Quelques jours après s’être plaint de douleurs à la poitrine lors d’une session de skate avec des amis, Christian Morgenstern est retrouvé mort dans son appartement de Cologne. C’était en juin 2003, il avait 27 ans. Phonographe Corp souhaitait rendre hommage à cet artiste singulier en retraçant sa vie et son œuvre. L’œuvre d’un artiste qui est parvenu naturellement à introduire un esprit mélodique dans ses productions, ce qui est finalement assez rare dans la musique électronique.

L’Allemagne reçoit régulièrement les louanges d’hommes politiques et d’économistes pour son système efficace de décentralisation. Cette particularité se retrouve également dans le domaine culturel et dans la musique électronique. La dispersion des labels et des scènes locales est vraiment exemplaire chez nos voisins allemands. De Hambourg à Stuttgart en passant par Francfort ou Cassel, chaque « land » (région) est actif et détient son identité musicale et festive. Christian Morgenstern a grandi et vécu dans la Ruhr, terre industrielle qui a vu naître Kraftwerk et Can dans les années 70, puis pléthore de labels dédiés aux musiques électroniques, de l’EBM à la minimale.

Sa jeunesse à Düsseldorf est marquée par les longues heures passées devant son Commodore Amiga (l’ancêtre de nos ordinateurs actuels), qu’il s’achète lui-même à l’âge de 15 ans. Il devient passionné  par ce qu’on appelle la DEMO Scene, une sous-culture informatique ayant pour but de réaliser des performances technologiques et artistiques en jouant sur des astuces de programmation ou de réelles performances programmatiques. Il forme alors un duo d’infographisme et de programmation avec son ami Falko, sous le nom de C.A.T, Covert Action Team. Le jeune Christian va très vite s’intéresser à la programmation musicale sur Amiga, pour s’y consacrer entièrement à partir de 1994, via le logiciel Protracker, un des tout premiers séquenceurs musicaux sur ordinateur.

Cette partie de sa vie est évidemment déterminante,  l’utilisation exclusive d’un Commodore l’oblige à être très créatif  et à pousser les limites du logiciel et de la machine pour la synthèse des sons. On retrouve tout au long de sa discographie ces influences primitives et ces expérimentations en tout genre.

Cette culture qui sera plus tard étiquetée en tant que Chiptune, qui comprend  la culture C64, le 8 bit ou encore le 16 bit, est une frange malheureusement peu exploitée dans la musique d’aujourd’hui, et trop oubliée par les producteurs de la scène house et techno. Il est par exemple très intéressant de noter que, bien après sa période DEMO Scene, Christian Morgenstern a  collaboré avec  Jeroen Tels, un compositeur star du jeu vidéo, secteur qui comporte également très peu de jonctions avec l’industrie classique de la musique électronique.

protracker

protracker

 Dans une interview accordée au site web français atome.com en mars 2001, Christian Morgenstern expliquait avoir eu un déclic en entendant le tube house « Felix – Don’t you want me » lors d’un salon de l’Amiga au début des années 90. Couplé avec ses expérimentations musicales informatiques, son intérêt pour la musique électronique va vite se développer. L’artiste commence à investir progressivement dans du matériel dédié à la production musicale (Yamaha SY85, e-mu E64, Dbx 166A). Il s’intéresse d’abord à la transe puis se dédie à la techno à partir de 1995/1996. Il alterne entre contrat d’intérim dans la sidérurgie, contrat dans l’animation vidéo et séances musicales acharnées dans des studios de fortunes aux 4 coins de la Ruhr.

Dès lors, il commence à sortir un certain nombre d’EP sous différents alias (Vico Space, CHR$, Morgenstern) via différents labels provinciaux. Bien que s’intéressant déjà à d’autres courants musicaux, c’est d’abord sa techno singulière qui retiendra l’attention. Heiko Laux, le directeur du grand label berlinois Kanzleramt, est immédiatement conquis, incapable de choisir parmi les démos qui lui ont été envoyées, il décide de sortir le double EP Miscellaneous, avec pas moins de 16 tracks. La carrière de l’artiste fait face à un tournant important, sa notoriété croît, il déménage à Cologne pour suivre un cursus à l’académie des médias de l’art avec son ami Falko Brocksieper (qui fondera quelque temps plus tard le label substatic avec Michaela Grobelny). Les tournées s’enchaînent, son équipement s’étoffe et il finit par monter son propre label Forte Records, en 1998, qui lui permettra de s’exprimer pleinement.

Il est important de comprendre que l’œuvre de Christian Morgenstern est plurielle. Il est à l’origine de la direction artistique et des travaux illustratifs qui entourent chacune de ses sorties, il réalise lui-même courts métrages et clips vidéo (la première image de cet article, située au-dessus de l’introduction est tirée de son clip M.I.L.K sorti sur Forte). De plus, avec le temps, ses productions sont de plus en plus variées musicalement. Ayant toujours été un grand amateur de pop music (des Beatles jusqu’à Outkast, en passant par la synth pop des années 80), il cherchera de plus en plus à croiser les genres et à prendre ses distances avec la techno qu’il trouve de moins en moins novatrice. Son album Hawaii Blue, qui sera un succès commercial, témoigne parfaitement de cette évolution, il est encensé pour son éclectisme (fusion, techno, pop, IDM…). Ce producteur techno considéré comme très underground apparait en fait comme un artiste très ouvert.

À la fin de sa vie, cette trajectoire le conduira jusqu’au chant, dans un album posthume non achevé en duo avec la chanteuse Gesa Schwietring. Cette passion pour la pop ne doit pas masquer les racines expérimentales de l’artiste. Et c’est bien cette dualité qui surprend encore aujourd’hui, cette conjugaison des mélodies les plus justes et des apports les plus austères. Même si la comparaison ne tient pas, on pense forcément au génie Aphex Twin  dans cette manière naturelle d’aborder la musique électronique. Christian Morgenstern n’a bien sûr pas connu le succès d’un Aphex Twin. De fait, il reste encore aujourd’hui un artiste discret, entouré de mystère, issu du cœur de l’Allemagne et qui a laissé une trace originale dans la gigantesque brume des musiques électroniques.

Ses performances live (jamais de DJ sets) étaient réputées pour être particulièrement violentes et risquées : il allait parfois jusqu’à torturer le public avec feedbacks et larsens, dans la lignée la plus stricte des performances noises et expérimentales. Voici pour conclure un des très rares enregistrements de ses prestations, il permet de cerner à quel point son spectre musical était large .

Live set incroyable dans le mythique Neue Heimat Club Prag à Stuttgart, en 1998.

Big up to Falko Brocksieper, son aide n’était pas de trop tellement les informations sont rares sur le web.

RIP

Christian Morgenstern

“Christian’s music will stay on people’s minds and shelves forever, may he rest in peace”, Falko