Au début des années 90, notre ami Jean-Baptiste Stenpien, que l’on rencontrera plus tard sous son nom de DJ Another Pixel, se prenait la vague Techno en pleine face. À partir de là, il n’eut qu’une obsession : fouiller ce genre futuriste dans ses moindres recoins et le défendre par la musique, bien entendu, mais aussi par les mots. De cette volonté est née la série « Musicorama », découpée en quatre volets et diffusée à l’époque via le fanzine ZicBoom, que nous vous proposons de redécouvrir dans nos pages. Nous laissons la parole à l’auteur.

Nous remettons en avant aujourd’hui cette série d’article car il semble plus qu’essentiel d’insister sur l’histoire d’une musique militante, noire,devenue objet banal de notre quotidien. Pour mieux comprendre, connaitre et découvrir toutes les richesses des musiques et ce que les communautés noires et afro-américaines ont apportées. 

Pour aller plus loin sur la Techno et la ville de Détroit, nous avons listé une série de livres indispensables

 

En 1992, la découverte nocturne de la fantasmagorique Techno Soul de Détroit a été un vrai choc pour l’enfant de 12 ans que j’étais … Projeté dans un univers étrange dont je ne suis jamais ressorti, j’ai vite voulu découvrir les origines de ce monde sonore inconnu. Un peu comme un archéologue enquêterait sur les origines d’une civilisation extra-terrestre, j’ai fouillé et remonté aux sources de cette création futuriste. Je découvris alors que ses origines se trouvaient dans des musiques plus anciennes, aux formes très différentes les unes des autres, mais toutes nées dans des contextes historiques d’une rare intensité.

Comme l’on a envie de crier au monde son amour, j’ai commencé à rédiger, en 2006 et 2007, une série d’articles dans le magazine ZicBoom, distribué à l’époque dans les salles françaises de Musiques Amplifiées. Cette série, que j’ai appelée « Musicorama », raconte avec passion les contextes socio-économiques et culturels qui ont participé à faire naître quatre piliers de la Techno : Soul, Krautrock, Disco, Hip-Hop. 

Après avoir exploré la Soul dans notre premier épisode et le Krautrock dans le second, direction à présent la Mecque de la Disco : New York City. Et comme toujours, cet article est accompagné d’une playlist pour découvrir un peu plus sur ce genre.

Photos : Larry Levan et Paradise Garage, DR.

Nombre de producteurs s’incrustèrent dès le début des années 70 au banquet de ce courant musical devenu en quelques années l’un des plus profitables de l’économie du disque. Mais le Disco n’est pas né d’une machine à “Money Money Money”. La clé de la vérité sur cette musique se trouve juste devant nos yeux, simplement dans son nom : Disco(theque). Ce diminutif évoque ainsi la musique d’un lieu, un refuge où les communautés rejetées par les règles extérieures pouvaient vivre libres, et qu’on allait appeler plus tard le “Club” (à l’origine en distinction d’un autre type de discothèque, prétextant la musique par les tubes des playlists radio et trouvant son premier fonds de commerce dans la biture et la drague). Oubliés de la croissance économique, afro et latinos américains, gays et ennemis du conservatisme, tous trouvèrent en cet endroit une deuxième famille et même pour certains qui y passaient leurs nuits, une véritable raison de vivre.

Mais si le Disco est aujourd’hui très souvent associé aux homosexuels (comme illustration parfois d’une homophobie tristement ordinaire), c’est qu’en ces années-là, les discothèques underground de New York étaient les seules à leur ouvrir leurs portes et leur offrir une liberté totale. Mais une triste histoire s’y écrivit aussi, celle du drame de centaines de jeunes balayés par un virus jusqu’alors inconnu. Le défoulement débridé, aussi intense que la frustration qu’ils vécurent jusqu’alors, leur offrit à nouveau l’insouciance perdue depuis leur enfance … insouciance qui s’effondra avec la mort de leurs premiers amis. Un combat sans fin s’engagea alors contre la fatalité et la danse ne mourut jamais. Certains parlaient d’une véritable religion, celle du dancefloor, où tous avaient leur place, quelles que soient leurs origines, leurs propres croyances ou leur sexualité. Des scènes de joie intenses y ont été partagées, parfois jusqu’aux larmes. Chacun avec ses différences, bougeant selon ses sensations de l’instant et pourtant tous unis en une foule tournée vers le DJ, prêcheur d’une musique enfantes de la Soul.

Le premier Disc Jockey à avoir réellement mixé des disques entre eux était Terry Noel en 1965, résident du Trendy Arthur qui venait alors d’ouvrir ses portes à New York. Si la date d’apparition du terme “Disco” ne peut être clairement posée, on sait que ce mot est apparu autour de cette année 1965. Et le phénomène des “Discotheques” connut un essor fulgurant à New York, avec l’émergence de nombreux clubs, comme The Church en 1969 qui deviendra peu de temps plus tard le mythique Sanctuary. La religion Dancefloor y trouva sa première grande Mecque, avant l’apparition en 1970 de The Loft. Ce dernier était l’appartement d’un certain David Mancuso qui décida pour la Saint-Valentin de donner une énorme fête, ouverte à tous les naufragés de New York. Dans l’arche de Mancuso, on ne parle pas encore de musique Disco. Les disques joués et mixés par le propriétaire des lieux sont Soul, Funk, Rock, Latin Grooves … Les ingrédients sont réunis, de la musique au lieu en passant par la fraternité des danseurs, et le Disco sound allait naître dans la foulée.

C’est en effet non en studio que cette musique fut créée mais dans les clubs même. Le Disco est d’abord une création du DJing. Tom Moulton enrichit le mix par l’invention du remix et involontairement des 12 inch : des versions “maxi”, longues, du 45 tours en format 33, inventées par une erreur de pressage, offrant une profondeur et une dynamique sans commune mesure avec les 45T et 33T “traditionnels”. Les mélanges des styles musicaux, en regard du melting pot des genres sur la piste, évolua alors vers un répétitisme et un hypnotisme rythmique. Si toutes les musiques populaires sont finalement caractérisées par la répétition de phrases et structures sonores, celle du disco apparaît dans sa grosse caisse roulant à une cadence en 4×4 (“four-on-the-floor”). Inconsciemment, l’énergie sans borne des danseurs et l’état de transe qui venait les posséder chaque nuit encouragèrent de plus en plus les DJs à partager ces voyages nocturnes en rythme binaire, incessant.

Larry Levan, jeune gay afro américain victime de la mode, deviendra également le grand coupable de tueries gigantesques, à coups de déclarations d’amour hors-normes envoyées par un sound system tout aussi démesuré … celui du légendaire Paradise Garage. 84 King Street, Greenwich Village, New York, ici se trouvait de septembre 1977 (dès les travaux du garage au 84 King Street avant l’ouverture officielle du Paradise le 17 février 1978) à septembre 1986, le paradis terrestre de la Dance Music pour toute une génération. Larry fut l’un des tous premiers à enchaîner au tempo deux mêmes disques sur leur break de percussions ou de batterie, créant ainsi des boucles transcendantes. Ce DJ, apôtre et “élève” de David Mancuso puis embauché par Nicky Siano à la Gallery où il fit ses gamme,s allait prolonger les techniques de mix acquises en y injectant des effets analogiques : fanger pour un groupe spatial, reverb et delays pour une atmosphère dubienne.

L’électronique s’immisçait déjà dans les prémisses Disco et au milieu des années 70, la propagation du synthétiseur MiniMooog Model D allait s’accélérer en offrant d’inédites lignes de bass robotiques et des leads cosmiques. En 1979, le Times déclare “Disco Is Dead” et au début des années 80, le Disco prend de plus en plus le nom aux États-Unis de “Hi-NRG”. Les succès commerciaux se multiplièrent, à New York puis dans tous les États-Unis et en Europe, où la deuxième vague Disco porta entre autres les créatifs Patrick Cowley et Gino Soccio, avec le troupeau d’imposteurs qui suivit. Complices de ces hold-up musicaux, les opportunistes médias de masse ne relaieront jamais les valeurs humaines et artistiques authentiques du Disco. Mais déjà Francky Knuckles avait-il ramené du Paradise Garage à son Warehouse les munitions du combat qui se poursuivra par la House Music.

L’héritage de Larry Levan, mort du sida a 38 ans, le 8 novembre 1992, se trouve là : toujours et encore dans cette lutte contre les différences, les dérives mercantiles, les exclusions, et pour la fraternité, la liberté… finalement les valeurs de l’underground de tout entier, déjà proclamées main dans la main en 1984 par James Brown et Afrika Bambaataa : “Peace, Unity, Love And Having Fun !”