Si la mode semble être au duo fille/garçon d’électro-indie-pop alors il est indispensable de parler de The Hundred In The Hands. Originaire de Brooklyn et composé de Eleanore Everdell et Jason Friedman, le couple new-yorkais se fait rapidement connaître en 2009 avec leur premier single “Dressed In Dresden” qui nous plonge directement dans leur univers électro-gothique. Un an plus tard, leur premier album éponyme sort chez le célèbre label Warp et permet au groupe de se produire aux quatre coins de la planète pendant plus d’un an et demi. Mais un retour au studio et à la composition s’imposait presque naturellement après plusieurs mois de concerts pour le duo. Un retour dans la pénombre de leur laboratoire musical à explorer des sonorités inconnues pour se détacher le plus possible de leurs créations précédentes. Ce n’est qu’à la tombée de la nuit que les deux inséparables personnages sortent de leur univers pour se confronter à une ville hostile, déserte mais lumineuse. Une atmosphère urbaine et underground dont ils se nourrissent et s’influencent pour se remettre à créer et qui en quelques mois donna… “Red Night”, deuxième album, profond et envoutant, du duo de Brooklyn. Rencontre en toute simplicité avec ce couple de passionnés avant la sortie de leur nouvel opus le 11 juin prochain?

– Est-ce que vous pouvez vous présenter et nous raconter comment vous vous êtes rencontrés ?

Jason : C’est une amie qui m’a présenté Eleanore et on s’est tout de suite très bien entendu. A l’époque j’avais un groupe d’indie-rock qui marchait pas mal, The Boggs, et comme on faisait pas mal de concerts j’ai proposé à Eleanore de nous suivre sur quelques dates ce qu’elle a fait. Dès qu’on avait un peu de temps libre on faisait de la musique tous les deux et ça a bien fonctionné dès le début…

Eleanore : Avant que je rencontre Jason, je travaillais sur ma propre musique, une sorte de folk expérimentale. Mais un moment j’en avais marre de New-York, je tournais en rond et j’avais envie de changer d’air. Au même moment, Jason m’a proposé de le suivre en tournée et donc j’y suis allée. Rapidement je me suis rendue compte qu’être ensemble, faire de la musique et travailler tous les deux  était une nécessité.

– Qu’est-ce qui s’est passé entre vous deux pour que vous décidiez subitement de former un groupe ?

Jason : Je ne m’en rappelle plus, c’est arrivé très vite en fait. Quand on était en tournée avec The Boggs, j’ai écrit « Dressed In Dressden ». Ensuite on est allé en studio avec Eleanore avec une idée pas vraiment précise de ce qu’on voulait faire. Mais lorsqu’on s’est mis à jouer, quelque chose d’alchimique s’est produit… En deux jours on avait déjà enregistré pas mal de morceaux !

– Comment se sont passées ces deux années de travail sur votre nouvel album « Red Night » ?

Eleanore : Notre premier album a été très bien accueilli du coup on a fait pas mal de concerts. Le travail de préparation  de notre second album s’est majoritairement passé en tournée ; presque pendant un an et demi. Avec Jason, on ne prépare rien. On joue quelque chose et si ça nous plaît on l’explore jusqu’à atteindre un morceau cohérent et qu’on aime.

Jason : Notre premier album nous a appris à écrire et à travailler ensemble. On essayait de rassembler tous les groupes qu’on aimait, les styles musicaux qui nous influençaient pour s’en inspirer. Pour « Red Night », ça a été totalement l’inverse : c’était beaucoup plus fluide et plus simple comme on avait appris comment on fonctionnait lorsqu’on travaille tous les deux. On n’a pas non plus écouté d’autres groupes du moment pour s’en inspirer ou trouver des trucs qui sonnaient bien… On a créé notre son et notre univers dans notre studio comme on en avait envie.

            

–  Red Night » est vraiment différent de votre premier album, moins pop, plus sombre et plus planant. Est-ce que c’était cet univers que vous vouliez approcher en commençant ce nouvel album ?

Eleanore : Avant que l’on commence à travailler sur ce second album, une chose était sûre : on voulait expérimenter des sons et des textures qui sortaient du cadre de ce qu’on avait fait avec notre premier opus. Le fait qu’on ait eu un son plus sombre et plus dansant dépend aussi des éléments qui affectent notre vie.

Jason : Il n’y a pas de références dans cet album comme je te disais tout à l’heure. Du coup ça donne ce côté sombre mais c’est vrai qu’au début on ne savait pas si on voulait aller dans cette direction. C’est la composition qui nous y a menés…

– Est-ce que Warp vous a laissé beaucoup de libertés quant au fait de changer de style et d’aller dans cette direction ?

Jason : Bien sûr et toute l’équipe du label nous a beaucoup aidés pour ça. Dès qu’on leur faisait écouter des trucs, ils nous disaient : « Cela ressemble trop au premier album ! ».

Eleanore : Ils nous ont vraiment aidés à explorer d’autres horizons et à ne pas avoir peur de se lancer dans quelque chose de nouveau.

– La pochette de l’album, le nom des morceaux (« Red Night », « Tunnels », « Empty Stations », certaines sonorités… me font penser à un univers urbain, à une sorte de métropole déserte et effrayante. Pourquoi avoir fait ce choix et d’où vous est venue l’idée ?

Jason : C’est vrai qu’on a été inspiré par cet univers. « Empty Station » c’est l’écho que tu entends lorsque tu es sur le quai d’une station de métro déserte tard la nuit et que tu attends ton train… Au moment où on a commencé à composer cet album il y a eu des évènements importants et un peu tristes qui se sont passés dans nos vies. On était sous l’emprise d’une légère mélancolie quand on travaillait. Mais il y a un véritable cheminement : « Empty Station » c’est le début de cette période un peu noir qui se referme avec « Led In The Light ». Entre les deux c’est l’évolution de nos sentiments et de nos états d’âme qui ressortent… L’album entier reflète le processus par lequel on est sorti de ça.

Eleanore : Mais ça reflète aussi l’atmosphère qu’on a voulu donné à l’album. Le fait de vivre la nuit, dans un monde underground, hors du mode de vie des gens « normaux », ceux qui travaillent la journée je veux dire. Quand ils quittent leurs bureaux et que les tours se vident et deviennent d’immenses cages de verre illuminées.

– Quelle ville alors ressemblerait le plus à celle que vous décrivez dans « Red Night » ?

Jason : Pour moi c’est une ville psychologique, une ville déserte qu’on a inventé.

Eleanore : C’est une ville entre New-York, Berlin,…

Jason : Elle dit ça parce que ce sont les deux villes où elle a vécu. Détroit coïnciderait bien avec notre “ville”.

           

– Cet album reste-t-il selon vous un album de « Summer Gothic Music » ?

Jason : Je n’aime pas trop ce genre de définition de notre musique. La presse aime bien trouver des nouveaux genres pour définir un style qu’elle ne connait pas. Maintenant je dirais qu’on fait de la « Winter Gothic Music » !

Eleanore : Juste « Gothic » !

– Quelles sont les plus grandes difficultés auxquelles on peut faire face lorsqu’on forme un groupe à deux personnes ?

Jason : Il n’y a jamais de majorité !

Eleanore : C’est vrai que c’est embêtant parfois ! Mais maintenant on joue avec un batteur sur la tournée et c’est vraiment bien d’avoir une énergie en plus. En plus on s’entend bien tous les trois !

– Est-ce que vous avez déjà pensé à prendre d’autres musiciens, en plus d’un batteur ?

Jason : Le rêve d’Eleanore ce serait d’avoir un chœur de trente personnes avec elle !

Eleanore : J’adorerai ! On y pense mais on a une contrainte de temps et d’argent…

– Aujourd’hui, il y a de plus en plus de groupes formés uniquement d’une fille et d’un garçon (Beach House, The Kills, Sing Tank, The Dø,…). Comment expliquez-vous cela ? Y a-t-il une énergie particulière dans un duo fille/garçon ?

Jason : Je pense que ce phénomène a commencé grâce aux avancées technologiques et à tous ces nouveaux logiciels pour faire de la musique. A deux maintenant tu peux faire un truc super, sans dépenser énormément d’argent non plus. Avec un groupe de six musiciens c’est beaucoup plus difficile. Après je pense aussi que le rock a été pendant longtemps un milieu très machiste. Mais la tendance s’est inversée et de plus en plus de chanteuses réussissent à s’y affirmer car la connexion homme/femme est plus forte aujourd’hui.

Eleanore : Je pense que le prix que demandent les tourneurs et les cachets des artistes jouent un rôle important là-dedans aussi. Quand tu tournes seulement à deux c’est plus facile pour les programmateurs et moins coûteux. L’âge aussi joue un rôle décisif : beaucoup de groupes commencent à jouer alors que les membres ont dix-huit ans ; ils font ça pour se marrer. Ensuite quand tu dois t’impliquer vraiment et faire des sacrifices, il y en a qui abandonne et du coup tu te retrouves rapidement à être moins nombreux dans ton groupe… Jusqu’à être deux et c’est souvent ton meilleur potes.

– Quels sont les duos homme/femme que vous connaissez en France ?

Jason: Je n’en connais qu’un : Serge Gainsbourg et Jane Birkin