Dj Gregory occupe une place particulière au sein de la house française. Producteur depuis plus de 17 ans, le monsieur est à l’origine d’une multitude de morceaux cultes via ses nombreux projets. Certains de ces alias et certaines de ces collaborations ont rencontré un succès incontestable, d’autres, avec les affres du temps, peuvent faire l’objet d’avis et de critiques beaucoup plus contrastés.

En effet, lorsqu’on regarde la carrière en demi-teinte de ce personnage talentueux, on constate qu’aujourd’hui, cet artiste aurait pu sans trop de difficulté se considérer comme un héros de la House française. De fait, Dj Gregory se caractérise surtout par une présence constante, discrète mais difficilement saisissable. Accessible par moment, sans être mondain, son travail parle sûrement plus que le personnage en lui-même qui, fort de son bagage, demeure à de nombreux égards une référence pour de nombreux artistes.

Le fait est que malgré notre amour pour fouiller dans les archives, les recoins de Discogs et autres sources obscurs, il n’est jamais pertinent de faire ressurgir un personnage de nulle part si l’on ne peut pas le placer dans un contexte, le situer et savoir où il va. Voilà plusieurs mois maintenant que Point G a refait surface et ce pour le plus grand plaisir des nombreux amateurs de House : Apollonia ressortait le fameux Underwater, Point G devenait également un label, M. Darsa revenait d’Amsterdam et présentait son premier live au Weather Festival. Bref, autant de raisons qui poussent à être curieux, autant de prétextes pour poser des questions, autant de mobiles qui faisaient de cette interview rétrospective chargée d’anecdotes un article important car un peu tout un pan de l’histoire de la house made in France. Dj Gregory a eu la gentillesse de nous consacrer de son temps pour répondre à nos questions, ci-dessous vous retrouverez une partie d’un long entretien effectué en plusieurs fois en mai dernier. Bonne lecture !

– En mai dernier, tu présentais ton premier live de Point G au Weather Festival, comment t’es venue l’idée de faire un live ?

En fait, c’est mon premier live. Je suis de retour depuis un an à Paris et déjà, lorsque je vivais à Amsterdam, on m’a dit plusieurs fois que les disques de Point G recommençaient à être joués. Djul’z le premier m’avait dit que les disques valaient une fortune, le maxi sur Yellow, celui sur Basic : ça m’a laissé perplexe.  Il m’a conseillé de remettre ce projet sur le devant de la scène.

J’avais pas mal de sollicitations pour ressortir ces disques puis l’été dernier Lionel et Dan Ghenacia sont venus chez moi pour me demander si j’avais des Point G que je n’avais pas sortis. En réalité, il y avait plus de tracks qui n’étaient pas sortis que de tracks publiés.

Je leur ai fait écouter 25 morceaux, ils en ont pris quelques-uns, dont une version unreleased de Chicken Coma. Lionel voulait le ressortir sur Realtone il m’a demandé si je n’avais pas d’autres tracks : j’avais un truc qui s’appelait Confusion, je lui ai donné. Dans la foulée, Dan m’a demandé de ressortir Underwater qui était son track fétiche avec Shonky et Dyed Soundorom ils lançaient Apolonia, j’ai accepté.

– Ça fait donc un petit moment que tu travailles dessus non ?

Non, le problème que j’ai rencontré c’est que la plupart des vieux .G étaient faits avec un Atari 1040ST. Il est donc difficile de retrouver les éléments séparés des morceaux. Cette machine appartient à une époque où tu ne faisais pas trop d’arrangements.

Les technologies ont bien évolué et, à part des disquettes de SP1200 que j’ai encore de l’époque, je n’ai pas les parties séparées de ces morceaux. Il y a des parties des anciens Point G où j’ai rajouté des choses mais il y a des moments où tu te prends une boucle en entier car je ne peux pas faire autrement.

Inévitablement, il a fallu que je compose de nouveaux tracks et crée des trames pour proposer quelque chose de plus intéressant. Grosso modo après l’unreleased version de Chicken Coma et le Underwater qui ont suscité pas mal d’enthousiasme on a décidé de commencer le label .G, le troisième va sortir prochainement.

– Donc sur Point G, maintenant, ce ne sont que des nouveaux tracks ?

Oui, et je pense que ça s’entend. Ce qui change c’est que, jusqu’en 2006, je n’utilisais que des tables analogiques pour mixer ma musique. Aujourd’hui, mis à part quelques samples et quelques synthés analogiques tout se finalise dans l’ordinateur.

– Il y a tout de même quelque chose d’assez paradoxal, car tu as eu un gros succès en tant que DJ Gregory avec des hits comme Elle ou Tropical Soundclash mais Point G qui est aujourd’hui ton projet phare est avant tout un de tes premiers projets et pseudonymes.

Point G, initialement, c’est quelque chose de basique et libre. C’est sans prise de tête, il n’y a pas d’arrangement, ce sont surtout des jams enregistrés à la volée. Mais mon premier Morceau c’est Cheezy D – Take The Cash & Run sur Basenotic  avec un sample de Cerrone .

Dans la foulée, j’ai fait le remix Cheeks – Sunshine People qui est un morceau original, mais que j’ai donné comme un remix. Pour la petite histoire c’était Zdar (Philippe) qui devait faire le remix mais il partait à NYC, Gilb’r m’a fait comprendre que c’était à moi de jouer. J’ai fait ce remix tant bien que mal qui a eu un vrai succès.

C’était l’exemple même de la chance du débutant. Tu l’entends également dans la manière de mixer le morceau, car la façon dont je branchais les machines n’était pas normale. Ce qui donne ce son, c’est une pure erreur qui fait qu’il sonne 25 fois plus fort. Si tu prends une table de mixage analogique, visuellement, le morceau tapait dans le rouge du vumètre du début à la fin sans jamais bouger.

– Quel regard as-tu sur cette époque maintenant ?

La scène French Touch est une partie de l’histoire de la House française, mais je n’ai pas poussé dans cette direction. Dans A deep Groove l’émission que nous avions avec Alex (From Tokyo) et Cyril (Dj Deep) sur Radio FG,  il y avait des influences bien marquées. Alex, qui a grandi à Tokyo, avait cette influence très Paradise Garage et Classic Disco. Moi, ma passion c’était le côté brut de la scène New Yorkaise et bien sur Chicago. Cyril connaissait très bien à house, mais il brillait également par sa connaissance parfaite de la techno de Detroit. À nous trois ça donnait une drôle de combinaison.

– Beaucoup d’artistes actuels de la scène house française ont découvert la house grâce à cette émission. Penses-tu que vous étiez porteur d’un message à ce moment-là ?

Non pas du tout, à mes yeux le premier coup de semonce avait été donné bien avant par Laurent Garnier. On l’écoutait tous religieusement il avait déjà eu de multiples émissions de radios, nous on arrive après.

– Comment s’est faite la rencontre avec DJ Deep ?

 Lorsque mon meilleur ami a bougé à New York dans les années 1990, j’écoutais de la house grâce aux émissions de Laurent Garnier. Je n’étais pas vraiment au courant de ce qui se passait à Paris. Je n’allais pas trop en rave, ce n’était pas mon truc. Je côtoyais plus la scène gay et house. J’ai d’ailleurs joué longtemps pour cette scène-là à Paris.

Mon meilleur ami était le cousin du gérant d’une boutique Hip Hop qui s’appelait « Ticarette ». La boutique située  à Stalingrad était spécialisée dans le Rap. C’est là-bas que tout le monde allait se fournir. À un moment, mon pote a commencé à envoyer des disques de rap un peu plus pointus des USA pour les vendre dans sa boutique. Je lui ai dit de m’envoyer des disques de House pour que j’en fasse de même dans d’autres magasins.

Je ne connaissais  personne. J’avais 21 ans je n’avais pas fait mes preuves. Je recevais beaucoup de classiques des vieux TRAX et des nouveautés bien pointues. Par exemple  j’étais le premier à ramener le double pack de Milo Johnson – Ruff-Disco volume 1 qui était costaud ou encore les Jungle Sounds de Claussell.

J’allais vendre mes disques chez Romain, chez USA Import. Dj Deep qui faisait les disquaires chaque semaine passait du temps là-bas. Un jour, j’arrive avec un sac de disques et je vois Cyril. Pour moi, c’était le dj qui faisait les warm up de Garnier et qui jouait partout.  Et qui passait la musique que j’aimais. On parlait le même langage. Je m’en souviens comme si c’était hier, il m’a vu, j’ai ouvert la porte, il a ouvert ses bras bien grands.

– Et avec Alex From Tokyo, ça s’est passé également chez le disquaire ?

La même semaine, j’allais acheter des disques chez Caramel qui était un disquaire assez connu. La boutique était dans un appartement. Je me retrouve à l’entrée de l’appart avec un type qui attendait. On se toise, on se regarde du coin de l’œil et finalement on finit par se parler. On sort chacun notre science, sauf que lui, il avait accompagné Larry Levan sur son dernier tour au Japon. C’était Alex.

La semaine d’après, Cyril m’invitait à la radio. Je lui ai parlé de ma rencontre incroyable avec Alex, un français qui avait grandi au Japon, mais qui était en France pour finir ses études. On s’est retrouvé tous les trois. À cette époque, Cyril avait son émission sur FG. À la fin de l’année, la radio lui proposait le créneau de 12h à 14h du lundi au samedi, il ne voulait pas le faire tout seul, il nous a proposé de le rejoindre et c’est comme ça qu’ «  A Deep Groove » a commencé.

– Pourquoi avez –vous  arrêté ?

Cyril est allé sur Radio Nova, et en même temps Alex rentrait au Japon. Je suis donc allé voir Henry Maurel qui gérait à l’époque la radio, car je ne savais pas si j’avais encore ma place. Finalement je suis resté plus de 10 ans. J’ai fait tous les créneaux possibles et imaginables.

– A côté de cette activité, comment t’es-tu mis à la production ?

En général, ce qui se passe, c’est que pendant des années t’écoutes des disques, puérilement après tu as envie de les mixer. D’un coup, tu fais des économies pour t’acheter des MK2, puis naturellement le passage à la production s’impose à toi.

Cyril était très proche de Ludovic Navarre (St. Germain)  et Shazz, il nous les a présentés et on a fini par beaucoup trainer avec eux. J’étais fasciné par la musique de cet artiste et ça m’a donné l’envie de m’y mettre. Tu bosses ton tempo interne. T’as beau te penser comme tu veux, devant les machines il en ressort autre chose et c’est toi à un instant T.

J’ai fait des morceaux pendant longtemps et un jour, mon ami Romain (Dupont) m’a parlé de son projet Basenotic qu’il comptait lancer avec plusieurs producteurs via une série Various Artists appelée Bakchich. Il m’a demandé si je n’avais pas quelque chose dans les tiroirs. J’avais ce truc avec le sample de Cerrone, Paradise. C’est la première chose qui est sortie.

Il y a eu encore deux autres Bakchich EP avec encore des pseudonymes. À la même époque, Chris The French Kiss Alias Bob Sinclar producteur de Trip hop et, avec Alain (DJ Yellow), commençaient Yellow et évoluaient sur la scène Mo Wax avec Dj Cam, mais ils lorgnaient sur la scène house.

Ils avaient bien compris qu’il se passait quelque chose. On était au commencement de la French Touch : Gilb’r s’était barré de Nova pour fonder Versatile, Zdar avait fait Motorbass, il se passait un truc. Alain m’a présenté Chris et je ne sais pas comment mais il m’a convaincu de faire un Maxi sur Yellow. C’est comme ça qu’est né le Raw Ep.

– Qu’est-ce qui t’a poussé à bouger à NYC ?

Lorsque tu as mixé dans toutes les soirées à Paris, lorsque tu as joué dans les soirées TGV avec 2000 personnes devant toi qui écoutent du Garage et de la Deep House, après avoir joué pour FG, à droite à gauche, sur des bonnes et des mauvaises soirées, tu arrives à un moment où tu as envie d’autre chose.

– Qu’as- tu fait là bas ?

Pour être honnête, je n’ai pas fait grand-chose, j’ai fait pas mal de merde. Mais j’ai fait des rencontres incroyables. J’ai traîné dans des studios à regarder mes modèles travailler. Des gens qui m’ont ouvert leurs portes. A la fin des 90’s, il y avait surtout les mythiques soirées Body And Soul de Joe Claussell, Danny Krivit et François K. C’était un truc unique, tu redécouvrais la musique, tous les sons te parlaient, ça sonnait fort mais avec une propreté et une précision exceptionnelles. Chaque dimanche, ils mettaient un point d’honneur à que tout ce qui sorte des enceintes soit magique.

– Quand Joe Claussell et les pionniers des US ont commencé à jouer tes morceaux, ça t’a fait quoi ?

Lors d’un dîner entre amis à Paris, j’avais 23 ans, j’ai fait écouter le dubplate du Raw Ep à Joe Claussell : il m’a ordonné de lui donner. Donc la première personne à avoir joué Jean-Claude, car c’était le morceau joué à l’époque, c’est lui.

Quand ils jouent tes tracks, ça te touche comme jamais.  En revanche, lorsqu’ils commencent à te solliciter, tu deviens fou. Je dois avoir toute la discographie des Masters At Work, il doit me manquer trois disques. Je les ai suivis aux quatre coins du monde, NYC, Londres, Paris… Je me rappelle même de la sensation que j’ai eue lorsque j’ai découvert leur remix de Debbie Gibson.

Quand Masters At Work m’a appelé pour la première fois pour demander un remix, j’ai cru que c’était une blague de merde au téléphone… j’ai mis du temps à réaliser. À ce moment-là, tu t’imagines avec euphorie que la boucle est bouclée.

– Qu’est-ce qui avait motivé ton départ à Amsterdam ? Était-ce pour les mêmes raisons que NYC ?

J’ai vécu plus de 10 ans à Paris dans mon studio en sous-sol, sans lumière du jour, avec la laine de roche, tu fumes, tu palis. Michael et Maxime ne bossaient plus ensemble, ils avaient arrêté Basic. Michael s’est construit un truc chez lui avec des fenêtres. Julien s’est cassé, je me suis retrouvé seul, c’était la fin. 10 ans, ça représente un cycle, c’était le moment de prendre l’air. C’était Berlin ou Amsterdam, il y avait plein de trucs qui m’intéressaient, à Amsterdam.

– À Paris, la scène house a tendance à un peu intellectualiser la musique. Amsterdam est beaucoup plus décomplexée par rapport à ça et c’est la ville la plus dynamique d’Europe en termes de soirées. Comment as-tu découvert ce nouveau mode de consommation de la musique?

En fait, ils sont très hollandais là bas, ils se prennent moins là tête. Il y a des DJ qui font des productions très underground, qui mixent dans 3 clubs en une soirée et d’un club à l’autre tu passes d’un son underground au Bleep Bleep Mainstream Hollandais. Personne n’a de problèmes avec ça, car ils sont pragmatiques, il faut bien manger et gagner sa vie. C’est un autre état d’esprit.

– On sent beaucoup d’excitation dans tes réponses donc dans quel état d’esprit es-tu aujourd’hui ? Tu as vécu 3 ans à Amsterdam, tu reviens en France tu relances point G, il y a également un retour de Dj Gregory qui se prépare…

Oui enfin soyons réaliste, il y a un temps pour écouter de la musique, il y a un temps pour la mixer, il y a un temps pour en faire. Aujourd’hui, j’ai envie de proposer des choses avec mon côté un peu plus adulte (éclats de rire).

L’idée est toujours la même, c’est de faire tomber la larmichette. Lorsque j’ai fait Elle, le morceaux faisaient 12 minutes et il faut bien comprendre que tu ne fais pas un morceau de 12 minutes lorsque tu fais de la house en 2003. J’ai fait écouter la démo à Julien (Jabre) et Michael (…) avant d’aller la mixer en studio avec Philippe Weiss, après 3 ans de travail forcené, à me lever à 4h du matin pour être à 4h30 au studio. À la fin de l’écoute, J’ai vu mes potes pleurer : c’est ça qui me motive, c’est l’émotion.

Il y a des moments tu aperçois quelque chose, tu vas le pousser, tu vas y arriver. Il y a des moments ça va être des cycles creux.  J’ai eu des années vraiment creuses. Les deux années avant mon départ à Amsterdam j’avais strictement rien à dire. D’ailleurs je n’ai quasiment rien fait. Je tournais  beaucoup, je jouais en Asie et ailleurs mais ça use… t’as la tête qui va exploser, il y a ce que tu fais et il y a ce que les gens veulent. Soit tu te bats, soit tu te compromets, tu essayes de trouver des subterfuges.

Lorsque tu demandes aux anciens Américains ce qu’est un DJ, ils te répondent « c’est quelqu’un qui fait danser les gens… démerde-toi, mais il faut qu’ils dansent. » Après si tu penses que t’as quelque chose de plus que les gens, que tu as quelque chose à dire qui fait que t’es au-dessus mais que tu ne les fais pas danser, là il y a un souci. Tu n’es peut-être pas au bon endroit. Le côté « je ne regarde pas les gens, j’en ai rien à foutre je fais mon truc », ça ne me correspond pas.

– À propos d’Elle, peux-tu nous en dire un peu plus sur les femmes et ta musique ?

Sur Elle, c’était une période où j’étais avec une fille et lorsque j’étais arrivé au bout du morceau, ça répondait à cette histoire.  Elle, malgré les apparences c’était un morceau avec au moins 45 pistes, c’est très produit. J’ai mis 3 ans à le faire. Je suis revenu trois ans dessus, j’avais quelque chose à dire ; c’était un challenge personnel, ce qui n’a rien à voir avec Point G qui est quelque chose de brut où un morceau peut être fait en 10 minutes. Ce sont des grooves qui tournent.

– Finalement, à quoi se résume la maturité pour un artiste ?

C’est sûrement le fait d’accepter le doute.

– Qu’est-ce qui te faisait garder les pieds sur terre lorsque tu tournais ?

Ah je n’ai pas toujours gardé les pieds sur terre.

– Dans ce cas là comment te reconnectes-tu ?

Lorsque tu fais de bonnes soirées, qu’il y a un truc avec les gens et que les disques s’enchaînent de manière naturelle. C’est lorsqu’il y a une magie.

– Tu as partagé ton studio pendant 10 ans qu’est ce que les gens qui ont travaillé à tes côtés t’ont apporté dans ta construction musicale ?

Il y a eu pas mal de passage,  Julien et Miichaël de Basic Recordings  (ne pas confondre avec Basenotic Recordings)… il y a eu Alain lorsqu’il est parti de Yellow production qui est venu un an au studio.

Ce qui est magique, c’est que t’es dans l’échange, au-delà des notes, il y avait quelque chose qui nous liait, on n’avait pas besoin de se parler. On restait d’ailleurs souvent entre nous dans le studio, très peu de personnes avaient le droit d’y rentrer, c’était une sorte de bunker.  C’est le genre de relations dans lesquelles tu sais ce que l’autre amène, tu sais pourquoi tu l’apprécies et la réciproque est également vraie. On se connait, on se soutient et on extrait le meilleur de l’autre.

Dans la musique, il y a beaucoup d’accidents et il faut savoir les attraper, c’est pour ça que je suis en Record tout le temps. Les Enfants du Bled c’est un exemple type de ce genre d’accidents et de l’erreur MIDI. Je me rappelle que je bossais sur un morceau, j’avais déjà les strings, les lignes de basses, j’avais un sampler magique qui te fait un son magique qui sonne brut et je n’arrivais pas à trouver l’élément clé du morceau. Michael fait un truc à l’arrache, je l’envoie chier. Il revient deux heures après et j’avais fini Solaris. Autre exemple, c’est Julien qui a la boucle de Swimming Places pendant 6 mois, qui n’en peut plus, qui en a marre, qui sature et à un moment Michael et moi arrivons, on injecte un truc et Julien termine le morceau. C’est vraiment de l’échange.

– T’as notamment produit pour Bob Sinclar et d’autres artistes non?

Produit pas vraiment, lorsque je suis rentré de New York, je n’avais pas d’endroit où bosser et Chris m’a gentiment accueilli dans son studio. Donc oui j’ai fait quelques beats, un peu de programmation, quelques Jams de MPC et d’autres machins, mais pas des morceaux. Julien, qui est ingénieur, a fait beaucoup de mix pour Chris. Africanism ça a commencé avec des Jams de MPCs dans son studio.

– Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?

Un matin, en 2000, Chris se pointe au bureau, moi j’étais déjà là depuis un petit moment. Je lui dis « bon ben je tiens un tube ». Il me répond “fais pas chier”. Il bossait sur son album et à l’époque il ramonait un disque à lui depuis une semaine pour trouver des samples,  des boucles, mais il ne trouvait rien. Il descend dans le studio et je lui dis “voilà”. Et je lui explique que j’avais trouvé un riff de cuivre qui n’apparaissait qu’une seule fois au milieu du morceau qu’il retournait depuis des jours : ça a donné Block Party. C’était le début d’Africanism.

Quelques années plus tard, on n’était plus trop sur même longueur d’onde artistiquement parlant puis c’était une production Yellow donc je n’avais pas mon mot à dire. Sur le deuxième disque j’ai fait un petit truc avec Julien, mais c’était la fin, l’élan du début avait disparu.

À la base, on s’était dit qu’on allait faire que des beats, sans prétention, qu’on allait inviter des potes et qu’on n’allait pas faire de promo. Enfin un truc pour DJ : le volume 1, contre tout attente, a dépassé 350 000 CD. C’était assez énorme, mais il faut remettre ces morceaux dans leurs contextes.

– Justement n’as-tu pas peur qu’on te prenne un peu hors de ton contexte ?  Lorsque l’on regarde ce que tu as fait avec Soha, avec Africanism, avec .G ou Dj Gregory, ce n’est pas forcément évident pour tout le monde. Tu gères ça comment ?

Je ne le gère pas, je n’ai pas à le gérer, je n’en ai rien à foutre. J’ai un aspect très sensible très émotionnel : j’aime les accords un peu enjoués, les envolées. Cependant, j’ai un côté très cirque aussi, lorsque je fais “Don’t know Malendro”, c’est mon côté grotesque, tel un Jean Yann de la house musique. Ça fait partie de ma personnalité, ce qui rend le truc parfois difficile, mais j’aime les palettes de style variées.

Ne nous voilons pas la face, il y a tellement de styles et de tendances aujourd’hui… quand tu vends mille copies, que ce soit de tel ou tel genre et que t’entends des « ha ben t’as mis une voix c’est commercial », c’est à se taper la tête contre un mur. Je n’en ai rien à foutre du disque n°24 sur tel catalogue de tel label. Ce qui est intéressant, c’est de comprendre le travail d’un artiste, c’est de parler de musique. Lorsque tu ne corresponds pas aux codes, tu sors, mais je m’en fous.

– Tu disais que tu étais un enfant du sample, penses-tu qu’aujourd’hui le métissage des musiques a été pleinement exploité ?

Non pas du tout, le métissage peut se placer à tellement de niveaux différents qu’on n’a pas besoin de placer des percussions brésiliennes dans un track pour que ce soit métissé. Ça c’était ce qu’on faisait tous dans les années 2000. Ça a été mon fonds de commerce pendant longtemps. Je pense qu’on va vers un autre angle d’attaque, sur des travaux de texture, avec une touche de musicalité.

– Tu ne penses pas justement que dans la musique électronique, les gens ont tendance à se prendre beaucoup trop au sérieux ?

Si, c’est incroyable, mais je ne veux pas contribuer à ce genre d’ambiances. Je fais mon truc, je suis ravi si les nouvelles générations prêtent de l’attention à mon travail et s’intéressent à ça. C’est sympa, ce n’est pas pour autant qu’on aura un nom sur un statut. Demain, je ferais peut-être autre chose et vous ferez peut-être des documentaires sur Arte. C’est la vie et c’est très bien comme ça.

– Un message ?

Merci, on n’existe que parce que les autres sont là et si je suis là c’est grâce à un public. La musique c’est de l’amour.

Merci à Lionel qui a rendu possible cette interview, merci à Gregory pour son temps et sa musique.