Critical Systems a sorti récemment un nouvel EP – inégal mais audacieux – de collaboration entre trois de ses gros artistes, Foreign Concept, Sam Binga & Fox : Simmer Down EP.

L’EP se compose de “Simmer Down”, “Meditation”, “Love Coup” et “Tippy”, quatre véritables collaborations entre les artistes, et non pas de simples featurings. Chacune a une identité propre : l’ensemble est porteur d’un mélange assez osé entre les styles des trois artistes. Sans dire qu’il s’agit d’un excellent EP, je voudrais en saluer l’intérêt musical et la construction ambitieuse, au croisement entre d’n’b, jungle et trap.

Une bonne face A : “Simmer Down” et “Meditation”

La longue introduction de “Simmer Down” ouvre l’EP et donne le ton. L’accord plaqué (et tenu) et la charleston qui prend le rythme usuel du dnb mettent dans une ambiance calme, sérieuse, grave. Ils sont progressivement saupoudrés de la voix de Fox, d’un tom sec, proche de ceux qu’on trouve en footwork, d’un kick léger breaké en 2-step, et, bientôt, d’effluves d’amen break et de discordances, autant de signes annonciateurs du mélange de styles caractéristique de l’EP.

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À partir de l’entrée de Fox et de la boucle de percussions, l’énergie se libère, mais reste très bien contenue, notamment par le rythme particulier du kick, qui tombe régulièrement sur 4 temps puis chute lentement sur 4 autres, en résonant d’une manière junglist. La rudesse de la voix de Fox, presque traînante, se marie très bien aux percussions analogiques et à la profondeur du kick pour rendre une ambiance déterminée et sérieuse, mais pas froide. La chaleur de la track, liée à son côté jungle, est approfondie par les accords qui apparaissent à la moitié du couplet : leur côté trap, familier, puissant et ventilé, les insère très bien. Malgré la relative pauvreté des motifs mélodiques et de leur son métallique et réverbé, ceux-ci se fondent dans l’ensemble ; leur insertion en accompagnement de la voix, et non pas en thème principal, souligne la finesse de la construction, et permet à Fox de chanter davantage dans les drops, ce qui appui encore la chaleur de l’ensemble.

Avec le motif de percussions en deux mesures, qui condense l’énergie pendant quatre temps puis la relâche, et cette chaleur vocale qui dirige le morceau, on est loin des règles modernes du drum and bass ; on serait même très loin du genre, si les percussions ne nous en donnaient l’écho. Tout le morceau se construit autour de cette boucle de percussions et de ce kick : ils forment la marque du morceau, parce qu’ils sont révélateurs du mélange de styles qui la caractérise. C’est l’élément le mieux réussi, parce qu’il est dans un parfait équilibre entre conservation de la rythmique du d’n’b, mais rupture du 4-step, et références de jungle. “Simmer Down” a donc non seulement de nombreuses qualités, mais il réussit en outre à très bien les unir : ce track lance l’EP, et annonce sa couleur, celle d’une habile recette entre d’n’b, jungle et trap.

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On retrouve les mêmes ingrédients dans le second titre, agencés d’une manière plus oldschool, où la relation entre d’n’b et jungle est encore plus audible et plus directe. “Meditation” reprend les éléments annoncés dans “Simmer down”, en les modifiant et en les outrant. Aussi bien le break de batterie que le kick sont, cette fois, typiques du d’n’b, en un classique 4 step sur une mesure, tandis que la ligne de basse, sur 2 mesures, s’inspire évidemment des origines jungle : une note en crescendo sur 4 temps, qui prend tout l’espace et s’achève en raclant, puis, sur les 4 temps suivants, quatre notes plus percussives, rondes, avec de grosses résonances un peu floues, canoniques de la jungle. Le dialogue se poursuit : cette première ligne est remplacée  pendant le pont (1 min 34) par une basse plus soufflée, grosse, à l’intensité constante (et non plus ni en attaques, ni en crescendo), qui sonne plus d’n’b par le type de son, mais qui, dans son emploi, rappelle aussi la jungle (en réalité, elle sonne comme du vieux dnb, au moment où il n’est pas encore séparé de la jungle mère). Alors que l’élément constitutif de “Simmer down” était son pattern de percussions, ici le propre de Méditation est cette ligne de basse, qui la marque de son sceau. C’est pourquoi la voix est plus en retrait que dans “Simmer Down” : si, dans le premier morceau de l’EP, c’était les ajouts mélodiques qui se plaçaient en regard de Fox, désormais Fox se fond dans le système fait par la basse et les percussions. A la manière dont, traditionnellement, la ligne de basse et le pattern rythmique suffisent à “faire” la jungle, le mélange réussi entre rythmes de dnb et basse de jungle fait de “Meditation” une track plus authentique, plus épurée, plus simple.

Cet ensemble excellent donne une ambiance plus triste et calme que Simmer Down : comme le titre l’indique, l’atmosphère est méditative. L’absence de drop très marqué et la construction linéaire du morceau vont en ce sens (c’était aussi le cas pour “Simmer Down”). Le calme et la gravité de la track sont appuyés par des sons de batterie plus fermés, plus secs et plus électroniques, et paradoxalement aussi par la basse de jungle ; de même, l’accord introductif est plus distant, plus dissonant, et le timbre du synthé, qui oscille en intensité et se pare d’échos métalliques, est moins fourni.

“Meditation” et “Simmer down” forment, pour moi, l’âme de l’EP. Elle sont dans la même ligne, caractérisée par des influences oldschool et une ambiance calme mais soucieuse. Plus encore, “Meditation” accentue les traits de “Simmer Down”, et ainsi la pour-suit avec cohérence. Aux références de jungle, de trap et de footwork dans “Simmer Down”, répond dans “Meditation” une ambiance jungle plus franche et assumée ; et l’aspect sérieux et chaud de “Simmer Down” devient dans “Meditation” une atmosphère grave et froide. L’audace de composition, très fournie, de “Simmer Down”, s’achève dans l’identité mieux trouvée de “Meditation” : ce duo est un bel hommage aux origines jungle du dnb.

Une face B décevante : “Love Coup” et “Tippy”

“Love Coup” est une track de drum and bass qui flirte avec le halftime. D’un certain point de vue, elle est plus franche que les précédentes. Elle s’initie sur un break de dnb, mais modifié, déjà utilisé par Foreign Concept dans Mob Justice (sortie chez Critical aussi) : il s’agit de mettre le second coup de snare là où est traditionnellement le second coup de kick (en supprimant ce dernier), ce qui donne un côté plus chaloupé et bancal ; et puisqu’il n’y a plus qu’un kick par mesure, il s’agit de mettre toute l’énergie dans ce premier temps, et de la laisser s’étioler dans la syncope des snares.

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Cela demande, alors, de frapper fort ; et c’est là une des raisons pour lesquelles la basse joue elle aussi uniquement sur le premier temps, d’une manière très imposante et si rude. C’est là aussi pourquoi cette snare est si dure, écrasée et forte. Cette idée, en elle-même, est assez bonne ; mais elle ne sauve pas le morceau d’un certain ennui.

Car on s’ennuie, dès l’intro ; il faut la relancer, par des montées et descentes de percussions sèches, pour teaser encore et encore l’auditeur, jusqu’à un filtre et un noise dont on se serait bien passé. Le drop nous réveille, la basse rentre fort, très fort, et dure longtemps. Tous les huit temps, elle frappe sa longue note tenue puis relâchée vers les graves, usant d’un son puissant et gras : mais derrière l’énergie qu’elle apporte, quelle pauvreté de texture ! Les très sèches percussions de halftime et de wobbles assez lointains, sans attaque mais tout en résonance, sont pauvres aussi et ne suffisent pas à animer l’ensemble. Il manque une ligne directrice, mélodique, et je m’ennuie toujours. Il semble même que ce soit l’avis des artistes : car pour combler ce vide, Fox devient plus agressif et plus exubérant. Pour habiller le tout, sa voix est doublée et parfois se répète en écho ; c’est dommage et artificiel, car on perd alors la spontanéité du ton, qui était l’une des qualités des deux premières tracks. La suite du morceau n’arrange rien, le pont ne relance pas, la fin manque de nouveauté.

Le pari du morceau était donc d’installer un grand déséquilibre, porté sur deux mesures, entre cette frappe initiale et la suspension qui la suit. Si l’idée est très bonne, et reprend d’ailleurs une intuition de “Simmer Down” (dont les percussions sont aussi par unités de 8 temps), la réalisation me laisse plus froid. “Love Coup” manque de caractère, n’a rien de comparable à la finesse de composition de “Simmer Down” et de “Meditation”. La tentative louable d’un morceau plus sec et plus rude se mue en un vide décevant.

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Après le creux mélodique  de “Love Coup”, les sons cristallins et purs de “Tippy” sont une grande respiration. On change de monde ici ; on quitte le d’n’b pour entrer dans une track de trap. “Tippy” est un morceau reposant, agréable, qui assure sans éclat. Sa grande qualité est de laisser pleinement la place à Fox, dont le rap est très bon. L’instrumentalisation est moins intéressante, mais correcte : la basse fait plaisir, le 2 step calme le jeu après le halftime de “Love Coup”, les percussions ramassées de trap accompagnent bien le tout, selon un pattern rythmique des plus traditionnels. Bien que les voix pitchées qui s’insèrent régulièrement en haut du spectre, soient superflues, l’incise des bongos est à propos, et le tout n’a pas d’aspérités. Sans trop de prise de risque, au risque, justement, que le morceau devienne monotone, le résultat général est plaisant. On en retiendra alors le rôle, parfaitement réalisé, de Fox, et l’ambiance agréable qui ressort de l’ensemble : ce n’est pas une track extraordinaire, mais c’est une track honnête.

Pour rendre hommage à cette sortie, il faut être sévère envers “Love Coup” et “Tippy”, afin de pouvoir souligner la qualité de “Simmer Down” et, par dessus encore, de “Meditation”. “Love Coup” et “Tippy” ne méritent pas un carton rouge, en elles-mêmes, mais elles mettent en péril l’unité de l’EP. La veine initiale était excellente, les idées de composition audacieuse, l’union d’éléments musicaux divers bien réussie ; il est dommage que les deux dernières tracks, que rien ne relie particulièrement, n’aient plus rien à voir avec les deux premières qui, elles, forment un duo très cohérent et habilement exécuté. On me dira alors que les raisons qui me font aimer cet EP sont de mauvais arguments. Sans doute ! Je le confesse, je suis un amateur occasionnel de DnB. Il est fort probable que j’apprécie donc la sortie parce qu’elle s’éloigne du d’n’b et qu’elle joue avec ses règles, en mêlant diverses influences et en faisant la part belle aux influences jungle – autrement dit, parce qu’elle n’est pas du d’n’b classique.

Simmer Down EP est disponible sur Critical Records