Huerco S

Huerco S fait partie de ces artistes qu’on ne peut associer clairement à un genre musical : son territoire est vaste, ses frontières ambiguës ; il prend appui sur le panel large de la musique électronique, peu en importe le clivage ; c’est un sac plein de provisions au sortir d’un marché en vue d’un repas de fête ; un subtil mélange de saveurs, un jeu d’association déconcertant : entre le sucré et l’amer, l’acide et le salé, ses compositions tiennent à la fois de l’instrumentale de hip-hop et d’une techno désinhibant les déhanchés, d’une ambient de transition, d’esprit rock expérimental.

Cet article s’appréciera en écoutant la playlist ci-dessous :

Alors, à défaut d’employer un terme unique et peu précis, on peut tenter de répertorier les registres qui épicent l’œuvre encore fraiche du natif de Kansas City : il nous fait goutter à un down-tempo sombre, à une techno matinale des brouillards du Berghain “Apheleia’s Theme” , une dub à l’acid-house endormie “Press On (Ruff Rub)” ; on pourrait le rallier à la cause de Blawan si ses basses n’embrassaient pas cette humeur funky “Cercy”, de même aux Battles, par une synchronisation basses/batteries/samples qui aiguille vers un math-rock version club “Ausschachtung”, mais Huerco S. est à la fois tout et rien de cela.

Ces différentes pistes, il les explore au cours de ses 4 EP, qu’il délivre entre 2011 et début 2013 ; quelques mois après la parution du plus récent de ceux-ci, le vénérable Apheleia’s Theme, il présente son premier album : Colonial Patterns.

La problématique y est toute autre. Colonial Patterns fait partie de ces efforts rares dans le paysage électronique, de ces albums à vocation profondément narrative, où les pistes fonctionnent pour l’ensemble ; tranquillement les volumes montent, les humeurs se placent et chaque morceau, à son rythme propre, pose dans le creux de l’oreille ce qu’il a à dire, apporte un adjectif supplémentaire à la description globale de la scène. Ce n’est pas une compilation de tubes, mais un effort de la veine des grandes productions expérimentales, des Can, Tangerine Dream ou Pink Floyd. On s’éloigne des pistes de danse dans une marche ralentie, explorant les limbes d’un océan étrange et lumineux, où l’on se perd sans cesse sans jamais boire la tasse.

Colonial Patterns s’ouvre sur une naissance, un cœur lourd qui prend des forces et qui cogne, cogne et re-cogne ; un cœur qui ne sait plus se reposer ; une ambient inquiétante faite de nappes de claviers, de vents de poussière métallique, de nuages de samples ; à l’image de wagons de montagne russe, les tracks ralentissent pour mieux accélérer, l’énervement de l’un n’étant qu’un prémisse de la fureur contenue de l’autre : “‘linzhiid” est un amuse-gueule, pour le plat de résistance que sera ce “Ragtime U.S.A. (Warning)”, “Monks Mound (Arcology)”, le trou normand, nous calme pour repartir de plus belle sur un “Prinzif” moins sourd, plus élancé, véritable pivot rythmique et pic de l’album qui lorsqu’il se tait, amorce une belle et longue descente, faite de réminiscences joyeuses et de rêves tristes.

Un travail ambitieux et poétique, réalisé avec brio et qui rappelle, dans une ambiance plus sombre et plus calme, le Thora Vukk de Robag Wruhme.

Huerco S. se soucie peu du dogme des styles ; il se rit d’une signature house exclusivement et irrémédiablement formatée au 4/4 ; du grain « caractéristique » des enregistrements de basses qualités et qu’on n’obtiendrait qu’avec des instruments hors d’âge ; à l’image de la richesse de ses mixes et podcasts disponibles sur les internets, il génère et produit simplement la musique qu’il aime et qui lui ressemble, une musique honnête au futur radieux.