Damien Dubrovnik n’est pas comme son nom l’indique, un artiste unique, mais plutôt une entité composée de Christian Stadsgaard et Loke Rahbek, deux compères ayant fait leur armes dans la scène expérimentale de Copenhague. En 8 ans d’existence le duo a sorti pas moins de 7 albums sous ce projet dont le dernier en date ,Great Many Arrows, vient juste de paraître. Les deux danois ont également fondé l’un des labels phares de l’experimental de ces dernières années, Posh Isolation. De 2009 à aujourd’hui, c’est 200 sorties qui se succèdent, avec une partie des projets solo de Stadsgaard et Rahbek, ainsi que d’autres artistes prestigieux comme Puce Mary ou encore Varg. A l’occasion de la soirée de sortie du 200ème disque sur Posh Isolation, le génial Great Many Arrows, nous avons discuté avec eux. 

Salut ! Comment est ce que vous vous présenteriez pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

Loke : Je m’appelle Loke, j’ai 28 ans et je fais de la musique électronique. Je gère le label Posh Isolation avec mon partenaire Christian.

Vous avez fondé Posh Isolation il y a 8 ans. Quel regard portez vous sur ce que vous avez accompli jusque là ?

Christian : Je pense qu’on peut dire sans trop d’hésitation que nous sommes contents de ce que nous avons fait mais, bien sûr, cela n’a pas toujours été facile. On a beaucoup travaillé.

Comment avez-vous commencé a travailler ensemble, en tant que duo et sur le label ?

C : On s’est rencontré à des concerts de musique expérimentale. La scène a toujours été petite à Copenhague donc si quelqu’un se montre intéressé, tu le prends sous ton aile. Lohke a commencé a venir aux événements d’expérimental et je lui ai donné son premier mixer et ainsi de suite. Une chose en amenant une autre, on a commencé a enregistrer ensemble et d’un seul coup, nous avions ce qui allait devenir le premier album de Damien Dubrovnik. En gros, on cherchait un label mais nous n’avons rien trouvé qui aille alors on a décidé de monter le notre. Voila comment est né Posh Isolation. J’ai eu un label avant et Lohke vient d’un background punk et tout l’aspect « Do It Yourself » n’était pas un problème alors on s’est dit « Ok faisons-le ».

L: On a commencé il y a longtemps mais peut être que ce n’est pas si different maintenant de ce que c’était au départ. Bien sur j’espère que c’est meilleur maintenant qu’il y a 8 ans mais ça a toujours été une approche similaire d’exploration. Essayer, aller toujours plus loin et voir ce qu’il y a sous la glace. Parfois tu te mouilles.

C: On est tombé sous la glace pas mal de fois.

L: Mais tu deviens meilleur nageur.

C: Si tu ne fais pas avancer les choses, tu n’accompliras jamais rien et bien sûr, tu essuies beaucoup d’échecs quand tu essaies de faire vraiment avancer les choses mais ça fait partie du truc.

Comment réagissez-vous face au succès de Posh Isolation ? Est-ce que ça a changé la façon dont les choses se mettent en place pour vous ?

L : Je crois que quand tu es un travailleur indépendant, il n’y a pas vraiment de mot comme le succès. Ce n’est pas, et je ne pense pas que ça doit, être dans tes considérations. Il s’agit de progresser, de dire ce que tu as à dire, de la façon dont tu l’as décidé. C’est vraiment le but principal et d’une certaine façon, ce n’est pas différent de le faire pour 30 personnes ou pour 2000. Je crois qu’il y a beaucoup a découvrir et apprendre, c’est pour ça qu’on continue à le faire. Tant qu’il y a des choses à explorer on doit continuer.

“Pour décrire ce qu’on fait, violent est un bon mot mais je crois que intimité en est un autre”

Qu’est ce que vous aimeriez faire musicalement, que vous n’avez pas encore fait ?

C : Juste essayer d’évoluer et essayer d’avoir des approches différentes, combiner de nouvelles choses mais ça a toujours été dans l’ADN de ce que l’on fait.

L : Je crois que c’est quelque chose qu’on fait parce que ça nous rend heureux, tout simplement. Ça nous rend heureux de sortir la musique d’autres personnes quand elle est bonne, les aider à évoluer, et toute la communication qui va avec ça. Et c’est la même chose pour tous nos projets. C’est quelque chose que tu fais parce que ça t’apportes quelque chose que tu ne trouves pas ailleurs que là.

Comment votre approche dans Damien Dubrovnik a évolué au cours des années et des différentes sorties ?

C : Je crois qu’on est juste devenu meilleur niveau production, et aussi on a une idée plus précise de ce qu’on veut sortir comparé à lorsque l’on a commencé.

L : Je crois que c’est différent oui mais je pense qu’il s’agit surtout de nous travaillant dans le même théâtre d’une certaine façon. Peut-être que les costumes sont différents mais c’est toujours le même cirque qui tourne. J’espère que c’est meilleur.

C : D’une certaine façon, la marque de fabrique pour Damien Dubrovnik était déjà faite dés le premier disque, ça a juste évolué au cours des années.

L : Mais en même temps, parler de marque de fabrique comme quelque chose de construit n’est pas vraiment juste. Dans mon expérience de la façon de créer de la musique, la plupart du temps bien sûr tu as une idée de ce que tu veux ou des points de références, mais la musique a toujours été pour moi ce langage dans lequel tu t’immerges et dont tu ne savais pas encore que tu savais le parler. Il s’agit plus de laisser les choses se faire.

Vous semblez intéressés par la notion d’espace quand vous produisez mais également dans vos performances. Est-ce que vous pouvez nous parler de la façon dont vous pensez l’impact du son sur un public ou un auditeur ?

C : On prend toujours le contexte en considération. Et il le faut si tu veux présenter les choses d’une bonne façon.

L: Les vieux espaces ont, j’imagine, une certaine aura. Une église est faite pour te faire te sentir d’une certaine façon. Quand tu vas à la banque, tu ressens les choses différemment, quand tu vas à l’épicerie, c’est encore différent et ainsi de suite. Je crois que l’une des principales forces de la musique expérimentale est sa capacité a peindre des espaces et à les modifier. Pour décrire ce qu’on fait, violent est un bon mot mais je crois que intimité en est un autre, et peut-être que les deux sont inséparables de bien des façons. Il s’agit complètement de créer des espaces, peut être plus que débattre de la notion d’espace en elle-même. Il s’agit de créer une pièce intime a l’intérieur même de n’importe quelle pièce dans laquelle tu te trouves. Ce qui est intéressant avec le fait de sortir de la musique, plus que de la jouer sur scène, est que tu envoies tous ces petits paquets dans le monde et tu n’a aucun contrôle sur l’espace dans lequel ils atterrissent. Ça peut être un magasin de disques, une bibliothèque ou la chambre d’un ado. Et trouver une façon d’avoir un ADN fort au sein de la musique est une façon de prendre cet espace et le modifier. C’est infiniment intéressant.

Comment est-ce que vous travaillez ensemble ? En quoi est-ce différent de vos autres projets ?

C : On faisait tout ensemble au départ mais maintenant on peut préparer différents trucs et ensuite les combiner et éditer ensemble.

L : L’ordinateur est une autre pièce intéressante pour travailler. Parce que je peux avoir une copie parfaite de la pièce de Christian à l’intérieur de celui-ci et ça facilite les choses quand tu ne peux pas toujours être dans la même pièce.

: Mais on a besoin de finaliser les choses ensemble.

Sur Great Many Arrows, il y a des instruments acoustiques. Comment est-ce que ça s’est fait et comment avez-vous travaillé avec les musiciens ?

L : Aucun de nous n’a de formation musicale académique, alors ça créé certaines limitations et pour ce disque, je crois qu’on voulait qu’il soit plus tactile. La combinaison entre l’électronique et l’acoustique peut être intéressante dans cette idée et c’était très intéressant et beau de pouvoir travailler avec des musiciens classiques, les avoir en session. C’était un effort collaboratif, tenter de leur faire comprendre leur rôle au sein des morceaux, les enregistrer, et éditer, éditer, éditer. Tu finis par arriver quelque part. Parfois c’est juste horrible mais parfois c’est très beau. Tous les musiciens qui ont joué sur le disque sont de Copenhague et sont impliqués dans cette scène, si tu veux l’appeler ainsi. Donc la communication, la plupart du temps fut assez simple et très intéressante. C’est encore à propos de cet espace dont nous parlions avant.

Parlez-nous de la scène de Copenhague : comment est-ce que vous vous voyez au sein de celle-ci ?

L : Bien sûr, ça fait longtemps qu’on est là à Copenhague mais je crois que le mot « scène » est vraiment fatiguant. Parce que c’est identique partout. Ce sont des gens qui aiment la musique, qui aiment faire de la musique et vont en écouter et à partir d’un certain moment ils ont besoin les uns des autres et ça crée une scène. Parfois ça peut sonner comme faire partie  d’un club de membres, où tu as ta carte et tu as la poignée de mains secrètes et tout, mais bien sur ce n’est pas comme ça. Je crois que ces dernières années ça a beaucoup changé et c’est devenu plus ouvert d’ailleurs. On est fier bien sûr de prendre part à ce qui sort de Copenhague et on va continuer à le faire tant qu’il y a de bonnes choses qui s’y passent.

La Noise était quelque chose de très politique au début, dans la façon dont c’était présenté et je ne suis pas sur que ça le soit toujours. Il s’agit d’une musique qui n’est évidemment pas destinée à tout le monde. Que pensez-vous du poids de ce type de musique aujourd’hui et du rôle de la musique expérimentale dans la société?

L : Je ne pense pas vraiment en ces termes. Je ne vois pas ce que nous faisons comme de la noise. J’aime le terme expérimental parce que c’est tellement large. Avec le label, on a été clair sur le fait qu’on voulait travailler dans un champ étendu de genres et de sous genres et je pense à cela comme de la musique et c’est a peu près tout pour moi.

C : Je crois qu’on peut dire que beaucoup de genres ont eu leur façon de présenter les choses. Et à la fin tu as une certaine façon de présenter les choses et blablabla. Rentrer dans une histoire que d’autres ont écrite pour toi et juste ajouter à ça je crois que c’est en fait une approche très ennuyeuse, peu importe le genre.

Si on parle de musique expérimentale vs la pop, si tu écoutes la radio, certains trucs dans la pop sont bien plus expérimentaux selon moi et repousse bien plus les limites que la véritable musique expérimentale qui reste souvent dans une zone de confort dans la façon dont les choses sont faites.

L: Si on veut parler de production expérimentale et de songwriting je crois que frapper une barre de métal avec un micro contact n’est pas vraiment quelque chose qui repousse les limites, d’aucune façon. Bien sur, ça peut être plus impressionnant ou difficile a écouter mais ça demande peu d’effort et je crois que dans la pop il y a vraiment des choses intéressantes niveau production.

 

 

Merci ! Est ce que vous voulez ajouter quelque chose ?

L : Je crois que la curiosité est très importante et garder l’esprit ouvert, être capable de réaliser combien on connait peu, devenir meilleur, ce sont des choses importantes. Quand j’avais 16 ans et que je jouais dans des groupes de punk, je pouvais dire « Fuck Lady Gaga » ou quelque chose comme ça. Mais je n’ai plus besoin de ça aujourd’hui car je comprends que Lady Gaga s’en fout et que peut être que si tu écoutes attentivement, tu peux toujours trouver quelque chose d’intéressant là-dedans. L’inspiration et la créativité ne vont jamais de l’avant, c’est un mouvement circulaire.