Dans la suite de son podcast chez nous, nous retrouvons le producteur japonais Naco pour la sortie de son dernier EP Tranjit / Koeq sur le label 85acid, dont il est le boss. Sans répéter la présentation que nous en avions faite il y a un mois, souvenons-nous que 85acid, en très grande partie via les productions de Naco, se caractérise surtout par une recherche constante, presque avant-gardiste, du déséquilibre et de la déstructuration technique (Querika), dans un univers de sons soudains, bruts et brefs (Amazon, Unreel) qui met à l’honneur percussions et timbres stacchato.

Son nouvel EP est, en cela, bien conforme au style de l’artiste, sans être néanmoins une redite des productions précédentes (c’est bien toujours la poursuite de l’expérimentation qui domine, à partir d’éléments de base similaires) ; nous en présentons ici en première le morceau Tranjit. Si l’on reconnaît l’identité musicale de Naco, Tranjit s’éloigne un peu de la ligne directrice du gros de ses tracks, très orientée vers la techno. C’est en effet dans un cadre résolument jungle que cette track offre un festivals de rythmes endiablés, parcouru en filigrane par un amen break sans cesse déformé et retravaillé.

Une fois posé ce cadre, Naco, dans un jeu avec les règles du genre, brode une certaine déconstruction. Déconstruction sonore d’abord, puisque les textures des percussions sont un peu écrasées, compressées, intensifiées par rapport à la largesse habituelle de la jungle, et que le synthé, lui, n’a pas du tout cette identité jungle. Déconstruction rythmique ensuite, puisque l’amen break se voit parsemé d’arpèges de toms, complété par un kick très profond, assez lointain de la basse flottante et ronde de la jungle, et, surtout, ne cesse d’être interrompu brusquement puis accéléré ensuite (dans des roulements de triple croches). Déconstruction mélodique enfin : si les percussions donnent le ton, elles partagent le rôle principal ce synthé, dont la plus grande marque est… l’absence. Après sa première introduction comme une grande respiration (1’13), il n’est présent que par bribes, par à-coups d’un, deux ou trois accords consécutifs (en nappes) maximum. Mais, et c’est ce qui est génial : entre chacune de ses intrusions, on s’en rappelle ; d’une irruption à l’autre, on garde en tête (aidés par un discret écho) les notes précédentes. Il y a donc une mélodie, mais unique, qui se parsème sur tout le morceau.

Encore une fois, avec peu d’éléments, Naco pousse à ses limites l’art de l’architecture d’un morceau : rarement la continuité d’un titre n’aura été autant permise par sa discontinuité.