Simo Cell, que nous invitons le 17 novembre prochain, a sorti tout récemment un EP sur Brothers From Different Mothers, Party 5 Mix [BFDM018]. Dans un style qui tranche avec ses productions usuelles (bien qu’on en retrouve évidemment quelques traits), cet EP explore les rythmes et breaks de dancehall, tout en gardant comme matériau premier, des sonorités de techno. Il nous propose donc un voyage rythmique, où la techno adopte le temps d’un séjour, une dynamique dancehall.

L’EP se compose de cinq morceaux : “Uranium”, “Balandbeat”, “A Wink Gone Wrong”, “La Pulga”, et “The Terrible Effect of Purple Drank”, qui se construisent tous autour d’une boucle rythmique particulière. À leur tour, ces boucles se développent autour d’un thème dancehall. Bien que ce soit un peu plus effacé en B1 et en B3, la déclinaison du thème est ce qui constitue l’identité du morceau.

Le thème dancehall fondamental est bien connu :

1/ Dans sa version reggaeton (“poum tchi ka tchi”)

2/ Dans version dancehall, c’est-à-dire, en gros, sans le “ka”, et sur la même note (“ta ta ta” en syncope)

Sa familiarité n’a plus de limite, quelques récents hits internationaux en ayant assuré, si besoin était, la diffusion. Voilà bien le premier aspect, extrêmement plaisant, de l’EP : son apparente familiarité et sa proximité immédiate. Il faut bien reconnaître que ce rythme chaloupé, balancé, syncopé, est chaleureux de lui-même. C’est le génie propre du dancehall, que de proposer un tempo et un rythme plaisant et immédiatement accessible.

Parallèlement, c’est le génie de Simo Cell, que d’attirer à la techno ces rythmes ordinaires en un pont extraordinaire qui, à ma connaissance, n’avait jamais été jeté. Certes, la vogue du dancehall en musique électronique n’est pas récente et prend par ailleurs de plus en plus d’ampleur. Mais de cette manière-là, il faut saluer l’inauguration car ici, ce n’est ni l’influence, ni l’utilisation de telle ou telle caractéristique qui est nouvelle, mais le composé. Le matériau, ce sont les sons secs, étouffés, de Bristol. La forme, le modelage, ce sont les boucles de dancehall.

“Uranium” (A1) et “Balandbeat” (A2) : l’exploration des sentiers du dancehall

"Uranium" met d’emblée en avant le rythme principal, que voici à droite. Le son, très bien fait, qui supporte ce rythme est froid, assez rude, composé de plusieurs notes écrasées et légèrement dissonantes. Il contraste délicieusement avec le rythme balancé et, surtout, il est monotone (il n’a qu’une note), ce qui lui donne une fonction percussive, alors qu’il évoquait, en lui-même, des sonorités potentiellement plus mélodiques. Par ce seul son, nous avons déjà l’idée excellente qui nervure tout l’EP : attribuer aux sons industriels des fonctions purement rythmiques. Ces sons, par la suite, seront plus ou moins fermés, plus ou moins métalliques, plus ou moins texturés ; l’essentiel est qu’ils servent le rythme caractéristique.

La boucle est progressivement enrichie, par des incises de notes écrasées, puis de plus en plus d’échos de sons frappés et tout en vibrations (un peu comme des timbres de caisse claire), enfin par le kick. Celle-ci aussi est très sec et couvre une large part du spectre sonore vertical, avec une partie du son très aiguë. Elle ne vient donc pas arrondir l’ensemble, comme il est souvent d’usage pour contrebalancer ces sons parasites (par exemple en dubstep). Bien que l’ensemble soit ventilé, et par là produise un très puissant effet, cela n’ajoute pas non plus de durée dans les sons : tout est immédiat - car cet aspect ventilé ne peut pas porter sur un motif particulier ou une note donnée, qu’il remplirait. Il fait comme un souffle pur, puissant mais incapable de soutien. Tout est concentré sur les attaques et c’est pourquoi, tous les échos, les réverbérations, les distorsions, ne soulignent pas les notes, mais viennent un peu comme des frictions ou des grésillements - voire des élans d’ions électriques qui entreraient en court-circuit. C’est d’ailleurs le sens du titre, “Uranium”. Il ne reste plus qu’à développer le thème et à le broder. La construction du morceau, dans la durée, va en ce sens puisque les différents éléments ne cessent de s’ajouter à la boucle et accentuent en continu l’énergie générale : roulements plus secs dans le pont, doubles croches, autres incises sur les temps ou en opposition.

“Balandbeat” poursuit le même principe de composition, et est très proche d’”Uranium”, pour deux raisons : la même construction autour de la boucle et son développement continu. La boucle rythmique conserve sa place capitale, soulignée dès le début du morceau par l’entrée directe du kick et des percussions plus aiguës. Toutefois, déclinant l’inspiration dancehall, le motif percussif n’est pas le même, mais comporte de légères variations (voir ci-contre). Outre ces modification rythmiques, deux différences sont à noter, dans les sons d’abord, et dans l’apparition d’une ligne mélodique ensuite.

Les sons utilisés sont plus chauds et moins métalliques. S’ils conservent leur aspect très puissants, ils sont un peu moins ventilés et perdent l’écrasement et la distorsion, ce qui leur permet d’être plus graves et plus analogiques. Le clap sur chaque temps souligne la vitesse du tempo (en 4x4 ici) et apporte une certaine stabilité, tandis que divers toms et snares, par leurs roulements et leurs breaks, les irruptions syncopées, ne cessent de dialoguer et de varier. Le rôle central des percussions est donc très bien réalisé, et est même confirmé par les questions et réponses des divers éléments. Comme pour "Uranium", il faut donc bien considérer l’évolution générale du morceau, et les apparitions successives des instruments en dialogue, pour en saisir la finesse.

L’apparition, au tiers du morceau, d’une courte ligne mélodique cristalline, est la seconde innovation de "Balandbeat". Sur deux mesures, les 8 notes tenues et liées de ce motif, en noires et en descente quasiment chromatique, contrastent agréablement avec les sons syncopés des percussions. Elles apportent une touche de liaison et de simplicité reposante. Leur seconde entrée les verra dans un ordre différent, et confirme la progression du morceau.

Si donc la similitude avec A1 est évidente, puisqu’ il s’agit d’une construction autour des mêmes thèmes, une écoute plus minutieuse révèle bon nombre de variations : dans les sons, dans l’apparition d’une ligne mélodique, mais aussi dans ce qui est pourtant le facteur le plus commun, à savoir le motif percussif. On commence à percevoir ce qui fait, l’identité propre de l’EP : des variations autour d’un thème, variations dont l’enjeu est de rendre le même fonds sonore alors que les éléments varient tous, même le matériau initial (la boucle de percussions). Exposé avec deux ambiances percussives distinctes, le caractère de l’EP est défini. Tout en gardant ce fil directeur, les trois morceaux suivants peuvent alors se permettre plus de liberté et de jeu.

“La Pulga” (B2), perle rare

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Sans suivre l’ordre de l’EP, il paraît judicieux de placer ici "La Pulga". En effet, ce morceau combine les pistes explorées dans "Uranium" et "Balandbeat" pour en faire un mélange particulièrement savoureux, auquel il ajoute un sample vocal en troisième élément très bien choisi. En prenant des sons à mi-chemin entre sons très frappés du premier morceaux et les sons plus ouverts et chauds du second, Simo Cell réussit ici à mélanger à la perfection les sons plus électroniques aux rythmes dancehall, et notamment dans le travail sonore de la voix.

De même qu’en A1 et A2, le morceau est aussi construit autour d’une boucle de percussions, qui, déclinant le même motif, est encore une fois différente. Cette boucle est plus simple que les deux premières (bien que, comme elles, elle s’étoffe progressivement). Dans ce cas, cela correspond à une forme d’efficacité. Il n’est pas besoin de plus d’éléments pour rendre le rythme syncopé souhaité, d’autant que, pour la première fois depuis le début de l’EP, la boucle partage le rôle principale avec un autre élément, vocal.

Plus que la boucle, en effet, la voix est l’élément marquant de B2 et colore immédiatement le morceau. L'ambiance confortable est rendue par le texte (“rapporte la coupe, Messi”) et le timbre, agréable et chaud. Celui-ci n'est cependant pas privé d’un aspect modifié et métallique, ce qui lui fait gagner en longévité et réverbération : ce double aspect confirme le mélange de traits de A2 (côté analogique) et de A1 (côté électronique), et permet d’allouer aux sons une note plus déterminée. La voix, dès lors, peut occuper l’espace, en offrant notamment des variations intéressantes et effectivement bien exploitées, comme le passage de la parole au chant (vocodé), et son accompagnement mélodique (et non plus seulement rythmique) par un synthé mi percussif, mi tonal.

La grande nouveauté, donc, c’est que la boucle n’est plus le seul élément central : elle partage ce rôle avec le sample vocal, dont l’utilisation permet en retour de moins fournir le motif percussif, dont la simplicité fait ressortir la puissance, par rapport à la voix.

Pour ce jeu habile de composition, "La Pulga", notamment parce qu’elle est plus complète que A1 et A2, et plus dans le thème que B1 et B3, nous paraît mériter - et de loin, la première place du podium. Le double jeu des percussions et de la voix, l’aspect humoristique des paroles, les habiles alternances de ponts et de relances que l’alliance de la boucle et du sample propose, sont autant d’éléments très riches, et très bien exploités, qui font de ce morceau un pionnier sonore, et une pierre d’angle dans le mélange des genres. Simo Cell est ici véritablement excellent, il dribble les règles du dancehall et lui impose son style de jeu résolument anglais : jonglant avec le genre, c’est une pleine lucarne !

Le retour mélodique de "A Wink Gone Wrong" (B1) et "The Terrible Effect of Purple Drank" (B3)

“La Pulga” est bien l’acmé de l’EP, puisqu’il parfait A1 et A3 et ouvre la voie aux motifs plus mélodiques de B1 et B3. Ces deux morceaux, que l’on peut aborder ensemble, amorcent un retour à la patte anglaise de Simo Cell, après l’explosion de saveurs de “La Pulga”. “A Wink Gone Wrong” et The “Terrible Effect of Purple Drank” sont, évidemment, construits autour d’une boucle.

Outre la variation autour du thème rythmique général, leur caractéristique commune est de renouer plus franchement avec les sons de la musique anglaise : ligne de basse, shakers, et nappes d’accords lumineux et contemplatifs dans B1 ;  percussions plus fermées, notes lontaines tenues, aprèges cristallins, échos métalliques, et wobbles dans B3. Les deux morceaux sont ainsi plus calmes et plus statiques ; en 2-step, leur lenteur s’oppose agréablement aux rythmes décalés des trois autres morceaux. Dans les sonorités des percussions également, on trouve un déplacement d’ambiance. Si celles de B1 restent puissantes, elles font plus songer à certaines batteries des années 80 pleines d’écho qu’à celles des premiers morceaux ; quant à celles de B3, elles sont très étouffées, moins soufflées, plus proches des subs de dubstep que du dancehall, exception faite de la caisse claire.

L’aspect mélodique offre à l’auditeur une vague reposante de fraîcheur, et donne une couleur plus sombre, plus sérieuse, plus grave. C’est au point d’en faire oublier le balancement caractéristique du dancehall dans B1, jusqu’au pont du moins, où le retour de roulements et l’effacement des nappes rappellent le thème commun. Parallèlement, dans B3, le travail des sonorités profondes des lignes de basse fait passer au second plan le motif rythmique, qui est moins régulier, mais plus en vagues successives (das chaque mesure, 2 temps de lancée, 2 temps de retombée). Il faut attendre les passages où la caisse claire, très distincte malgré son écrasement , laisse tomber ses deux notes (lune plus fermée, l’autre plus ouverte et par là plus aiguë), pour que l’oreille retrouve le balancement initial. Très finement et comme imperceptiblement, donc, B1 et B3 s’éloignent du thème principal de l’EP tout en le gardant en arrière plan.

Ces deux tracks renouent donc avec la veine initiale de Simo Cell et des ses atmosphères texturées habituelles. Et en effet, il était très sage de ne pas s’obstiner à produire un EP entier autour d’une seule idée : ici, c’est de manière très naturelle que reviennent les sons électroniques anglais, et c’était une très bonne idée que de garder cette tendance tout en conservant, en filigrane, le fil directeur de l’EP. Plutôt que deux autres tracks redondantes, on a ici le plaisir de voir les nappes occuper à nouveau l’espace, quand bien même cet espace serait modelé, au loin, par la prédominance des syncopes du dancehall. C’est grâce à elles qu’on perçoit la proximité de ces rythmes d’avec les productions usuelles en musique anglaise : il s’agit ici moins de souligner une innovation musicale, en rupture avec l’emploi traditionnel des rythmes jamaïcains, que d’évoquer avec finesse leur influence quotidienne sur la musique anglaise, et en particulier via le dub, pour le dubstep (B3).

Cet EP sonne, d’abord, comme des vacances. La familiarité des rythmes, mêlée à une certain étrangeté des sons, est très agréable à l’oreille, et sans doute saura animer les dancefloors. Mais au delà, il faut souligner l’audace de cette composition inédite. Le jeu avec les règles du dancehall est mené avec brio sans ni que les sons, ni que les rythmes ne perdent de leur saveur originale. Avant d’être agréable ou dansant, cet EP est un travail minutieux et réussi : si l’enjeu était de réussir à pousser les inspirations dancehall dans un univers sonore techno, alors il est relevé.

Simo Cell sera des nôtre pour notre fête d'anniversaire au Rex Club le 17 novembre ! Il jouera en B2B avec Another Pixel et ouvrira pour FunkinEven et Kyle Hall...

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