En finir avec 2019 : la rédaction s’est penchée sur le sujet. Sans s’y appesantir non plus, car on sait qu’une liste, aussi réfléchie et argumentée soit-elle, n’est que subjective. Et que les TOP de fin d’année, même s’ils sont attirant, ne relève peut être que de l’historique d’écoute de la personne derrière le clavier. 

On n’échappera pas à la règle non plus, et on s’en excuse déjà. Mais cette année, on lance un best-of un peu différent des années précédentes : au lieu de listes un peu trop exhaustives, un seul & unique best-of. Pour être plus lisible d’abord, élargir à des sujets autres que des sorties, aussi importantes soient-elles – et les mélanger avec d’autres formats. 

Plus court, et plus digeste : tout ce que l’on a plu dans la sphère musicale cette année, c’est parti. 

La club music se porte bien, merci pour elle. 

2019 marque la fin d’une décennie où l’on a vu la club music grandir, changer, évoluer – pour le meilleur et pour le pire. Sans rentrer dans un retour, frises chronologiques à l’appui, de ce qui a marqué les années 10’s, on peut raisonnablement dire que les musiques électroniques ont atteint une sorte de palier, de plateau. Pas une stagnation, non. Mais un relatif retour à ce que l’on a pu connaître il y a quelques années : les musiques électroniques restent prédominantes mondialement, des mastodontes tels que Tomorrow Land & cie se portent plutôt bien, mais ces musiques ne sont plus la première forme écoutée (le rap & le hip-hop lui ont ravi cette place). Et lorsque l’on dit musiques électroniques, on entend aussi bien Four Tet, Laurent Garnier, Karenn que Calvin Harris et Armin Van Buren.

2019 était donc une année de retour à des standards plus accessibles en terme de popularité et d’attention : délestée de ce poids – qui ne pèsent que sur quelques épaules, bien sur – la scène parait plus vivante, libérée, fraiche presque. Un peu à l’image de l’indie pop : sous-genre porté aux nues par quelques succès aussi inattendu que soudain (Bon Iver, Phoenix, …), il a fait son retour là où il se sent bien. En tant que sous-genre. 

Les musiques électroniques ne sont pas tout à fait comparables et ne sont plus, depuis au moins une décennie, un sous-genre. Mais rester sur le podium sans briguer obligatoirement la première place est source de lâcher-prise, d’une certaine sérénité. Une sérénité qui laisse une place grandissante à un underground qui en veut, des seconds couteaux qui ont faim et qui veulent se montrer. 

À l’échelle de notre ville, des clubs & soirées que l’on côtoie, suit & se rend tous les week-ends, ce constat est encore plus flagrant : il n’y a jamais eu autant de belles propositions par soir, intra ou extra-muros, intra ou extra-club, légales ou un peu moins. Sans avoir le sentiment que l’un écrase l’autre. La surenchère – à l’artiste majeur, à la sensation du nom – semble derrière nous, du moins un tout petit peu. L’offre parait, en tant que spectateur, saine, vivante & surtout, audacieuse. 

Une audace que l’on retrouve sur disques, forcément. Des formats, musiques, & aventures électroniques d’une fabuleuse précision & orfèvrerie, avant-garde et novatrices ou radicalement club ont rythmé nos bibliothèques digitales, la preuve par six : Karenn, duo composé de Blawan & Pariah, a claqué un album presque parfait, entre techno & expérimentations adaptées aux clubs. Floating Points a reprit le chemin du dancefloor, grand bien nous en a fait. Overmono qui, après avoir tourné dans tous les festivals du globe, a décidé de poser sa formule magique sur disque. Skee Mask a continué de nous terrasser – ou de nous envoyer en orbite, au choix. Shanti Celeste a passé le cap avec brio du premier LP avec l’excellent Tangerine et Denham Audio, bien aidé de Violet, nous a prouvé que le sample a encore de beaux jours devant lui. 

La club music n’est pas morte et se porte très bien, merci pour elle.

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Hangars & trance ont encore de beaux jours devant eux. 

Mall Grab ou encore Project Pablo s’y sont essayés, avec pas mal de réussite il faut bien avouer : la trance & la techno option rave – tous claviers dehors, kitch & saturation bienvenues – ont marqué durablement les dancefloors de 2019. Et on ne mentionne ici que les productions, tant de nombreux artistes ont glissé des références trancey dans leurs sets, nous les premiers.

Ce « revival », s’il fallait le nommer ainsi, est entré dans une autre dynamique cette année : si des DJs majeurs s’en emparent, c’est qu’il agite les scènes plus confidentielles depuis pas mal de temps déjà. On peut évidement citer Possession, à Paris. Ou La Darude, qui appuie un peu plus sur la nostalgie et développe une imagerie qui puise autant dans une certaine idées des 90’s – que l’on n’a pas connu car trop jeune et celle des 00’s, bien vécue elle. 

Boiler Room s’en ai saisit et, à travers sa série d’événements Hard Dance, met en boite collectifs, artistes & DJs d’horizons différents qui se retrouvent tous autour d’une certain romantisme de la violence. 

Toujours plus vite, toujours plus fort, toujours plus dark : la formule straight from Berghain semblait s’éssoufler, après des années de règne des nuits à toute vitesse. Mais les claviers, arpèges & montées lyriques se sont invités à la fête, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Un vent de fraicheur d’un autre temps, forcément salvateur pour une musique qui, foncièrement, ne pourra se réinventer plus qu’elle ne l’a déjà fait. 

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Le langage pop, ouverture nécessaire & salutaire 

À l’image que FKA Twigs, superstar qui malgré son statut, se hisse au sommet de la hiérarchie pop avec son second album MAGDALENE, les codes de celle-ci sont de plus en plus utilisés par des artistes pourtant loin du carcan radiophonique habituel. On pense bien sur à SOPHIE qui transforme tout ce qu’elle touche en bubblegum acidulée & technoïde, ou à Hannah Diamond, qui verse encore plus loin et crée une réplique parfaite de la beauté plastique sur disque. Ou encore à Goooose et à son Rusted Silicon, magma électronique en fusion, perfusé au speed.

La pop, ses codes & ses formats – un morceau court, un enchainement immuable de couplet-refrain-couplet-pont-refrain et des mélodies reconnaissables – s’infiltre dans les musiques électroniques plus confidentielles et offre un canevas de création inépuisable. 

Carla Del Forno, musicienne qui a toujours versée dans une pop racée, minimaliste mais loin d’être simpliste semble avoir trouvée une formule parfait avec son dernier disque, Look Up Sharp. Dépouillé, rachitique, hypnotique, mais non sans un sens de la mélodie, de l’accroche même – mais une accroche travestie, trafiquée. Reprendre des codes qui nous paraissent éculés, millénaires même pour en faire des sujets d’expérimentations : Lanax Artefakt s’en est chargée, tout comme Joy Orbison sur son incroyable EP Slipping. Intimiste, familial même – la voix de son père sur l’intro de « w Dad », une photo candide de sa tante sur la pochette du disque – cet EP explore, joue, densifie le son pour n’en garder qu’une chaleur bienveillante. À l’exception notable du « Breathe In », dancehall robotique & clinique. Et partout, une infiltration pop. 

La réédition, elle aussi, se porte (très) bien, merci pour elle. 

Nous avions consacré toute une semaine à l’un de ses plus fidèles & génial représentant en France : Favorite Recordings est, côté boogie, disco ou AOR, un label qui pratique la réédition avec brio. Là aussi, on ne va pas refaire l’histoire et rappeler l’importance & le poids de la réédition dans l’industrie du disque aujourd’hui. 

Ce n’est donc plus une tendance – que l’on pouvait lier à celle, plus datée encore, du retour du vinyle dans nos foyers & nos vies – mais sur un fait, qui dépasse l’idée même d’un phénomène passager. La réédition occupe à jeu (presque) égal les calendriers de sorties & nos écoutes, et c’est une belle chose. 

Outre le fait de (re)découvrir en qualité supérieure des disques & des trésors oubliés de scènes de l’autre bout du monde, la réédition joue une sorte de devoir de mémoire envers nos ainé.e.s ; des disques formidables ont été écrit, produits & enregistrés et parfois, personne ne le sait. Les musiciens n’ont parfois pas eu les crédits ou la reconnaissance qu’ils méritaient alors : une seconde vie ou carrière peut parfois démarrer, à l’image d’Ata Kak il y a quelques temps, musicien ghanéen découvert par Awesome Tapes From Africa et mis en orbite sur tous les festivals électroniques d’Europe.

Ce n’est qu’une belle histoire parmi des très louches bien sûr, et on met de côté les rééditions basses qualités et à l’intérêt proche de zéro des majors par rapport à celles, pleines de tendresse et d’émotions parfois, de labels indés tels que Favorite Recordings donc, Secousse ou Habibi Funk. 

Et c’est justement une sortie de ce label, la dixième du nom, qui entre haut la main dans notre top de fin d’année : « Ana Damir El Motakallim », d’Issam Hajali, enregistré à Paris par le musicien d’origine libanaise dans les 70’s, fend le coeur à chaque écoute. Jazz & folk traditionnel oriental n’ont que rarement étaient si bien mis côte à côte.

On peut citer aussi la compilation POP Sympathie de Vidal Benjamin sur Versatile, rendant hommage à la new wave made in France aux coeurs des années Bains Douches. Ou bien la compilation Kankyō Ongaku : Japanese Ambient, Environmental & New Age Music 1980 – 1990 qui, comme son titre le laisse entrevoir, regroupe des monuments d’ambient du pays du Zen. Ou encore la sortie, sur Dark Entries, d’un coffret ultime sur Patrick Cowley, inventeur du Hi-NRG, Mechanical Fantasy Box. 

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Communautés, sens du groupe & revendications 

En 2019, l’espace du club s’est tourné un peu plus vers nos représentants politiques : une nuit, une rave, une soirée peut servir de plateforme de revendications, d’échanges d’idées & d’actions. Un versant politique, social & citoyen de la nuit se fait sentir, et pas seulement à travers les communautés LGBTQI. On pense notamment au collectif les Éveillés, qui récoltent des fonds pour aider les migrants & réfugiés de notre territoire. 

Mais sans aller jusqu’à une action – aussi forte & importante soit-elle – se regrouper entre communautés ou minorités dans un club ou un lieu hors-format et créer un espace safe, sûr & ouvert à toutes & tous est ce que 2019 nous a apporté de plus beau : il n’y a jamais eu autant de possibilités de faire la fête libre, en accord avec ce que l’on est, sans se sentir jugé ou en danger. 

Possession, La Toilette, La Créole, House Of Moda (RIP), Mona, Parkingstone, Flash Cocotte, Trou Aux Biches et on en oublie forcément : les événements, crew & soirées sont nombreuses, et c’est une des seules bonnes nouvelles de l’année. 

Bonus : nos coups de coeur hors-musiques électroniques, car on n’écoute évidemment pas que ça. 

Sans hiérarchie ni ordre, sans oeillère non plus. 

  • Deux Frères, PNL
  • En voyages, Pierre Vassiliu
  • Radio Suicide, Makala
  • Duistre Kamers, De Ambassade
  • Rising, Greentea Peng
  • Basic Instinct, Jimmy Whoo
  • Super Vilains, Cotonete
  • Apollo XXI, Steve Lacy
  • The Last Party, Matt Martians
  • IGOR, Tyler, The Creator