« Écouter, danser, apprendre » : c’est le mot d’ordre de la prochaine édition du festival Les Siestes qui aura lieu ce week-end, à Pantin. De la musique donc, mais des écoutes commentées pour apprendre, et danser aussi. Parmi les thèmes proposés, il y en a un qui a retenu toute notre attention : la funk dans les productions rap françaises. Celui qui se chargera de nous initier à ces beats maculés de groove n’est autre d’Hadj Sameer, DJ et digger invétéré, affilié à des maisons comme Trilogy Tapes ou FUTURE TIMES et surtout, un fin connaisseur du rap hexagonal. 

Comme un aperçu en avant-première, on lui a proposé une mini-sélection de trois titres qui représentent à leur façon ce vaste thème – un genre musical presque à part entière, tant l’esthétique est forte et unique. On lui a aussi posé quelques questions autour du Rap Fr, du beef cassette vs vinyle, et de ses plus précieuses trouvailles.

Shams Dinn, « Hedi Bled Noum »
Un carrefour entre la France, les USA, et le Maghreb, l’incarnation d’un Rap Beur adoptant les codes de la funk, avec des paroles en arabe et français.

Salut ! Merci d’avoir accepté ces quelques questions. Comment ça va, déjà ? 

Ça va toujours, tant que je trouve des disques et des cassettes !

Tu es un immense collectionneur touchant à plein de styles et genres – mais parlons de rap français : tu es plutôt vinyles ou cassettes ? 

Question complexe honnêtement. Le Rap Fr a marqué son temps à mon humble avis grâce aux mixtapes au départ – je pense notamment à celles de DJ Clyde, celles de DJ Poska, DJ Kost, aux mixtapes anthologiques de Cut Killer… 

D’ailleurs, je vous recommande vivement le livre intitulé L’odyssée de la Mixtape en France (De Brazza Editions) qui est pour moi un des meilleurs livres cataloguant les mixtapes de Rap Fr, des plus connues aux plus underground et obscures. Ces mixtapes étaient finalement des mixes concoctés par des DJ passionnés issus du Rap Fr, animateurs radios pour certains d’entre-eux qui préparaient une selecta vinyles avec des versions inédites et des exclus de titres, déjà sortis ou non. En parallèle de ça, le vinyle est devenu progressivement le support physique à collectionner pour les DJs et ls collectionneurs – grâce notamment aux titres et aux artistes apparaissant dans les mixtapes.

Les Siestes t’ont invité sur une thématique précise, « la funk dans les productions rap françaises ». Comment cela résonne pour toi, ce thème ?

J’ai eu la chance d’être né en 90, j’ai vraiment connu ce que beaucoup appellent l’âge d’or du Rap Fr avec beaucoup de groupes que je n’ai plus besoin de citer. J’ai baigné très jeune dans ça grâce à ma sœur Maya, férue de rap. On écoutait les émissions de Skyrock le soir dans notre chambre et on enregistrait en live les sons qui passaient en exclu à la radio. J’ai aussi été évidemment très influencé par les grands de mon quartier, qui venaient de la funk de base. Ils ont vraiment connu la transition du funk au rap dans les quartiers. Et tout cela c’est notamment fait grâce aux DJs passionnés et aux beatmakers locaux. 

Cela résonne forcément en moi car ça fait partie de mon patrimoine musical et de mon environnement depuis petit. J’avais également un grand mon bâtiment qui était DJ, scratcheur. Il avait son soundsystem. Enfin je suis né et j’ai grandi dans le 78, à côté de Chanteloup-les-Vignes ; j’allais à la cité Noé toutes les semaines depuis toute jeune avec mon père au marché. C’est là-bas qu’avait été tourné le film La Haine. Le rap a tout de suite marqué mon subconscient.

Rap Sonic, « Vas-y mets la dose (soul mix) »

Groupe venant de chez moi dans le 78, avec le fameux Crazy B. Titre anthologique et très contemporain pour l’époque, on est en 1988/1989 quand il sort et a tous les ingrédients pour marcher, très bon MC et beat percutant. 

Côté selecta, vers qui te tournes-tu instinctivement ? Plutôt old-school, ou récent ? 

Honnêtement, les deux. Encore une fois, ayant la trentaine, je me retrouve aujourd’hui avec différentes formes d’intérêts pour le Rap Fr qui me donnent finalement une connaissance large et une culture plutôt hybride. J’aime évidemment énormément le rap que tu appelles old school, notamment à cause de la fibre nostalgique que ça éveille en moi. Mais aussi à cause de l’équilibre entre fond et forme, entre instrus et paroles, entre beat et MC. 

Je suis curieux, je dig toujours même ce qui sort en digital ; j’écoute aussi ce qui se passe aujourd’hui, mais d’une toute autre oreille. L’intérêt que je porte aujourd’hui pour ce qu’on appelle encore Rap Fr, même si c’est une mauvaise appellation selon moi, est plutôt tourné vers les rythmiques, les beat eux-mêmes avec des influences venant notamment de l’Afrique – sonorités afro venant du Nigeria ou encore de la rumba congolaise, de l’Angleterre avec grime, et la drill ou bien des US avec le gangsta, la trap… Comment peut-on se les approprier en France avec notre culture très forte et nos codes à nous ? J’aime aussi analyser l’esthétique du genre et son évolution, notamment dans les clips mais aussi dans les codes vestimentaires des artistes eux-mêmes.

Ce qui a changé, c’est aussi l’art du beatmaking lui-même – c’est là que ma lecture va principalement se concentrer. J’ai la chance d’avoir connu les deux phases, l’avant et l’après comme on aime si bien les cliver. La transition entre les deux. Comment on est passé de beatmakers bossant sur des MPC, des SP, avec des disquettes et allant chercher des samples provenants de disques de funk achetés dans les shops new-yorkais (ou parisiens pour ceux ayant pas les moyens de voyager) jusqu’à l’apparition d’internet et de la MAO avec aujourd’hui une bibliothèque de samples numériques infinie. 

On parle de rap français, mais est-ce que c’est forcément limité au territoire français ? As-tu trouvé des titres de ce thème venant de Belgique, d’Afrique du Nord… ? 

J’aime plutôt parler de rap francophone. L’Algérie, et la Belgique en sont la preuve aujourd’hui. Du côté algérien et principalement algérois, j’ai eu la chance d’écouter des groupes comme MBS, Hamma Boys ou Intik avec des influences locales (chaabi, raï) et extérieures (hip-hop, reggae, soul, funk). Il y a aussi une grosse identité rap en Belgique, très méprisée par les français dans les 90’s et 00’s. L’équilibre des forces s’est rétabli grâce à la nouvelle scène – Damso, Hamza et cie, qui ont marqué le paysage sonore francophone. 

EJM, « Je veux du cash »

Très pitché, très rapide mais avec de gros samples de funk, on entend les saxos, les guitares basses, et bien sûr les boites à rythmes ainsi que d’autres samples. J’adore. Et le MC, EJM, c’est un mec qui a commencé à rapper en assistant aux sessions radio de Dee Nasty.

Hors funk mais toujours rap français, le disque ou la cassette la plus précieuse à tes yeux ? 

Le disque le plus précieux de ma collection reste la BO de La Haine. Étant donné que le film vient de chez moi et que c’est un artefact de collectionneurs, je suis vraiment content de l’avoir dans ma tanière. Il ne sera jamais réédité à cause d’un beef entre plusieurs personnes impliquées dans ce projet.

Un autre artefact que j’aime beaucoup mais que je recherche encore : la fameuse tape d’IAM, Concept, qui est pour moi la représentation physique par excellence d’un rap français conscient avec une forte emprunte afro-américaine : une esthétique provenant du hip-hop essentiellement new-yorkais avec celle des mouvements tels que la Zulu Nation. Cette cassette marque aussi son temps car elle est à l’origine du beef entre IAM et NTM à cause de l’utilisation du sample de Marvin Gaye, « T Stands For Trouble ».

Gros big up à Imhotep avec qui j’ai eu la chance de longuement échanger à Marseille y a quelques mois dans le cadre du documentaire que j’incarne, et qui sort prochainement sur Arte. Il témoigne notamment du vivier musical fortement et largement présent à Marseille dans les années 80 et 90 !

Hadj Sameer sera en DJ set à l’édition à Pantin du festival Les Siestes, ce samedi 16.07. L’entrée est libre.