Avoir un concept c’est mignon, mais l’appliquer et l’illustrer avec des faits concrets c’est encore mieux. En fait, il est facile de qualifier Perc d’homme de concept et d’action dans la mesure où il semble porter une attention particulière à ce qu’il fait et à l’art et la manière dont il l’exécute. Depuis sa première apparition dans les bacs à disques au début des années 2000, jusqu’à son dernier album, on a pu remarquer une recherche esthétique qui si elle n’était peut-être pas des plus pertinentes auparavant a nettement gagné en maturité et en expérience et en 12 ans de travail acharné, il était évident que ça paye un jour ou l’autre. Depuis 2007, son label Perc Trax n’a cessé d’illustrer une certaine idée de la techno, qui tend à se raffiner et se préciser avec le temps. Son premier Album Wicker & Steel était probablement un des points décisifs de sa carrière tandis que son nouvel album sorti en ce début d’année, “The Power And The Glory” souligné un aspect croustillant et un débat interminable, celui de la propriété d’une oeuvre d’art et de la liberté de son interprétation une fois produite. Du fait de son booking au Peacock Society Festival à Paris, nous avons pensé qu’il était pertinent de poser quelques questions à l’intéressé. 

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– Lorsque l’on regarde ta carrière sur le papier, on note une progression constante et un raffinement constant et asymptotique vers un son précis. Pour toi, Perc ça commence d’où ?

Au départ, j’essayais juste de faire de la musique qui pourrait correspondre à mes sets en club et à des sets de dj que je respectais. Probablement que par la suite lorsqu’on a achevé ces premiers objectifs comme entendre ses morceaux dans un club, sortir son premier vinyle, être joué par des gens que l’on admire, on s’en lasse et l’on a besoin d’aller plus loin. Pour moi, c’est ce qui sépare les bons artistes des « producteurs ».

Il y a un moment où l’on sait que l’on a gagné le respect de ses pairs. De là, on peut soit exploiter le filon pour jouer plus et se faire plus d’argent, là où selon moi les vrais artistes prennent du recul et font preuve d’introspection pour se satisfaire et font de la musique avant tout pour eux. J’aime à penser que c’est dans cette partie que je me situe. Je suis plus satisfait que jamais de ma musique et je pense que je suis plus reconnu pour ma musique que je ne l’étais auparavant.

– L’innovation, la remise en question et le souci de non-répétition semblent être des aspects assez importants dans ton processus créatif. Comment approches-tu la notion de concept en techno qui parfois provient d’un flou entre le besoin de promotion et le besoin d’une histoire ?

Je pense que certains concepts ou certains thèmes sont extrêmement importants afin de maintenir la cohérence d’une sortie, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’un album. En revanche, un bon concept sans musique derrière n’a aucune consistance. Éviter la répétition m’apparait comme vital, si je m’ennuie de ce que je fais, même si ça me rapporte de l’argent, pourquoi cela serait-il susceptible d’intéresser qui que ce soit d’autre?

Un bon artiste construit sur ce qu’il a déjà réalisé et va de l’avant. Pas de virage sec vers un autre style, mais plus via un développement constant de sa vision de la musique. Comme tu le disais, bien sûr qu’il y a des concepts plaqués de manière rétroactive aux sorties, ça permet de donner à l’attaché(e) presse de la matière à vendre alors que lorsque les tracks étaient en train d’être composées elles s’appelaient « Track#46 », etc., etc.

J’aime avoir un concept qui tient la route avant de commencer un album. Le produit fini déviera peut-être de l’idée initiale cependant le concept doit-être présent dès le départ.

– Tu as commencé à sortir de la musique en 2002 et tu as sorti Wicker and Steel presque 10 ans après. Quel était le déclic pour que tu trouves une ligne directrice qui te convienne?

Lorsque je repense à la gestation de mon premier album, je réalise plusieurs choses. Premièrement, c’est qu’il y a très peu de bons albums de techno qui fonctionnent également pour l’écoute et qui ne se réduisent pas à un agrégat de tracks clubs. Deuxièmement, c’est que l’on a qu’une chance de sortir un premier album et que c’est probablement l’album qui attire le plus d’attention sur soi, peu importe le nombre d’albums que tu fais par la suite.

Pour ces raisons, j’ai attendu quelques années avant d’avoir le niveau de reconnaissance nécessaire et le respect de ma scène, ça m’a permis de laisser maturer mes compétences en production et de produire le nombre de morceaux nécessaires pour un album. Je pense que W&S était ma troisième tentative de faire un album. La première était complètement ratée, la seconde a été partiellement sortie sur CLR, c’était « Purple ».

– En même temps, tu n’étais pas oisif… Tu as fondé ton propre label, t’as sorti de la musique sur beaucoup d’autres labels, penses-tu que ces éléments étaient également nécessaires à ton développement en tant que producteur ?

Oui, bien sûr, Perc Trax m’a donné la liberté d’être moi-même, de sortir ce que je voulais quand je le voulais et d’apprendre de mes erreurs. Travailler avec d’autres labels te montre comment les gens travaillent et comment ils promeuvent et présentent la musique. Je pense notamment à Lucy de Stroboscopic Artefact, de Chris Liebing à CLR ou encore à Michaël Mayer chez Kompakt, ils ont tous eu une énorme influence sur la façon dont je travaille maintenant. Chacun de ces labels m’a fait vivre des expériences et m’a permis d’acquérir des connaissances qui m’ont permis de mettre en avant Perc Trax et ma musique.

– Tu as sorti deux LPs sur ton propre label, c’est une chose que peu d’artistes dont. Était-ce important pour toi de tout maitriser de la naissance du concept au produit fini ? Être son propre A & R n’est pas chose facile…

C’est une question de contrôle. Si un autre label m’avait fait une offre intéressante pour sortir un album, je ne leur aurais rien fait écouter tant que l’album n’aurait pas été totalement fini. S’il m’aurait demandé de change l’ordre des morceaux, de faire un type d’Outro précis ou quoi que ce soit d’autre, je serai allé voir ailleurs.

Mes albums sont les points marquants de ma carrière et je pense que c’est sur ça que je serais jugé dans les années à venir. Néanmoins, j’ai besoin d’un contrôle total sur la musique, la production, le mixage final, le mastering, l’artwork et la promotion. Si je sortais un album avec un autre label et que ça avait foiré durant l’une de ces étapes et que cela ne dépendait pas de moi, je n’aurais jamais pu me le pardonner. Au moins, avec Perc Trax, chaque succès et chaque échec viennent de moi et je peux l’assumer.

– Ton dernier LP a fait l’objet d’une belle récupération politique après sa sortie. Dans un monde ou le journalisme et la chasse au sujet créé riment parfois avec consanguinité, comment penses-tu que l’artiste possède son œuvre et jusqu’où peut aller la réinterprétation ?

Dès lors qu’un album ou un Ep est sorti, il ne vous appartient plus. Les gens l’interprètent, ce sont leurs points de vue il est recevable et de toute façon les journalistes écriront ce qu’ils y voudront bien y voir. J’ai appris que l’on peut guider les gens dans une certaine direction avec un Artwork un communiqué de presse, etc., etc., mais malgré tout cela, on ne peut pas avoir le contrôle sur une œuvre une fois qu’elle est parue. Ça revient comme je le disais précédemment à avoir un concept derrière sa sortie, ça donne aux gens quelque chose à quoi rattacher l’album et c’est également un point de départ pour les journalistes que ce soit pour une interview ou une simple review.

Il n’y a rien de pire qu’un album décrit tel un assortiment de bangers club écrit par tel artiste sur ces trois dernières années, ou sinon une intro du style « XXXX artiste reviens avec son douzième album de dub techno ». C’est exactement le genre de merde qui fait que la techno et plus largement l’EDM a la sale réputation d’avoir des artistes insipides et qu’on dénigre leurs albums. Ça me met hors de moi et ça me donne encore plus envie que mes albums aient une valeur dans la durée plus qu’un simple ramassis de tracks uniquement destinés aux clubs.

– Dans le cas de « The Power and The Glory » il y a bel et bien un angle politique, n’est-ce pas ?

J’ai commencé avec une approche politique et je pense qu’elle était toujours présente lorsque l’album est sorti. Ce n’était ni subtile, ni ouvertement revendiqué. Bien sûr, avec de la musique largement instrumentale il semble plus difficile de faire passer un message que par l’intermédiaire d’un chanteur qui se tient debout avec sa guitare sèche, mais je pense que les journalistes et les critiques ont bien saisi la portée politique de l’objet.

– Pour un LP, il vaut mieux avoir un concept fort et des idées à développer, mais penses-tu que la techno n’ait jamais eu quoi que ce soit de politique ? Penses-tu que le club en général et tous les codes qu’il comporte sont d’une manière ou d’une autre liés à une protestation ou une dénonciation de quelque chose ? Comment appréhendes-tu le fait de défendre ton LP dans les clubs ?

La techno n’a jamais rien eu de politique, mais aujourd’hui, c’est encore moins politique que ça ne l’a jamais été. Il y a de nombreuses explications à cela, particulièrement au UK où les gens n’ont jamais été aussi apathiques en ce qui concerne la politique qu’aujourd’hui. Le truc à propos de mon dernier album c’est qu’il ne met pas en exergue un problème politique en plein dans ta face, les morceaux clubs fonctionnent en club. C’est un équilibre à trouver entre le fait de faire de la musique fonctionnelle qui se suffit à elle même et faire des morceaux avec un message et une signification dans le temps et dans l’espace.

– On dirait que tu as beaucoup raffiné ton son vers quelque chose de plus précis, tu as pris des risques dans le choix de tes remixes et tu t’es plus focalisé sur des influences telles que Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire ou peut-être même Muslim Gauze. Il y avait une portée politique dans ses musiques qui est parfois encore pertinente aujourd’hui. Penses-tu que ce soit une solution pour résister aux affres du temps ?

Oui j’ai en effet puisé dans ces influences, mais je dois dire que je n’ai encore jamais écouté de Muslim Gauze de ma vie. C’est quelque chose que je dois faire depuis un petit moment, mais je n’ai pas encore sauté le pas. C’est étrange, car le fait d’adopter une posture politique permet de figer l’album dans le temps et de le connecter avec son époque. Finalement, oui j’ai l’impression qu’au lieu de donner quelque chose qui soit seulement une part de, ça en devient plus que de la musique, ça revêt une valeur différente.

– La photographie fonctionne un peu de la même manière. C’est une photo d’un moment qui reste figée pour toujours.

Bien sûr, cependant, un Photographe, même s’il met en scène et qu’il a parfois recours à de la postproduction, il reste dans la représentation pur et dur d’un moment vécu.

Peut-être que l’enregistrement d’un groupe qui joue serait plus exact, même si la musique électronique n’a pas de fondations, c’est juste généré et enregistré par des machines, il n’y a pas de performance de base sur le moment. Spécialement avec la manière dont je produis, qui est très lente et méticuleuse. Ça laisse donc peu de place à la « performance », car tout est soigneusement édité et manipulé bien loin des objets sonores initiaux.

– As-tu ton propre studio ?

J’ai un studio chez moi. Il y avait récemment un article à propos de ça en ligne. Une personne a dit que c’était un mensonge de ma part et que je mentais sur mon setup qui était bien trop cheap et lo-fi pour faire ma musique, mais si seulement… (rire)

– Trouves-tu ça normal d’être constamment entouré de la possibilité de travailler sur tes machines. Tu n’as jamais pensé à prendre tes distances ?

Je préfère être entouré de mes machines, vivre avec elles et toujours les avoir sous la main. Un studio dans une partie séparée de ma maison ça pourrait le faire, mais même avoir un studio à 10 minutes de chez moi créer une distance trop grande entre mon foyer et faire de la musique. Cela changerait probablement ma façon de formaliser mes idées et de pouvoir agir dessus en temps réel. Je n’ai jamais ressenti le besoin de créer une séparation entre mon quotidien et ma musique. Les deux éléments sont intimement liés et je travaille 16 heures par jours même si j’ai rarement l’impression d’être au travail, car j’aime ce que je fais.

– Depuis que tu as commencé jusqu’à aujourd’hui, comment ton studio a-t-il évolué ?

Il est en changement constant, les machines viennent et partent tout le temps. C’est passé d’un setup purement hardware à un setup hybride avec quelques softwares, mais à part ça, il n’y a pas vraiment de règles. C’est essentiellement des pédales à effet, des boites à rythmes avec de temps en temps un synthé qui pointe le bout de son nez. Si j’aime la machine elle reste, sinon elle part je suis pas fétichiste des machines je ne conserve pas tout ce qui passe chez moi.

– L’année dernière, tu as ouvert deux sous label, comment ta vision de cette industrie a évolué depuis l’ouverture de Perc Trax ?

J’ai compris comment fonctionnait cette industrie, mais j’ai toujours le sentiment que je fais ce que je fais pour l’amour de la musique et des artistes plus que pour faire de l’argent. Le passage aux albums a forcément été un élément déclencheur, mais également le fait de stopper les sorties uniquement digitales. Il y a d’autres domaines sur lesquels je veux développer le label, mais j’ai tendance à être assez précautionneux et je n’aime pas bouger trop rapidement ou attirer l’attention de manière trop envahissante au risque de paraître mercantile. Je n’aime pas quand les autres labels le font, donc je fais de mon mieux pour ne pas le faire de mon côté.

– Généralement lorsque les artistes ouvrent leurs labels c’est par besoin d’indépendance pour leurs sorties et dans un souci d’emploi du temps. Qu’elle était la motivation pour toi ?

C’est juste, c’est pour ces deux raisons que j’ai créé Perc Trax, être indépendant financièrement et surtout dans mon procédé créatif et enfin avoir un contrôle sur le calendrier des sorties. Avoir un label qui sort quelque chose que tu as produit 18 mois auparavant est très frustrant et cela détruit toute linéarité dans le suivi de l’artiste, ça empêche les auditeurs de voir son développement

– Comment travailles-tu avec les artistes que tu supportes et que tu veux pousser ?

Je dois être proche d’eux, ça rend les choses beaucoup plus faciles. Je pense qu’ils doivent avoir une attitude qui corresponde au label. Je les mets en avant du mieux que je peux, mais Perc Trax n’a pas l’envergure pour proposer des exclusivités. J’attends de l’artiste qu’il pousse le disque également de son côté et non qu’il attende qu’on lui mache tout le travaille. S’il travaille dans la même direction que moi dans ce cas-là il y a des résultats possibles, en terme de ventes, de reconnaissance et de retombées sur les dates, mais c’est dur et parfois il y en a certains que je trouve géniaux avec qui ça ne fonctionne pas.

– Avec le temps, t’as fait beaucoup de remixes, comment vois-tu l’exercice de style maintenant ?

En fait, je n’en ai pas fait tant que ça, beaucoup sont sur Discogs et apparaissent en double, car ils ont été ressortis dans des compilations sur d’autres labels, etc., etc. J’aime faire des remixes je prends ça comme un défi. Au début, j’en ai accepté beaucoup essentiellement pour l’argent, mais maintenant je choisis qui je remix avec bien plus d’attention.

Récemment, j’ai remixé East India Youth, un chanteur compositeur anglo-saxon, Ikonika sur Hyperdub et là je vais remixer un artiste de Noise que je respect énormément. C’est la diversité que j’apprécie, plusieurs types de musiques cependant toujours avec des artistes que j’aime. L’idée maintenant de remixer un track techno en un différent track techno ne m’attire plus du tout de toute façon.

– Maintenant, qu’est-ce qui t’attire en tant que producteur ?

Maintenant, je prends mon temps après la sortie de l’album. Comme je l’ai mentionné, j’ai fait quelques remixes, mais je vais me calmer pour un petit moment. En attendant, j’écoute mes nouveaux morceaux, j’apprends à utiliser mes nouvelles machines et je continue à bosser ma collaboration avec Truss.

– Un dernier mot ?

Merci pour le soutien, pour moi ainsi que pour les artistes du label. A bientôt !