Présenter Another Pixel, camarade de toujours et vétéran de nos soirées, est un défi pour nous, qui le connaissons depuis les débuts de Phonographe Corp. Quelle facette choisir ? Comment répéter des mots, des réflexions, des pensées, que nous lui avons déjà dits de vive voix, et que surtout nous avons déjà discutés avec lui ? Comment, par quelques lignes, condenser ainsi des années d’amitié commune, des dizaines de soirées, des conversations longues et tardives ?

Commençons au moins par deux adjectifs : digger, et DJ. DJ, au sens antique et vénérable : Another Pixel mixe sur vinyles, toujours. Ce n’est pas tant par style, encore moins par mode, que parce que c’est ainsi : AP, c’est le disque. On peut être attaché à la cire sans que ce soit une religion, mais parce que, héritier d’une époque, on veut en conserver l’amour des beaux objets, et leur attrait de texture. Ses nombreux sets en témoignent ; parmi eux, citons son mix pour notre première K7, en 2023, où il présente pleinement son univers, fait d’énergies urbaines et d’expérimentations cosmiques. Petit à petit, cet amour du vinyle s’est élargi à l’ensemble de l’analogique, dans un rapport à la musique qui s’est toujours voulu matériel et physique – bref, sensible sans médiation. Il réalise parfois des sets hybrides, en additionnant aux disques des boîtes à rythmes et synthétiseurs.
Or ces disques, il faut les trouver : d’où son second caractère, “digger“. Another Pixel s’est fait le constructeur d’une collection fine, très diverse, résultat d’une passion toujours vive ; travail qui n’a nulle trace, sauf quand on l’entend.

Le point commun de ces deux adjectifs, c’est naturellement l’écoute : le vinyle, plus que tout autre objet de mix, demande d’avoir l’ouïe fine. Non seulement faut-il une oreille précise ; mais surtout, il faut une oreille attentive, intelligente, et patiente. Quand la moindre variation de tempo entraîne, sans aucun déguisement possible, une variation inévitable de tonalité, le DJ doit se mettre dans cette position d’humilité face au morceau qu’il joue ; on retrouve une telle humilité quand on cherche des vinyles, car, naturellement, on ne peut pas tout rapporter chez soi. Dans ce moment particulier, parfois inconfortable, qu’est la découverte d’une face chez un disquaire, l’oreille doit prendre la mesure entière du morceau ; patienter, aveugle, sans pouvoir avancer plus vite que la musique ; évaluer, seule, la richesse du morceau, et sa supériorité sur d’autres morceaux d’autres disques, qu’on va devoir laisser derrière soi, en se fondant malgré soi sur un souvenir toujours trop confus ; enfin, trancher, et choisir. Moments où l’on est aveugle, et où l’écoute règne seule. On ne sera pas surpris dès lors que notre Another Pixel ait eu, pour premier rapport à la musique, celle que d’autres lui ont fait écouter : son père, d’abord, et ses collections Krautrock, psychée et cosmique ; la radio, ensuite, surtout M40 et les mixs de DJ Sonic, pour la house de Chicago et la techno de Detroit.

À partir des années 90, donc, Another Pixel sort ses premiers mixs, sur cassette ; à l’écoute tout autant de la musique underground que des revendications qu’elle portait, il prend aussi la plume et le clavier pour exposer son histoire. Des conférences, et des activités de programmation ont complété son impressionnante production de sets au côté des collectifs rémois Stimuli puis Inner Corner. La suite, on la connaît. Il a joué pour tout : Rinse FM, Tsugi, Mellotron, Techno Import, La Forge, Rhythmic Culture, Yoodj’s… et partout : Rex Club, Dehors Brut, Dream Nation, Concrete…. Et nous avons souvent l’honneur de l’avoir dans nos soirées, où, selon les occasions, Another Pixel a su nous faire apprendre l’étendue de ses goûts ; de la techno et l’electro à l’IDM et la ghetto house, du breakbeat au drum and bass et à la bass… pour toujours donner, au fond, l’héritage conjoint des rythmiques du funk et des ambiances cosmiques. Il se produit aussi en live (notamment en groupe au sein des Sonotium Sessions, pour Lune Records). Ce n’est que pour saisir et pourtant figer les exigences pressantes du live qu’il a produit, en une prise, le morceau “Forte De Animo” (Les Eveillés Records) avec Benales, que nous avons analysé par ailleurs dans nos colonnes.

Avoir pour camarade un DJ hors-pair, voici ce qui est déjà exceptionnel. Je laisse imaginer alors quelle richesse se trouve dans l’amitié d’un homme tant à l’écoute.

Le podcast qu’Another Pixel nous propose ici se veut le premier épisode d’un travail sur les premières heures du DJing. Comme il le voit lui-même, c’est un hommage aux fêtes de rue, une jam de bpm et de sons divers. Et de fait, ce mix, produit avec deux Technics Mk2 et un Rane 70 A-Track mixer & looper, retranscrit une époque et une ambiance particulières, qui, même si elles sont à la racine de beaucoup de choses familières, restent éloignées de nous et, en un sens, difficilement accessibles. En mélangeant electrofunk, digital reggae, dancehall, hiphop, miamibass, boogie funk… AP nous donne ainsi l’occasion de découvrir un versant de la musique électronique qu’on oublie parfois, et qui demande, je crois, un certain effort pour le comprendre. L’oreille a besoin de travail pour s’approprier certaines sonorités, quand elles lui semblent étrangères. Ce mix fait apercevoir, s’il le fallait encore, un dernier qualificatif d’Another Pixel : il bosse. Avec lui, travaillons et écoutons.

Tracklist :
1. ACOUSTIC HIGH-END RESEARCH – Running Back Presents Strada Professional Sound Effects (Sonar Signal)
2. London Pirate Radio Advert refound by DEATH IS NOT THE END
3. DJ JUCO – The Carpp
4. ZED BIAS ft SHUMBA YOUTH – London Town (Acapella)
5. INKSWEL – untitled
6. KIPRICH – Too Freaky
7. SKILLA CULTURE – One Ganja Spliff
8. PRINCE JAZZBO – 333 (Version)
9. DON YUTE – Whasup, Whasup
10. TERRY LINEN – Rhythm Sudd
11. FARGO VOICE – Bashy
12. WHIZKID with YSL – Cut It Up Whiz (Bronx Static Mix)
13. CHI-ALI – Roadrunner (Puberty mix)
14. FLASH AND THE FURIOUS 5 – Fusion Beats Vol. 2
15. TOOSKEE + CZAR MC – No Chance (Instrumental)
16. MAGIC MIKE – Feel The Subwoofer Bass 2
17. DOMINO – Cuties Get Connected (Accappella)
18. HARD HEADED – Oh S__TI (Club Street Version)
19. DEBBIE DEB – Lookout Weekend
20. AFRO RICAN – Give It All You Got (Edwin Bautista Remix)
21. DJ TECHNICS – Party People
22. RESTLESS LEG SYNDROME – Represent The Fucking Planet
23. FLINT – Been 2 Long
24. MILANESE vs VIRUS SYNDICATE – You Can’t Remix
25. BUTTECHNO 7 – CLPM 7.001 Untitled B1
26. PENGUIN FEET & THE TEARDROP KID – You Got The Makings Of A Freak
27. BELGRADEYARD SOUND SYSTEM – Munchies (Edit)
28. WIN A TRIP TO HELL BREAKS ; Win a Trip to Hell Side B
29. DISRUPT – Proper Tings
30. DJ SHEPDOG – Bigger Than Jamrock
31. CRABOS – Epileptic Breaks (sample from Street Fighter)
32. MAGIC MIKE feat MC MADNESS – Drop That Bass
33. DJ MAGIC MIKE – Feel The Bass
34. K. ROCK – Teflon Territory
35. DRAUP – On Site
36. INDICA DUBS MEETS CONSCIOUS SOUNDS – Kings Dub
37. FLAUNT EDWARDS – Anymore
38. TAKAGI KAN – Love Break
39. DJ CLENT – Milkshake
40. DJ D-MAN – Shake Yo’ Money Maker
41. TIM DOG – Secret Fantasies (LP Version)
42. PAVEL MILYAKOV : PROJECT MIRRORS – 202 Days Of Summer
43. DJ SAUSAGE FINGAZ Skipless Scratch 2 (from Knockouts: Volume 1)
44. T.K. & SILVER BULLET – Tell Me Why
45. London Pirate Radio Advert refound by DEATH IS NOT THE END
46. ACOUSTIC HIGH-END RESEARCH – Running Back Presents Strada Professional Sound Effects (Sonar Signal)