Parmi les figures tutélaires de la techno « made in France », DJ Deep s’affirme comme une valeur sûre. Avec son label Deeply Rooted et ces années d’activisme, Cyril Étienne appartient à cette poignée de personnalités dans les musiques électroniques qui ont traversé les époques en période de vache maigre comme les périodes fastes telles qu’aujourd’hui. Romain Poncet n’a certes pas le même nombre de printemps au compteur, mais il s’illustre depuis un certain temps déjà par ses talents de producteurs et ses multiples projets musicaux. Depuis 2013, il s’adonne à des projets résolument techno sur des enseignes tels que Figure Tresor ou encore Deeply Rooted et Taapion. A l’occasion du Weather Festival, les deux protagonistes proposent deux projets inédits, Sergie Rezza et Adventice. Ce soir, la collaboration sur ce dernier projet prendra place entre les murs de l’Institut du monde arabe. Pour l’occasion, la Redbull Music Academy qui proposera un livestream de l’événement. En attendant, on a posé quelques questions aux deux intéressés.

– Comment s’est faites votre collaboration?

Romain : C’est une collaboration assez naturelle en fait. On s’est rencontré pour la première fois pour ma première sortie sur Deeply Rooted. Au fur et à mesure on s’est dit : « Tiens on va essayer de faire de la musique » sans se dire qu’on allait sortir un disque. C’était juste pour faire de la musique relaxe, pour faire un projet. Finalement, on a dégagé des groupes de morceaux qui correspondaient à différentes identités et après plusieurs écoutes on s’est dit qu’« on devrait peut-être essayer de faire quelque chose avec ça”.Ça s’est fait de façon assez naturelle et plutôt spontanée.

– Combien de temps vous a pris le projet, Sergie Rezza?

Romain : Cela nous a pris un an, comme tous nos projets, je pense qu’il y a 6 mois d’expérimentations. Tout ce que tu fais pendant ces six mois, tu ne l’utilises quasiment pas, ou presque, à part certaines pistes. Le gros du travail s’est fait dans les six derniers mois, car les automatismes sont rentrés et la sensibilité artistique s’est affinée. On avait alors un point de vue beaucoup plus clair et défini sur un ensemble d’influences qu’on voulait essayer de retranscrire.

– Quelles sont ces influences, celles que vous pouvez nommer ou qui vous semblent évidentes?

Romain : Je pense que c’est difficile pour nous de les nommer de façon précise. C’est un mélange de beaucoup d’influences. Ça va de la musique électronique à une certaine idée de la musique africaine, on peut retrouver des influences jazz par endroit comme du funk ou de la new wave.

Deep : je pense qu’on a trouvé un moyen de mélanger des influences qui nous reliaient et c’est ce qui a fait naître le projet. C’est comme si le projet s’était présenté à nous. En essayant de s’amuser avec des références qui nous plaisaient, on a finalement trouvé des pistes. On en est venu à se dire des choses comme, “c’est assez particulier en fait ce morceau, je n’en ai pas vraiment dans ce goût-là”. Ça nous a inspirés pour en faire d’autres. C’est de cette façon que le projet a pris forme.

– En quoi votre travail en tant que DJ a influencé ce projet?

Deep : Cela a influencé la musique, du fait de nos références musicales, de la connaissance de nos disques. On essaie de donner un nom et une identité propre au projet parce que ce n’est pas de la musique 100% techno ou house, c’est de la musique électronique qui se balade dans différents territoires et on le revendique comme ça. Même si bien sûr, la techno et la house et la musique électronique en générale a eu une influence dedans.

– En quoi est ce que ce projet est différent des autres collaboration que tu as pu faire par le passé, Romain?

Romain : C’est surtout la musique. C’est la première fois où j’ai pu trouvé une sorte de similitude, dans les goûts qu’on avait, pas justement sur la techno ou la house, mais surtout tout ce qui sort de ce spectre musical. On parle de musique africaine, de certaines musiques expérimentales ou de new wave, Cyril m’a fait découvrir différents sons. C’est plus le fait d’avoir trouvé un partenaire avec lequel je pouvais m’entendre sur autre chose que la techno et la house qui sont des genres que j’avais l’habitude de travailler. Ça m’a fait sortir de mes habitudes et m’a permis d’expérimenter un truc que je voulais essayer depuis longtemps. Puis, c’est beaucoup plus agréable de le travailler en binôme, ça permet d’approfondir beaucoup plus les idées de chacun, parce que du coup chacun alimente l’autre. C’est pour ça que ça s’est fait naturellement, parce qu’on s’est rendu compte que, justement, on avait une affection particulière pour ces musiques et ça tombait super bien. On aime ces mêmes musiques, sans pour autant connaitre les mêmes artistes ou les mêmes morceaux, mais l’idée de ces musiques.

– Est-ce que le projet Sergie Rezza s’inscrit dans la durée ?

Romain : Il n’y a pas de réel calcul, on verra comment ça se présente. En l’occurrence, je pense que l’on n’arrêtera pas de suite de faire de la musique pour ce projet, après c’est difficile de parler de long terme. Peut-être qu’après ça se déplacera sur un autre projet ou au contraire qu’on le gardera très longtemps. Ce n’est pas le genre de chose qui se planifie. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas vocation à le couper rapidement.
Il n’y a pas de volonté de faire un one shot. Ça vivra tant que l’état d’esprit dans lequel ça s’est créé perdurera.

Deep : On a aussi beaucoup de morceaux qui ne sont pas sur l’album.

Romain : À moyen terme il y a donc plein de choses qui vont se faire. Le long terme reste assez flou pour le moment.

– Qu’est ce que cette collaboration vous a appris  personnellement, humainement et artistiquement?

Romain : Je pense que le fait de travailler à deux, au-delà du projet en soi, c’est forcément un moyen d’apprendre plein de choses, que ce soit technique ou artistique. L’important, c’est qu’il y ait un échange. Chacun apporte quelque chose à l’autre, c’est le principe d’une collaboration. Pour les influences par exemple, Cyril a une culture musicale bien plus importante que la mienne et pendant les prémisses du projet, sans forcément se dire qu’on allait faire un brainstorming d’ailleurs, il m’a fait découvrir beaucoup de musiques, d’artistes et de morceaux. L’échange prend également cette forme-là.

Deep : Ça a été une vraie rencontre, à la fois humaine et à la fois musicale. J’ai appris plein de trucs de Romain parce que j’étais assez bloqué par rapport au fait de faire de la musique. J’étais frustré car je n’arrivais pas à dépasser certains caps. Le fait que Romain ait cette ouverture d’esprit, parce qu’il y avait plein de choses qu’il ne connaissait pas, et en même temps ce talent, ça m’a permis d’arrêter de dire toutes les 20 secondes « oui, mais un tel a fait cette piste la mieux qu’un autre ». Cela a permis d’être plus spontané et d’instaurer une certaine connivence pour aller vers des choses qui nous plaisaient. Puis, il faut le dire parce que c’est rare, mais ça a matché. Romain est plus technique que moi, plus talentueux et je le dis parce que c’est vrai, c’est un musicien et ce n’est pas mon cas. Cependant, lorsqu’on travaille ensemble, il y a une alchimie qui est difficile a définir qui fait que ça marche, on arrive a se surprendre de la direction que prennent les choses et c’est cool.

Romain : Quoi qu’il en soit, le fait de collaborer comme ça, ça nous a fait travailler de façon différente, autant dans l’aspect technique qu’artistique, du coup c’est une musique qu’on aurait pas pu faire seul. Il y a une sorte d’autorégulation qui se fait comme ça.

Crédit Photo – Omay GOKSU