Notre raïs à nous l’a annoncé la semaine dernière, en grande pompe : les bars, clubs et salles de concert ne sont pas près de ré-ouvrir. Que faire ? Du livestream, donc : voilà plusieurs mois que des plateformes de billetterie misent sur cette nouvelle forme d’événement, la seule autorisée.
Du clubbing derrière son écran : cela fait à présent plusieurs mois que cet exercice est rentré dans nos quotidiens, crise sanitaire oblige. Depuis la mi-mars, c’est une toute nouvelle économie qui s’est développée : les livestreams. Au contraire d’une plateforme telle que Boiler Room, où l’expérience est essentiellement in situ, avec du public, ces livestreams d’un nouveau genre sont eux calibrés pour nos salons. Car si nous avons tou.te.s déjà regardé·e·s des dizaines et des dizaines de DJ sets, parfois même en direct, c’est qu’ils étaient créés dans un cadre festif, et intégrant un public, quelle que soit sa taille. Ici, il s’agit d’autre chose : un DJ set donc, ou un concert, mis sur pied sans public. Sans la même énergie donc, sans l’apport d’un public sur l’artiste et la musique qu’il ou elle propose – bref, sans tout ce qui fait la beauté et ce qui relève de l’intouchable, de l’impalpable de ces moments.
Sauf que voilà, on ne va pas refaire l’histoire : les livestreams sont tout ce qu’il reste aux artistes, aux labels tout comme aux lieux et à toute la chaine technique pour exister un tant soit peu. De survivre, aussi. Tout travail mérite salaire et la musique n’échappe plus à la règle, et c’est bien normal. Puisque les soirées et concerts sont impossibles, pourquoi de pas investir les 10, 15, 25 € déboursés en tant normal dans un livestream de qualité ? Est-ce que nous sommes prêt·e·s à débourser une somme, même plus faible qu’auparavant, pour ces prestations numériques ? L’expérience est-elle au rendez-vous ? Éléments de réponses avec deux acteurs du milieu en France : DICE et Shotgun.
capture d’écran DICE
Lancés dès la fin du mois de mars, les premiers livestreams sur ces plateformes ont tout de suite trouvé leurs cibles : c’est ce que nous disent Alba Gautier, directrice France chez DICE et Julia Dousse, responsable de la communication pour Shotgun. Des retours « hyper positifs » et « unanime » dans les deux cas, qui montrent selon elles un réel attrait pour cette expérience. Au départ vu comme un moyen pour les artistes privés de concerts de « rester visibles auprès de leurs fans, et de maintenir un lien », l’exercice s’est rapidement multiplié, nous dit Alba. D’abord tourné vers les levées de fonds et les collectes associatives, ces streams se sont fait « plus sophistiqués, basculant vers un modèle payant. » Une transition naturelle pour DICE, qui a misé sur l’expérience utilisateur – des utilisateurs déjà gros consommateurs de concerts.
Même retour sur expérience à Shotgun, plateforme plus identifiée « électro et underground » : les utilisateurs, tout comme les artistes et les organisateurs semblent ravis. Un rapide tour sur les deux plateformes montre une offre assez large, sans être immense. Et même si les propositions autour des musiques électroniques, plus simples par définition à mettre en place qu’un concert, sont forcément plus nombreuses, on trouve de tout chez DICE comme chez Shotgun. Ce dernier a d’ailleurs hébergé le festival Souq Online en mai dernier durant « 3 jours avec plus de 40 artistes répartis sur plusieurs scènes virtuelles diffusées depuis les quatre coins du monde » nous raconte Julia.
Du salon aux toits de Paris
Du DIY depuis le salon ou le studio d’un.e DJ jusqu’à des grosses productions, du gratuit au payant, d’un one shot au festival sur plusieurs jours, plusieurs scènes et plusieurs pays… Une diversité finalement assez proche de celle que l’on trouvait « en physique », il y a quelques mois. Les deux conviennent d’un point : un livestream ne remplacera jamais un événement physique. Ce qui en ferait presque sa force ; puisqu’il est impossible de reproduire ses sensations perdues, direction de nouveaux territoires. Et les idées ne manquent pas. Un concert unique, par exemple. « L’idée est plutôt d’être créatif, de proposer des expériences différentes, peut-être plus rares sur scène » nous détaille Alba, de DICE. « Nick Cave a choisi de se produire seul au piano, L’Impératrice sur un toit de Paris, Kylie Minogue prépare un show Disco » : des propositions non-pas impossible en temps normal, mais plus facile à mettre en oeuvre par écrans interposés. Qui touche un public en mal d’émotions.
Une approche différente chez Shotgun, qui mise eux sur l’expérience sociale. « En live, la plateforme propose plusieurs fonctionnalités d’interactions sociales » nous explique Julia. « Les participants créent des vidéos “dancerooms” pour parler ou danser à plusieurs. Celles-ci peuvent être privées ou publiques, et en mode aléatoire comme une “Chatroulette” de la teuf. Le “Wall of Fame” sélectionne aléatoirement les participants ayant activé leur webcam pour apparaître sur “scène” pendant 15 secondes. » Une façon de mettre du contact, de la chaleur et une dose de fun dans des utilisations d’ordinaire un peu froides. Des petites choses ajoutées qui, mises bout à bout, permettraient de justifier un ticket d’entrée. Shotgun est d’ailleurs en train de développer un outil de « tracking ID pour permettre aux utilisateurs de retrouver en replay les morceaux qui ont été joués pendant le live. » Un « track ID??! » nouvelle génération.
capture d’écran Shotgun
LIVESTREAMS POUR TOUS ?
Concrètement, comment ça marche ? Est-ce que l’accès à des streams est ouvertes à tou.te.s, comme peut le prétendre Facebook ou YouTube, ou bien un réel travail de programmation et de sélection est fait ? Chez Shotgun, on mise sur l’ouverture et l’accessibilité : l’utilisateur a la main sur tout et peut créer son stream en quelques clics. Tout en étant en contacts avec des acteurs du milieu professionnel, la plateforme a aussi repéré « certains de nos “users” comme “créateurs” ; il était donc important que la solution que nous proposions soit accessible pour permettre aux non-professionnels d’exprimer leur créativité » détaille Julia. Pour DICE, la démarche n’est pas tout à fait la même : l’équipe peut également contacter directement « les acteurs avec lesquels on aimerait travailler ». Pour des raisons éditoriales et de contenu, mais aussi de visibilité, si l’artiste en question est très populaire dans un pays ou une région du monde. Car DICE est présent dans plusieurs contrées. Alba nous glisse d’ailleurs que l’offre est moins fournie en France qu’aux États-Unis ou qu’en Angleterre. Question de culture, peut-être.
Le livestream a, sur ce point, beaucoup d’avantage : aucune raison d’être dans une zone précise du globe pour ne pas pouvoir assister à un concert de son groupe préféré, même s’il est hébergé ailleurs qu’en France. « Nous vendons en France des tickets pour les livestreams d’artistes aussi divers que Laura Marling ou Hot Chip » nous dit Alba.
Une économie déjà installée voire pérenne pour ces plateformes comme les artistes ? Tout porte à croire que le livestreams ne s’arrêtera pas de si tôt, la réouverture des salles de concerts et clubs restent très lointaine. DICE revendique « plus de 4000 livestreams » depuis le mois d’avril, et Shotgun autour de 250. Julia, responsable communication à Shotgun, va même plus loin et voit ces événements en ligne perdurer. « Nous pensons que le stream va survivre post-COVID, qu’il sera adopté par l’éco-système événementiel comme une nouvelle pratique qui pourra permettre aux personnes d’assister à un événement en s’affranchissant des contraintes contextuelles, géographiques ou personnelles, permettre aux organisateurs d’augmenter leur audience et leurs revenus… C’est un terrain de jeu prometteur pour créer de nouvelles expériences. » À défaut de la sueur de son voisin dans la fosse, la châleur dans le salon.