Christophe Chassol fait partie de ses artistes aux multiples talents, restés longtemps à l’ombre des projecteurs. Pianiste, compositeur, chef d’orchestre et même réalisateur, à 34 ans, celui qui a accompagné Phoenix, Sébastien Tellier ou encore Keren Ann, est l’âme créatrice d’une œuvre importante et quasi méconnue du grand public. Venu à Reims à l’occasion de la neuvième édition du festival Elektricity pour représenter sa pièce musicale « Nola Chérie», nous nous devions de rencontrer ce personnage au parcours atypique. C’est accompagné de son cousin et de Lawrence, batteur sur son projet, qu’il nous a accordé cette interview.

– Salut Chassol, pour commencer, dis-nous qui es-tu et quelle est la raison de ta venue à Reims ce soir ?

Chassol: Salut, moi c’est Christophe Chassol je suis pianiste et compositeur. Je suis ici ce soir parce que j’ai été invité à venir jouer « Nola Chérie » ma pièce sur La Nouvelle Orléans. Je l’avais déjà joué à Paris à La Gaîté Lyrique et Guilhem, le programmateur d’Elektricity, nous a proposé de venir la représenter à Reims dans le cadre du festival.

– Dis-nous en un peu plus sur cette pièce musicale en question, « Nola Chérie » ? D’où t’es venue l’idée de monter ce projet et en quoi consiste-t-il ?

Chassol: Je suis ami avec Xavier Veilhan, un plasticien français assez reconnu. A ce moment-là, il exposait au musée d’art contemporain de La Nouvelle Orléans et il leur a montré mes vidéos d’harmonisation de discours. Ils ont directement flashé et m’ont demandé si ça m’intéressait d’être exposé. Mon travail consiste à filmer des gens en train de parler et à synchroniser la mélodie de leurs mots sur la vidéo. Moi je leur ai donc proposé de faire un film en entier sur la musique à New Orleans. J’ai filmé les fanfares de la ville, les musiciens, les différents artistes et même les gens. Revenu avec ces images, j’ai pris le son de chacune d’entre elles et j’ai monté ma pièce musicale de cette manière.

– C’est ton véritable projet solo en dehors du fait d’être musicien accompagnateur d’artistes ou de groupes ?

Chassol: Ouais, c’est mon projet solo. J’essaye d’être de moins en moins accompagnateur et de me concentrer sur mon travail perso. J’ai bossé pas mal avec Phoenix, Sebastien Tellier, Keren Ann,… Pas mal de gens dans cet univers électro pop « branchaga branchouille ».

– Tu fais donc de la vidéo, de la musique et même de la philosophie puisque tu as étudié à La Sorbonne. Qu’est-ce qui réunit ces différentes passions ? 

Chassol: L’harmonie, la science de l’harmonie, savoir que superposer des notes ensemble de telle ou telle façon ça marche. Avec l’harmonie tu peux comprendre tous les styles de musique. Tu peux comprendre le jazz, la pop, la new soul, le rock… Tu peux tout comprendre et aller donc de Phoenix à des trucs plus jazz ou plus contemporains sans avoir de problèmes.

– Est-ce que c’est une harmonie « scientifique » selon toi ?

Chassol: Scientifique, oui. Le chiffre 12 par exemple, revient tout le temps en musique : il y a 12 notes différentes ; en mesure tu peux faire 3 x 4, 4 x 3 ou 6 + 6,… La musique est presque mathématique mais ça ne veut pas dire que tu ne peux pas ajouter du hasard à cette harmonie.

– Quelle a été ta formation académique pour que tu sois si polyvalent ?

Chassol: J’ai commencé le piano très tôt, à 4 ans avec tout ce que ça implique : solfège, analyse… Tout ça jusqu’à mes 20 ans. Ensuite j’ai fait le Berklee College of Music de Boston, le Conservatoire National de Musique de Paris et un peu d’orchestration. La composition ce n’est pas quelque chose qui s’apprend. Tu peux apprendre des techniques, des tuyaux pour arriver à faire quelque chose, mais la composition tu n’apprends pas ça vraiment, ça se fait naturellement.

– Tu nous parles de soul, de pop, de rock et même d’électro, mais toi, de quelle scène musicale penses-tu venir ? Par quoi as-tu commencé ?

Chassol: Par le jazz. C’est un concept plus qu’un genre musical le jazz en réalité : une harmonie étirée et complexe qui te permet de jouer dans toute les situations et d’improviser quand tu veux. Si tu sais improviser tu peux jouer de tout. Le jazz prépare vraiment à ça.

– Parmi tous ces styles musicaux, qu’est-ce que tu aimes écouter chez toi ?

Chassol: Je ne peux pas te le dire parce que c’est horrible et j’ai vraiment honte. Toute à l’heure on écoutait « Don’t Stop The Party » des Black Eyed Peas ! Mais je ne peux pas te dire que j’écoute ça, on regardait juste le clip et c’était dégueulasse. Non sinon après on a écouté, « BMA » de Rick Ross et Kanye West, son dernier clip, dégueulasse aussi, mais bien fait. Qu’est-ce qu’on écoutait d’autres ? Ah ouais, Tyler The Creator de Odd Future c’est pas mal. Mais c’est parce que je traine avec eux qui me mettent dans le rap (rires en désignant son cousin Lorenz et son pote), sinon moi j’écoute des trucs sérieux : Ennio Morricone, Stravinski, Miles Davis,… Mais Tyler j’aime bien.

Lawrence : Moi j’ai redécouvert le jazz avec lui. Mes parents écoutaient du jazz et il m’a redonné l’envie d’aimer le jazz. Et le classique aussi!

Chassol : Avec Lorenz on était sur la tournée de Phoenix d’ « Alphabetical » en 2004-2005. Tous les deux on a dû faire entre 200 et 300 dates en tout. Quand tu écoutes « Alphabetical », tu te rends comptes d’une chose évidente, c’est que c’est « Voodoo » de D’ Angelo. Et c’est intéressant parce qu’ « Alphabetical » nous réunissait tous: les mecs de Phoenix qui sont plutôt pop, Lorenz qui vient plus d’un univers new soul et moi qui vient du jazz. On a tous écouté « Voodoo » et ça nous a tous parlé, malgré nos origines musicales différentes. C’est un album génial !

– Est-ce que tu as aussi une « culture club » ?

Chassol: Ouais, mais d’une certaine façon. C’est-à-dire que j’adore danser et que je sors tard le soir. Dans toutes les villes de province et du monde, je danse et je suis le dernier couché: à Tokyo, à Los Angeles, à Reims, je danse et je suis le dernier à aller dormir. Ce que j’aime beaucoup c’est la minimale de Berlin. En France, j’aime beaucoup Chloé, Rebotini, SébastiAn… toute la troupe!!!

– En regardant ton site on s’est rendu compte de la grandeur de ton travail à tous les niveaux. Mais ce qui est étrange c’est qu’on ne trouve aucun album sorti sous le nom de Chassol. Est-ce une volonté de ta part de n’avoir rien sorti en physique ?

Chassol: D’abord est-ce que vous avez vu qu’il y a un petit onglet où tu peux aller directement sur hotsalope.com, c’est un lien partenaire ! (Rires). Non sérieux, il se trouve que j’ai 34 ans et que je n’ai jamais vraiment rien sorti c’est juste. J’ai fait beaucoup de musiques de film et de pub depuis l’âge de 20 ans et j’ai réussi à gagner ma vie de cette manière pendant longtemps. Le disque ne m’avait jamais vraiment intéressé, ou en tout cas, je n’étais pas encore tombé sur les bonnes personnes avec lesquelles j’aurais été prêt à faire un album solo. Il se trouve que j’ai eu la chance de les rencontrer il y a un an: Bertrand Burgalat et son label Tricatel. Mon travail sortira donc en physique en décembre. On y trouvera mon film, « Nola Chérie », que j’ai présenté ce soir pour le festival, ainsi qu’un double CD avec 35 titres qui regroupera plus de 15 ans de musique ; en gros pas mal de trucs que j’ai composé et enregistré depuis 1996. Une sorte de travail rétrospectif, même si c’est bizarre d’utiliser ce mot pour un mec de mon âge ! C’est un best touf quoi !

– Qu’est-ce qui t’a plu chez Bertrand Burgalat et qui t’a mené à lui faire confiance à lui et pas à un autre ? Comment l’as-tu rencontré ?

Chassol: Je ne sais même plus comment je l’ai rencontré ! Je connaissais son nom, je l’ai appelé et on s’est vu une fois. Il m’a invité chez lui : moquette verte, piano blanc… très classe.
C’est un jazzman ce mec en fait, c’est ça ce qui m’a plu chez lui. Tu l’écoutes jouer du piano et tu te rends compte qu’il vient du jazz. Il aime l’orchestration aussi. Il aime Burt Bacharach, tout ce qui vient des sixties avec ce son très arrangé. Il a fait des musiques de film aussi. Bref, je savais qu’il comprenait mon univers et d’où je venais ; je suis allé le voir, on a trippé ensemble et au bout de trois ans il m’a proposé de sortir ce que j’avais sur mon catalogue.

– Tu as beaucoup voyagé pendant tes études et même maintenant ; pour preuve, « Nola Chérie » a été tourné à La Nouvelle Orléans. Ces voyages ont-ils été une source d’inspiration pour toi ?

Chassol: Pas trop en fait, moi en voyage je mate les paysages et j’aime bien rencontrer des gens. Mes inspirations ce sont plus des trucs internes, la mécanique, la peinture, le graphisme. Le cinéma surtout, je trouve que c’est là où ça se passe et où les formes d’art sont les plus abouties.

– Quels sont tes derniers coups de cœur au ciné ?

Chassol: « Sucker Punch » de Zack Snyder, celui qui a fait « 300 » et « Watchmen ». C’est un film génial au niveau des images et de la musique, tu te demandes comment ils ont réussi à faire ça. Il y a « Army Of Me » de Björk dedans même. Il utilise la musique comme dans « Fantasia » de Walt Disney ; c’est un concerto pour cinéma, on fait des images d’après une musique, un peu comme un clip en fait. Il synchronise aux détails près les images à la musique. Sinon j’ai bien aimé le dernier Terrence Malick, « Tree Of Life », plein d’émotions dedans. Et les films de zombies aussi, j’adore !

– Pour tes projets futurs est-ce que tu voudrais continuer à évoluer sur différents terrains comme tu l’as toujours fait, ou justement, plus te concentrer sur ton travail perso comme ce que tu l’as fait pour « Nola Chérie » ?

Chassol: Le live de « Nola Chérie », comme on l’a vu tout à l’heure, c’est ce que j’aimerais le plus faire dans le futur. Le représenter le plus possible avec Lorenz. Sinon bien sûr, je vais continuer à faire de la musique de film. En ce moment je bosse sur celle d’un film d’horreur qui se passe en Irlande sur des enfants qui font de la télékinésie et qui tuent leurs parents. Pour moi, la musique de film c’est l’endroit où tu peux faire le plus de choses hors-normes. C’est très large.

– Un dernier mot pour la fin ?

Lawrence : Moi je voulais juste dire que j’étais très fier de participer à ce projet. Quand je suis arrivé chez Christophe et qu’il m’a parlé pour la première fois de son idée, je n’ai pas hésité une seule seconde. C’était un vrai challenge et j’ai adoré le relever. J’ai dit oui tout de suite.

Chassol : Super content d’être à Reims ce soir, Guilhem (coordinateur du festival ndla) a tout fait pour qu’on se sente bien et qu’on ait envie de jouer et ça a marché. Merci à lui et à Reims. Ce film je l’ai dans le cœur et ça m’a fait plaisir de vérifier certains clichés : quand tu fais quelque chose avec ton cœur et avec amour, ça marche tout le temps, c’est le meilleur truc.

CHASSOL from Guilhem du Prieuré on Vimeo.