Figure emblématique de la scène électronique bien connue de nos pages et de nos dancefloors, Théo Muller ne cesse de captiver les foules, de Lutèce à la pointe du Finistère. Fer de lance du collectif Midi Deux et de son label Krakzh, directeur artistique de la Machine du Moulin Rouge et de la Ferme de Quincé. Le producteur breton se révèle aussi à l’aise en tant que leader d’un band de punk avec Dalle Béton que derrière les platines. Affilié à la scène parisienne avec Concrète dans les années 2010, il renoue avec ses influences d’origines, le rock, le dub, et le trip-hop, illustrées sur ses sorties Diaoul (Lumière Noire) et Gouzañv Pe Unaniñ (Krakzh) et sa résidence à l’Ubu. Retour aux sources, le Breizh power est là.
Alors après une décennie d’activisme et un CV bien rempli, Théo Muller prend un nouveau virage en la qualité de directeur artistique du festival des Transmusicales, institution rennaise réputée pour sa qualité de défricheurs des nouveaux talents de demain. Celui que l’on surnomme déjà le bras droit de Jean-Louis Brossard, directeur historique et fondateur du festival, attire l’attention pour son rôle de jeune programmateur et en profite pour se retirer quelques temps de la scène (pour mieux y revenir). Rencontre au sommet, au Liberté, le QG des Transmusicales.
l’interview s’est déroulé le 6 décembre, aux Transmusicales de Rennes.
Comment ça va en ce moment ?
Ça va super, le festival bat son plein, il y a déjà de bons concerts qui sont passés. Fatigué mais content !
Chez Phonographe Corp, on te suit depuis tes débuts que ce soit derrière les platines, dans un groupe de punk ou à la direction artistique. Aujourd’hui, on te retrouve DA des Transmusicales. C’est un peu l’accomplissement de tout programmateur ?
Oui, cela vient d’un besoin de stabilité aussi. Je suis dans l’intermittence depuis un moment et papa depuis peu. Alors quand j’ai vu l’offre en avril, je me suis décidé à candidater. Et puis, cela faisait longtemps que j’avais ça en tête. Quand j’ai postulé je me suis retrouvé face à 150 candidatures, sincèrement je ne pensais pas que ça passerait !
Tu as déjà une belle expérience de programmateur. Qu’est-ce qui te plaît particulièrement dans ce rôle ?
Découvrir de la musique, être à l’affût de nouvelles sorties, ce qui va un peu de pair avec le rôle de DJ. Au-delà des musiques électroniques, j’ai aussi une culture rock et reggae. Alors je sors de ma zone de confort quand je m’intéresse à de la pop et à la chanson française. Je commence à m’y intéresser à apprécier certaines choses singulières. Cette année, j’ai repéré Liv Oddman, Kat White, Miki…
Comment construit-on une programmation ? Vous construisez une esthétique par scène ou dans sa globalité ?
Tu as un cadre, qui est un cadre horaire et des lieux associés à des scènes, par exemple le Hall 4 plus axé rock, le Hall 8 axé sono mondiale. La Green Room se concentre sur l’electro. Jean-Louis aime qu’il y ait des choses hors-cadres, que toutes les nationalités soient représentées. Son but ultime serait de pouvoir programmer toutes les nationalités, et il n’en est pas si loin sur 46 ans de Trans !
Forcément, il y a un cadre – même si on cherche des choses hors-cadres.
Cet après-midi, l’Azerbaïdjan sera représenté avec un concert de Rəhman Məmmədlii.
Rəhman Məmmədli, c’était un vrai défi pour le programmer aux Trans car les relations diplomatiques avec l’Azerbaïdjan ne sont pas évidentes en ce moment, et il y a eu pas mal de problèmes de visas… Signé chez Bongo Joe – Bongo Joe, c’est clairement une boussole pour Jean-Louis – c’est un ovni dans son genre avec un son de guitare tranchant, il joue aussi bien dans des mariages que des stades !

Tu es considéré comme le bras droit de Jean-Louis Brossard, directeur et fondateur des Transmusicales. Quelle a été ta partie sur la programmation ?
À mon arrivée en juillet dernier, environ 50% de la prog était déjà bouclée. Comme je suis spécialisé dans les musiques électroniques, je me suis occupé des noms de la Green Room, et les vides à combler sur d’autres scènes. J’ai proposé d’autres noms comme Miki, ou Kukii. Forcément, tout ce qui est rock et sono mondiale c’est le rayon de Jean-Louis.
En 6 mois de travail de programmation, vous avez travaillé ensemble, vous avez fait des festivals ?
Oui, et on écoute beaucoup de disques. C’est assez délirant le nombre de disques que reçoit chaque semaine Jean-Louis à son bureau. Bien sûr, on va voir des petits concerts, on a la chance d’avoir une scène très riche ici, en particulier dans le rock. La dernière fois nous sommes allés voir un groupe rennais sympa qui s’appelle Margaret Tchatcheuse. La prog est bouclée en septembre, et on enchaîne avec la promo ensuite. L’année prochaine on va faire plusieurs festivals (l’Euro Sonic, The Great Escape) et continuer de construire ensemble.
J’ai retrouvé ta patte un peu ‘électronique’ dans cette programmation 2024 !
C’était un peu ma crainte… Après aujourd’hui, la musique électronique se retrouve un peu dans chaque projet. Par exemple, Kaba & Hyas c’est de la musique électronique derrière. Je vois ça comme un outil, un instrument. Avec Fckers et Baraka (maintenant Pure Blast, ndr), c’est le coté live, un truc d’hybridation qui s’incorpore partout.
J’ai du faire écouter 400 trucs à Jean-Louis – Pure Blast, A Strange Wedding, Hewan Aman, Mia Koden… – et il n’a pas toujours adhéré. A Strange Wedding, ça me semble amplement mérité même si on le connaît aujourd’hui c’est un peu le boss de la techno, le Voiski d’il y a 10 ans. Avec Baraka, ils jouent pour la première fois avec un batteur (le batteur du groupe Parcels, ndr), au début Jean-Louis voulait pas car cela ressemblait un peu trop à The Prodigy, ça l’ennuie, et je lui ai fait écouter un morceau de trip-hop et il a kiffé.
Après l’électro ce n’est pas nouveau, ça fait clairement parti de l’ADN des Trans. Dans les années 90, les raves finissaient à 13h avec Jeff Mills et Underground Résistance !
Aujourd’hui la musique électronique se retrouve un peu dans chaque projet. Je vois ça comme un outil, un instrument, un élément hybride qui s’incorpore partout.
Faut-il forcément un élément novateur pour chaque nom ?
Il faut que quelque chose sonne différemment. On s’adresse aussi à un public de professionnels internationaux, un vaste réseau de professionnels qui va faire qu’un groupe va exploser ensuite.
Fckers c’est l’exemple parfait, le groupe va être programmé à Coachella et à Primavera en 2025, on est dans le bon timming. Ils ont signé sur Technicolour (un des labels de Ninja Tune, ndr) et quand on a écouté ‘Bon Bon’, on l’a vite senti. Tu sens quand quelque chose sonne différemment, qu’il peut exploser. Tu prends aussi des paris sur certains trucs : pour 2025, je mise sur un rappeur anglais si bien que j’ai presque envie de mettre une exclu en France et un autre chanteur anglais dont je ne citerai pas les noms. Je fouille aussi, il y a tous les gros festivals (Le Guess Who?, l’Eurosonic, The Great Escape). J’ai vraiment envie de voir au Great Escape Urika’s bedroom, très trip-hop, il faut voir si ça joue bien en live.
Justement faut-il passer par la case live pour se faire une idée ?
Ça dépend, mais Jean-Louis aime bien voir en live avant de confirmer la date.
Après, il y a des trucs qui sont mortels en CDs et en live c’est mauvais. C’est surtout le cas pour la scène rock, tu ne te rends pas compte de l’impact que peut avoir un groupe si tu ne l’as pas vu. Cette année, il y avait Girl Ultra on était super fan, et ça n’a pas vraiment fonctionné. On peut pas gagner à tous les coups. Pour Miki j’étais ravi, elle a de beaux jours devant elle. C’est un peu comme le cas de Zaho de Sagazan, c’est être là au bon moment.
Quelles sont tes recommandations pour cette année ?
Benefits, The Internet Girl, le trio de choc Salma Rosa, Lou et Delphine Demord, Fckers forcément, Baraka (maintenant Pure Blast, ndr), Howie Lee et ses chants tibétains, Yannis and The Yaw avec le chanteur des Foals, Kukii, Nout…
Je sors un peu de ta casquette de directeur artistique. Dalle Béton c’est terminé ?
Dalle Béton c’est terminé ! (rires) Et oui, dernier concert de programmé la semaine prochaine au Transbo à Lyon ! On est invité par François des Bérus (Béruriers noirs) avec son nouveau projet No Suicide Act. On pensait jouer en première partie finalement il nous a invité pour faire la dernière ! On va être obligés de faire une répèt’, relou… (rires)
Krakhz et ta casquette de DJ, tu l’a mets un peu de côté ?
Je recule pour mieux sauter. J’ai mon dossier Trans, Ubu, DJing, je me gave de morceaux bien silencieusement et je ne vais pas les partager (rires)… J’ai pas envie de faire des édits de R’n’B pour continuer à tourner, j’ai envie de me focus, de remonter mon studio pour faire du trip-hop, du dub, du rock. Je vais arrêter Krakhz et lancer Dada Divagua, aller vraiment sur de la zik quoi !
J’ai dis que je prendrais uniquement les dates où je peux chialer et si je suis bien payé ! (rires) Comme au Positive Éducation cet été, où j’ai joué 3h ! J’adore la techno fluide comme quand j’étais un peu identifié sur Concrète, mais j’aime aussi commencer à 90 bpm. J’ai envie de me remettre à mixer des skeuds, pour me faire plaisir, ne pas être stresser de jouer. Je vais pas faire de bruit mais je reviendrai. Je bosse aussi sur mon projet d’album qui devrait voir le jour vers septembre 2025.
Ah, il y a un projet d’album ?
Oui avec un feat de Pupajim des Stand High Patrol ! Je l’ai déjà pas mal bossé dans le bâteau de mon beau-père à Douarnenez. J’ai envie de créer quelque chose qui résiste au temps, de non périssable.