Forcément, son nom ne vous est pas inconnu. Vous l’avez sûrement croisé au détour d’un festival ou entendu dans un radioshow. Il faut bien l’avouer, la DJ et productrice suisse Audrey Danza a le sens de la vitesse et du travail acharné. Un phrasé rapide et des idées organisées, peu de temps pour les digressions. Ce qui n’est pas pour nous déplaire, l’interview que l’on nous a accordée est de 30 minutes, montre en main. Nous sommes à Rennes où, chaque année à l’entrée du mois de décembre depuis bientôt un demi siècle, le festival, rassemblement et lieu de découvertes que sont les Transmusicales prennent leurs quartiers.
Passée par des études d’Histoire et de Science-Po, Audrey Danza ne se destine pas de prime abord à faire danser des milliers de personnes. Son chemin va croiser un peu par hasard l’univers de l’évènementiel et du djing. Après s’être occupée de la communication du Motel Campo à Genève, elle décide de se consacrer entièrement à la musique. Naviguant dans un axe Genève – Berlin, elle multiplie les dates et les liens, et créé en 2020 Proxima Records, un label spécialisé en rééditions 80’s et 90’s aux références pointues, voir obscures. Un univers aux nombreuses influences, allant de l’italo-disco italien à l’ambient espagnol bizarre, lorgnant sur le new-beat et carressant la synth-pop belge. Et si créer un label de rééditions n’a rien de très original en soit, Audrey Danza ne s’y cantonne pas juste à sortir des disques pour sortir des disques ; elle réalise une proposition pointue mettant à l’honneur des sonorités innovantes et inattendues, attisant notre curiosité. Dans cette 45ème édition du festival breton où une certaine scène suisse florissante est mise à l’honneur – le label et disquaire Bongoe Joe, habitué de nos colonnes, présente 7 artistes issu.e.s de son label ! – le prétexte étant tout trouvé, rencontre avec l’une de ses dernières recrues.
Tu es à la fois DJ, productrice et à la tête de ton propre label. Comment arrives-tu à t’organiser dans ces différents rôles ? Si tu devais en choisir un, lequel serait-il ?
Tout a commencé avec la pratique du mix, c’était vraiment ce qui m’intéressait au début. La création de mon label Proxima s’est faite un peu par hasard alors que je cherchais un disque spécifique et énigmatique, introuvable en version digitale et vinyle. J’ai pris l’initiative de contacter les producteurs à l’origine du morceau dans l’idée de le ressortir. Je me suis entourée des bonnes personnes pour m’encadrer et m’apporter les connaissances techniques nécessaires pour rééditer ce disque. Ensuite, nous avons enchaîné plusieurs releases, entre rééditions et compilations. À partir de là, la question de la production s’est posée, j’ai commencé à produire mes premiers édits et remixes.
Dans le mix tu as vraiment ce sentiment très fort et intense de partage avec le public. Chaque expérience en club reste unique, aucune soirée ne se ressemble. Quand je voyage seule avec des copines ou avec mon copain, j’essaye d’imaginer comment va se dérouler l’évènement même si c’est impossible. C’est comme si tu étais propulser dans des « minis mondes », ce sont des moments courts mais intenses en connexions et rencontres. La production c’est un peu plus introspectif et la partie label, je dirais que cela ressemble un peu plus à mes anciennes activités par le travail de recherche et d’archive. On part à la recherche des vieux disques où l’on essaye de raconter une histoire. Je ne pense pas que je pourrais choisir un plus en particulier, ces trois rôles m’intéressent tout autant.
Proxima records met en avant des rééditions des années 80 et 90, alternant entre italo-disco et synth-pop, trance et ambient. Quelle était l’esthétique et la direction artistique ?
L’esthétique de Proxima suit mon évolution musicale. Au début, j’étais très orientée autour de la disco et de l’italo. La première sortie sur mon label, A.E.A.E.O. de Nando Litteri le reflète bien. Pour la petite histoire, ce fameux morceau je l’ai entendu pour la première fois en 2017 ou 2018, lors d’un set incroyable de Jex Opolis au Dekmantel. Je me souviens quand il l’a passé, ça m’a rendu complètement dingue et je me suis dis il faut à tout prix que je le retrouve. Le fameux disque qui m’a permis de lancer mon label !
Une fois ce premier disque réédité, on a enchaîné avec un sortie new-beat produite par Ze’Rocks alias de Joe Bogart à l’origine du hit “Pump Up the Jam” de Technotronic. C’est sur ce disque que j’ai fais mon premier remix. Ensuite Cold End, une sortie beaucoup plus synth-pop, un disque assez digger en soit. Actuellement, nous travaillons sur trois releases d’Harmon Eyes, le side project du producteur suédois Peter Benisch. Il a sorti pas mal de choses à l’époque avec Adam Beyer. Je m’y suis intéressée pour sa période early 90’s avec des tracks très hypnotiques techno et trance. Nous avons déjà sorti deux disques. Le 3ème est en cours, une sortie quasi introuvable et très demandée sur Discogs. Je suis vraiment très fière d’avoir pu concrétiser ce projet. Lors de mon passage à Stockholm l’été dernier j’ai créé un lien fort avec Peter Benisch où nous avons pu échanger sur notre collaboration. Au-delà de la réédition, il y a cette envie de créer quelque chose de nouveau avec la réalisation d’une nouvelle cover pour le disque, illustrée par une amie berlinoise. Pour toutes nos releases, nous travaillons avec nos amis et distributeurs de Sounds Metaphors à Berlin. On fait tout le processus avec eux et ça se passe toujours très bien avec un réseau très large qui s’étend jusqu’au Japon. Je pense que leur façon de travailler a plu à Peter.
On connait ton esthétique à la fois entre italo-disco/synth-pop et en même temps trance et house progressive. Comment la définirais-tu ?
Je pense que mon son a évolué depuis quelques années, avant je jouais beaucoup plus italo-disco et disco. Après ça m’arrive encore de jouer ce genre d’influences lorsque que cela s’adapte au lieu et au public. Actuellement je joue techno, trance. Je considère que ce n’est jamais dark, je vais jouer jusqu’à 140 BPM max – une fois, j’ai fais une track à 145 – mais jamais au-delà. Autant je peux passer de la techno et de la psy-trance, autant je peux m’orienter vers de la house. Toujours dans une orientation assez colorée, pumpy et feel good et même si j’aime bien les trucs étranges, ce ne sera jamais dark, froid. Je pense que mon ami Kasper Marott m’a clairement influencée et continue de m’influencer dans mon esthétique actuelle. Lorsque je m’orientais plus vers la disco et l’italo, c’était plutôt Sounds Mephors qui m’influençait. Ce sont des cycles, c’est un processus sans fin. Aujourd’hui j’adore jouer de la trance progressive mais ça risque très certainement d’évoluer.
Cette année, tu enchaînes clairement les dates ! Il y a un mois nous t’avons croisé au Positive Education à St Etienne, aujourd’hui nous te retrouvons aux Transmusicales à Rennes, festival défricheur et réputé pour dénicher les nouveaux talents de demain. Comment te sens-tu pour ce soir ? Est-ce une date particulière pour toi ?
Je suis vraiment honorée de jouer aux Trans, même si ce n’est pas ma première fois à Rennes – j’ai été invité à jouer à l’Ubu, l’année dernière. Honnêtement, j’appréhende un peu de jouer dans la Green Room, je suis toujours un peu stressée à l’idée de jouer dans une grande salle. Même si finalement c’est toujours la même histoire, il faut essayer d’aborder chaque date de la même manière et réussir à capter le flow et le lien avec le public…
Quels sont tes projets pour la suite ?
L’accent sera mis sur ma partie label ! Tout d’abord, je vais consacrer beaucoup d’énergie dans la sortie de mon premier EP et il y aura aussi un projet de compilation. En parallèle, je vais développer l’organisation de mes soirées implantées à l’origine à Genève au Motel Campo. L’évolution sera de les exporter dans de nouvelles villes telles que Paris, Londres, Bruxelles et aux Pays-Bas.
crédit photo : Neven Allgeier