Pour une nouvelle première, nous sommes heureux d’accueillir une production du label Syrinx Music, “O.i.O” par Feather Model, tiré de son EP Grid Scanning. Fondé en 2020 par Haxo et No3sis, le label francilien Syrinx Music se donne une ligne très personnelle et moderne. Au fil de ses cinq sorties (Grid Scanning est la sixième) – deux compilations, trois EPs -, Syrinx élabore son identité et impose sa marque : une direction musicale innovante, qui rassemble des artistes au profil différent, de la techno au noise, dans le but de proposer un ensemble de morceaux très divers. Les productions de Syrinx à la fois dépassent les limites externes des genres (mêler sons acoustiques et électroniques (Haxo – “Path”, Pilote), rythmiques de bass et textures ambient (Abstraction Mathématique – “Il Fait Souvent Le Même Rêve Que Verlaine”, Ballast), quitte à en casser le format (en l’occurrence, casser le format de la track pour un hybride dans la cassette de Namscha – Ramage), et à la fois explorent les limites internes de ces mêmes genres, les poussant à fond (Hourvari – “Parade”, in Ballast ; Fechos – “Fire Famine”, Ballast).
Mais il ne s’agit pas là que d’une réunion décousue d’artistes différents, et, en un sens, Syrinx n’est pas qu’un label expérimental, dont la liberté nuirait à la cohérence, comme il arrive souvent ; d’abord parce que certaines sorties restent plus classiques dans leur structure (Mc Kl et No3sis – “Couronne”, Pilote ; Peine Rose – “Baguenauder”, Pilote, Fluid Matter – Jagged Peaks, Ballast). Ensuite, parce qu’il ne s’agit pas de proposer seulement de l’original pour l’original : il s’agit moins d’exploser que de comprendre les genres, en les pénétrant à fond, en épuisant leur logique propre – ainsi pour Damian Concrete & Manon Alla – Écran Noir, autour de la jungle et de la voix humaine, et pour Futurstress – Quantité de Matière, autour de la bass. En un mot, explorer ne signifie pas renier ses repères, et il faut savoir d’où l’on part pour aller loin. On ne sera dès lors pas surpris de retrouver, derrière l’un des membres du duo Haxo, le DJ Background, une des têtes de SeekSickSound.
Grid Scanning, à ce titre, est peut-être l’EP le plus intrinsèquement divers de Syrinx, à ce jour ; mais ce n’est pas une collection. Si les quatre morceaux ont, certes, chacun une identité sonore très différente, c’est pour explorer moins un genre qu’une ambiance, poussée à fond : mélodique, planante, lancinante surtout, c’est la même recherche dans l’ensemble de l’EP, mais déclinée par des moyens instrumentaux différents. Dans les plaintes paisibles de Grid Scanning, il faut voir comme une grande mélopée. Dans cette optique, notre morceau, “O.i.O”, investit ce qu’on pourrait voir comme un poncif, un classique des morceaux atmosphériques calmes : une ligne mélodique de piano, qui sert de fil conducteur. Le but du morceau n’est alors pas ce fil de piano en lui-même, mais bien plutôt de voir comment il sonne lorsqu’il est mis en relief ; de voir comment on peut entendre différemment un même thème simple (initialement quelques notes) lorsqu’il est entouré par d’autres éléments.
Dans une évolution ternaire, ce thème classique se voit progressivement enrichi, laissé à lui-même, puis comme tordu et mis en contraste. Enrichi d’abord (jusqu’à 2min06 environ), par l’ajout progressif d’éléments, en particulier d’un synthé chaud dont les variations d’oscillations donnent la direction sonore, puis de sons percussifs en arrière-plan. Laissé à lui-même ensuite (de 2min06 à 3min25 environ), quand le piano devient seul ; le thème mélodique s’étend (progression harmonique), c’est ici le lieu du lyrique, marqué par un contrechant de cordes. On frôlerait le kitsch, si justement le but n’était pas d’ensuite de restreindre cette ambiance lyrique, trop abandonnée à elle-même, par une dernière section de mise en contraste (après 3min25) : après la solitude du chant du piano, d’autres sons viennent briser le lyrisme, d’abord une voix humaine en fond, puis un premier kick, suivi par un second, entourés d’autres petits bruits, et enfin d’autres éléments mélodiques dont une basse – apportant une dissonance jusque-là absente. L’interaction de ces éléments se clôt par la transformation du son du piano lui-même, dans un écho plus proche de la guitare ; la fin du morceau ne voit plus le piano comme un instrument solitaire, mais le noie harmonieusement dans une panoplie d’autres sons. En bref : la même atmosphère s’est vue évoluer ; du calme, on est passé à l’épique, puis à un autre calme, plus dur, plus étrange, mais toujours explorant la même dimension paisible qui régit l’EP.
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