabuleuses issues de périodes différentes ce qui donne un son vraiment particulier.

Mon expérience avec Antislash m’a permis d’être à l’aise dans cette formation à trois et les rôles se sont partagés de manière très intuitive. Ils m’ont pas mal appris techniquement et je pense leur avoir communiqué pas mal d’énergie en retour, un regard extérieur et une motivation renouvelée. Musicalement, ce genre de session permet d’entrer dans une transe qui étire le temps avec un travail complexe des grooves et une grande part laissée à l’improvisation. J’ai très hâte d’éditer les sessions.

Yapacc et JDB étaient sur des boites à rythmes, Yapacc a des synthés en plus. J’apportais des basses au Korg MS-20, des nappes au Juno 60 avec un looper et quelques samples à l’ordi. Durant les sessions, je me suis progressivement détaché du laptop et ça modifie l’approche du son. Chaque session est une découverte, une adaptation, un échange.

– Avec Antislash vous étiez uniquement avec des ordinateurs en live. Qu’est-ce qui t’a fait migrer vers une configuration plus analogique?

C’est surtout de disposer d’un studio où l’on a progressivement mutualisé nos machines. Sur Antislash, on est dans cette même démarche depuis quelque temps déjà. J’aime bien mélanger les instruments, les techniques.

Merci à Pit Spector pour son temps et Henrietta pour sa patience.  

02/10/2014 – Prospector Release Party @ Badaboum – Event Facebook / RA