Samedi 17 mars 2012, un vent old school emplissait les voûtes du Showcase pour une soirée organisée par le crew Logistic. Parmi les artistes mis à l’honneur, on pouvait compter Losoul. Figure emblématique du label Playhouse et digne représentant de la house allemande, Losoul est un producteur unique en son genre. Après trois albums très éclectiques et des Eps par dizaines, Peter Kremeier (alias Don disco Losoul) est toujours aussi prolifique. Présent sur la scène depuis près d’une vingtaine d’années, il s’est fait connaître grâce à son premier succès Open Door paru en 1996. Le Francfortois  très discret dans les médias sillonne régulièrement la planète afin de faire partager ses galettes. À l’heure où  n’importe quelle personne possédant plus de 50 morceaux sur une bibliothèque iTunes peut se proclamer DJ, le Phonographe, en quête d’authenticité, a voulu rencontrer un puriste.

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 Losoul – Lies (Original Mix)

– Salut, Losoul, peux-tu te présenter ?

Losoul : Salut, je m’appelle Peter, je viens de Francfort et je suis content de jouer à Paris ce soir avec le crew Logistic au Showcase.

– Tu es dans la musique électronique depuis 1994…

Losoul : En fait, j’étais impliqué dans la musique électronique au début des 90’s. C’est juste que ma première parution est arrivée en 1994, un peu avant mes premières sorties sur Playhouse, vers 1996.

– Comment es-tu tombé dans la marmite ?

Losoul : C’était dans les 80’s, j’étais encore adolescent, je commençais à peine à sortir. Mes amis et moi étions vraiment influencés par le funk, le disco et le hip-hop, mais très tôt, j’ai découvert la house des débuts, celle de Chicago et de Detroit. Je faisais la fête avec mes amis et cette énergie qui reprenait l’esprit de la musique afro-américaine et de la soul qui s’agençaient parfaitement. Il y avait cette vibration, cette émotion, qui, pour moi, étaient un pont vers les musiques électroniques.

– Dans ta musique on ressent beaucoup l’influence de la de la musique afro-américaine selon toi, comment cela a impacté ton son ?

Losoul : Je viens d’Allemagne, ce n’est pas le berceau de cette musique, même s’il y a beaucoup de noirs. Cette population existe en Allemagne grâce aux militaires américains venus durant la Seconde Guerre mondiale. J’ai connu certaines de ces personnes et leurs enfants, j’ai également de la famille en Afrique.  Écouter de la musique avec tous ces gens était très enrichissant. Je n’ai pas écouté que du funk et de la soul, mais également de la véritable musique africaine.  J’ai essayé de m’en imprégner. Les musiques issues de la culture afro-américaine et leurs contenus ne s’adressent pas uniquement aux noirs. Le groove, les émotions de cette musique sont universels. Je pense que c’est pour cela que j’ai beaucoup été influencé.

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 Losoul – Btw (Plein Soleil Remix)

– Tu as sorti trois albums, avec des atmosphères très différentes les unes des autres. As-tu un style de prédilection ?

Losoul : Je mixe depuis un certain temps déjà, j’ai eu la chance d’avoir énormément d’influences différentes. Je m’intéresse à de nombreux genres et j’essaye de faire en sorte que ma musique s’enrichisse de toutes ces inspirations. Cela est important pour moi surtout lorsque je produis un album. Je ne produis pas que pour le dancefloor, je présente et défends un point de vue musical, culturel et parfois même social.

La richesse que j’essaie de mettre dans mes albums ne provient pas seulement de simples influences musicales, mais aussi des gens que je rencontre et de mes expériences personnelles. Je puise mon inspiration en dehors de la scène et y apporte ma contribution de manière constructive.

– Est-ce facile d’être innovant en musique électronique ?

Losoul : Lorsque j’ai commencé au début des 90’s, il n’y avait pas tant de gens produisant de la musique électronique et il était compliqué de produire cette musique. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de technologies qui facilitent le travail de production. Il y a de plus en plus de gens qui produisent de la musique, de plus en plus de labels de plus en plus de gens engagés dans cette scène, donc il est peut- être naturel que les gens soient de plus en plus exigeants. Il est peut-être plus difficile  d’être innovant aujourd’hui, mais cela ne se résume pas qu’à faire de la musique, il y a aussi tout le travail autour de la production et les choix que ça implique.

Au début, je travaillais avec un mixer, des boîtes à rythmes, un synthétiseur et quelques effets, c’était très limité. Aujourd’hui, même s’il y a un retour à l’analogique, les possibilités offertes par les ordinateurs sont infinies. La difficulté est de décider ce qu’on fait de toutes ces opportunités et de se concentrer sur ce que l’on veut vraiment. Ce n’est peut-être pas plus difficile d’être innovant en musique électronique aujourd’hui, c’est les innovations en production qui ont changé. L’enjeu n’est plus le même pour s’élever face au nombre croissant de producteurs, même si l’on dispose de beaucoup plus de possibilités.

– Et toi, comment fais-tu pour t’élever ?

Losoul : Je reste cohérent avec moi-même et la façon dont je me suis construit. Je fais toujours ce que je fais depuis le début, peu importe que les clubs, les artistes, le public et toute l’industrie changent constamment.  Il y a certains aspects dans mes productions qui restent identiques malgré les changements de style et le temps. Je ne fais pas d’effort, c’est ma patte, c’est ce qui fait que c’est moi; je ne sais pas ce que c’est, mais c’est inhérent à ma personne. Cela vient tout seul. Je pourrai faire quelque chose de complètement différent, mais dans ce cas là il faudrait que je recommence  de zéro, avec quelques compétences en plus. Je pense que j’ai juste mon style, je le développe sans le vouloir et je suis content avec.

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 Ideal – Schone Frau Mit Geld (Losoul Remix)

– Tu as sorti la majeure partie de ta discographie chez Playhouse, comment es-tu entré sur ce label ?

Losoul : À l’époque, il n’y avait pas tant de house que ça à Francfort dans les 90’s, tout était centré vers la techno, la rave, le breakbeat ou la jungle. Je connaissais les gars du label, car ils vivaient dans la même ville que moi. On allait dans les mêmes soirées, au même magasin de disque  qui s’appelait Delirium. Je savais qu’ils faisaient de la house, ils venaient de créer le tout jeune label, il n’y avait que cinq sorties. Je me sentais proche de leur état d’esprit, j’ai donc décidé de leur envoyer une démo. Ils l’ont perdue et m’en ont demandé une autre avec plus de morceaux. Finalement, ils ont retenu plusieurs morceaux. Je connaissais de nombreux artistes du label à Francfort: Ata et Heiko qui dirigeait Playhouse, mais il y avait aussi Jorn et Roman qui étaient plus centrés sur Klang Electronic. Ricardo Villalobos a également eu un rôle important dans le développement du label. Nous étions très proches, lorsqu’il vivait encore à Francfort.

– Aujourd’hui qu’est ce que ce label représente pour vous ?

Losoul : Aujourd’hui ce label n’est pas aussi important qu’il l’a été. Ils produisent encore, mais de la musique électronique spécifique. J’ai encore une sortie sur ce label auquel je suis attaché et qui est tenu par de véritables amis, mais je vais me diriger vers de nouveaux horizons.

– Peux-tu nous raconter comment tu as décidé de travailler avec le chanteur Malte sur certaines de tes productions ?

Losoul : Avant, il y avait vraiment beaucoup de samples vocaux dans les 90’s et je pense que cela revient encore aujourd’hui. J’étais intéressé par de bonnes paroles et par ce qui fait qu’un morceau de pop est bon ou mauvais. Malte m’a été présentée par l’ami d’un ami, il chantait dans un groupe d’electrowave des 90’s. Ce n’était pas mon genre de musique, mais j’ai été impressionné par l’énergie qu’il dégageait sur scène en jouant et en chantant. Finalement, on a fait trois pistes, ce qui ne représente pas tant que ça, mais ce fut un bon moment et une manière intéressante de travailler. S’il n’y a eu que trois chansons, je reste tout de même très content du résultat et de leur évolution dans le temps, elles me rappellent de bons moments.

– Sur toute votre carrière, comment pensez-vous que votre son a évolué ?

Losoul : Il s’est développé naturellement au fil de mes expériences, et justement, la musique que je produis et mes sets sont comme des photographies  instantanées qui témoignent de cette évolution, de mes émotions de mon imagination. Bien sûr, le cliché se développe et s’enrichit au fil du temps avec des collaborations, des rencontres. Le fait de mixer, de rencontrer et d’écouter de nombreux DJ est aussi très important dans ma construction musicale, car si tu es engagé vis-à-vis de ton public et que tu passes ta vie à partager ta passion aux quatre coins du monde c’est extrêmement enrichissant pour ta perception de la musique.

– Est-ce que tu as changé ta façon de jouer en tant que DJ avec le temps et les technologies qui sont arrivés sur le marché?

Losoul : Je joue toujours vinyle. Je mixe depuis la fin des années 80’s et je collectionne de la musique depuis le début des 80’s je suis donc trop attaché à ce support pour changer. Tu peux le sentir, tu peux le toucher, il y a ce son, cette culture au niveau de la production, de la collection et du partage, qui fait que le vinyle reste pour moi le meilleur support. J’ai développé ma technique, peut-être l’art de raconter une histoire lorsque je mixe, et le fait de rester cohérent dans mes mixes, mais c’est tout. Je n’utilise pas d’ordinateur et très peu de CD, seulement lors de certaines occasions. J’essaie juste de faire de beaux DJ set avec de l’âme, une vraie continuité et de la fluidité. Deux platines et un mixer c’est largement suffisant pour moi.

– Utilises-tu internet pour digger ?

Losoul : Oui parfois, mais je suis vraiment attaché au fait d’aller chez le disquaire.

– Crois-tu au concept de House Nation ?

Losoul : Je dois dire que depuis vingt ans il y a quelque chose qui ressemble à la house nation. Peut-être que je suis un citoyen de ce pays. Je pense que oui, j’y crois et peut-être encore plus qu’avant.

– Et face à l’évolution de ce que l’on peut appeler une industrie de la musique électronique, penses-tu que le concept de house nation soit toujours cohérent ?

Losoul : La house a changé et a puisé dans d’autres genres de musique et d‘autres cultures, la house s’est toujours développée en agrégeant bon nombre d’influences, mais je sens toujours ce fil conducteur qui a toujours constitué l’essence même de cette musique. J’essaie de soutenir cela. Il y a les classiques qui doivent perdurer, et qui me sont chers, cependant j’aime aussi être progressiste. Cela est assez intéressant, car il y a un certain équilibre dans la progression de cette musique, pas seulement dans sa construction au fil du temps, mais également sur le dancefloor. C’est une expression de tout ça, la house nation.

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 Losoul – Deuce (Original Mix)

– Aujourd’hui voudrais-tu produire un second “Open Door “?

Losoul : J’aime toujours autant le style de ce morceau, mais je n’ai plus le même équipement et je dois me développer. C’est du passé, il faut avancer, peut-être qu’un jour je produirai un truc similaire, qui sait ? Il ne faut pas répéter deux fois la même chose, ce n’est pas intéressant.

– Il y a 5 ans environ entre chacun de tes albums, quant peut-on attendre un prochain album de Losoul ?

Losoul : J’ai toujours eu besoin de temps pour accoucher d’un album, le premier album a mis 5 ans à venir, et je crois que ce délai correspond à mon rythme idéal.  Je tourne pas mal et je fais pas mal de remix, je produis également. Un album, ça prend vraiment du temps à germer, je pense que 5 ans, ce n’est pas de trop pour le prochain album.

– Quels vinyles ne quittent jamais ton bac ?

Losoul : J’emporte toujours “Open Door” avec moi, même si je ne le joue pas tout le temps. J’ai également quelques vieilles galettes de Jovonn auxquelles je suis très attaché et quelques edits d’italodisco très peu connus que j’aime jouer par moments. Mais ça représente très peu de vinyles dans mon bac.

– Un dernier mot ?

Losoul : J’adore toujours voyager, rencontrer de nouvelles personnes et vivre de ma passion. Cela me fait vraiment plaisir de jouer à nouveau à Paris ! La house est quelque chose de central dans ma vie et je prends toujours autant de plaisir à la partager avec le public.

Merci à Emily, au crew Logistic et à Losoul pour leurs disponibilités.