En 2020, nous présentions Naco à l’occasion d’un mix et d’une sortie sur son label 85acid. Le producteur japonais de Kyoto nous avait habitué à des expérimentations rythmiques folles, toujours plus déconstruites, à l’énergie brute et explosive. Depuis trois ans, son label a accueilli davantage d’artistes différents, et s’est par conséquent diversifié, allant de l’électro au drum and bass. Naco, lui, n’a pas changé : comme en témoigne son dernier EP Echo 01, sorti en 2023, il cherche toujours à pousser plus loin le déséquilibre et la déstructuration dans un mouvement à n’en pas douter avant-gardiste. On notera cependant une certaine évolution sa palette sonore, qui s’est élargie : sans renoncer à son cœur historique, à savoir percussions et timbres secs d’une part, déconstruction rythmique d’autre part (on ne peut pas ici résister à dire d’aller écouter “O.H.T.F.O.H.” : quel renversement du morceau !) , il inclut davantage de sonorités rondes (“Uuun”), plus d’ambiances enveloppantes (“O.H.T.F.O.H.”), de sons glitchés (“Neeman”). Avec Naco, on sait qu’on sera surpris ; la seule surprise étant, à ce titre, qu’il demeure encore dans l’ombre.
Nous proposons en première son morceau “Purewater”, extrait d’un EP fait au titre de la 13e série Swinging Flavors de BeatMachine. On ne présente plus cette maison dans nos colonnes : BeatMachine, depuis longtemps, est un label implanté dans la bass, et en particulier dans la jungle et le drum and bass ; ces dernières années, il a considérablement étendu le genre de ses sorties, en alternant sorties pour le club et sorties d’écoute. La série Swinging Flavors, dont chaque émission est traditionnellement faite d’un single et d’un remix, pensés pour le club et délivrant une énergie débordante au tempo rapide, a cette fois-ci été confiée à Naco – qui, en plus de son single, sort un autre single en digital – et le remix à WE ROB RAVE.
“Purewater” est d’abord un morceau hybride de jungle et de halftime. Ce mélange, qui n’est pas neuf et résulte toujours dans un Molotov musical, est ici porté par la reprise de l’amen break, mais coupé et haché, et par un ensemble de percussions au timbre très sec – du Naco dans le texte. Ce qui en fait la spécificité, c’est le kick, assez rond, qui alimente le déséquilibre constant du morceau par son rythme, un 4 pour 3 (sur les six premiers temps de blocs de deux mesures, les 7e et 8e étant simplement couvert de deux noires, qui nous remettent sur pied). C’est ce rythme qui donne le sentiment de toujours tomber en avant. Jusque là, rien de particulièrement nouveau, mais le morceau est efficace, bien fait, et c’est déjà ce qu’on demande à cette série Swinging Flavors. Le morceau est rehaussé, à partir du pont de 2min30 et pendant une bonne minute, par l’arrivée de voix et surtout d’un synthé grinçant et grésillant, qui renforce cette impression de fuite en avant (on veut y échapper). Mais le point de bascule de la composition, et ce qui la rend si intéressante, c’est la mue, soudaine, non annoncée, de la rythmique du kick : à 3min47, sans prévenir, le 3 pour 4 se transforme en un 4/4, four to the floor. Comme le tempo est rapide, on est immédiatement à la fois rétabli sur pied et relancé, projeté, dans la danse ; cependant, cette impression n’est pas seulement due à la vitesse du tempo, mais tout simplement aussi au fait que ce changement de rythme implique une présence beaucoup plus nombreuse de kicks (8 pour deux mesures, à la place de 6). La mue est complète : on passe de breaks à de la techno rapide, côté rave, et le caractère rond et rebondi du kick prend une nouvelle dimension. La mue est intelligente aussi : dans ces morceaux faits de poudre et de mèches, l’énergie est si haute qu’elle se lasse vite, et le morceau peut faire long feu. Grâce à cette transformation, ce condensé de vitesse prend un nouveau souffle, qui portera le dancefloor jusqu’au bout du morceau.
Acheter l’EP : https://beatmachinerecords.com/swinging-flavors-13