La musique de Détroit apparue dans les années 80 fit écho à la révolution technologique ayant détrôné l’ère de l’industrie. Alors que cette ville industrielle se vide et que l’économie délaisse ses habitants, la machine devient soudainement un outil au service de nombreux esprits créatifs. Il semblerait qu’ils aient été assez nombreux pour que l’histoire en omette certains…
En 2014, le label Ultramajic et son co-fondateur Jimmy Edgar obtiennent des informations à propos d’un événement insolite. Ils ont bien fait de ne pas manquer cette vente aux enchères à Détroit recevant un public averti qui s’était échangé le bon tuyau. Il s’agissait d’acquérir le maximum de pièces historiques du mouvement musical qui a forgé la réputation incontestable de la capitale du Michigan à travers le temps. Ils n’ont eu qu’une minute pour apercevoir les 1000 disques vinyles, vieilles cassettes et autres appareils d’enregistrement vintages prenant la poussière avant que la vente ne débute. Ultramajic est sorti de là les valises blindées de cassettes et bourré d’impatience à l’idée de découvrir ce qu’elles pouvaient bien cacher. Parmi les découvertes du label, une boîte contenait des bandes méticuleusement datées de 1995 à 1998 avec l’inscription “ASHTAR LAVANDA”. Ce nom n’étant mentionné nul part ailleurs, deux années furent alors nécessaires à l’équipe d’Ultramajic pour retrouver le mystérieux Mr. Lavanda.
Une seule question hanta le label durant cette longue démarche: Comment se fait-il qu’une telle pépite ne soit jamais sortie auparavant ?
Comme beaucoup d’autres, Ashtar Lavanda partageait à la fin des années 90 des studios analogiques peu connus destinés aux artistes de musique électronique. Le temps en studio étant très coûteux, il fallait enregistrer les tracks le jour même: “Je voulais juste entendre ma musique sur New Dance Show, je voulais l’entendre sur 97.9FM, mais je n’ai jamais pensé présenter ma musique sur un autre média et faire de mon activité de producteur un métier à part entière.”, explique Ashtar Lavanda qui réside toujours à Détroit à ce jour et travaille actuellement dans l’industrie pharmaceutique. Son histoire est révélatrice de l’ascension surprenante et imprévue du mouvement musical dans lequel il s’inscrit. Cela prouve que l’intention initiale de ces artistes était bien éloignée du succès et de l’admiration qu’ils rencontrent aujourd’hui.
Unsolved Mysteries, étonnamment complet et cohérent dans sa narration, se compose de 6 tracks. La première face débute avec “Opulence” qui suggère l’envol progressif d’une navette spatiale, l’abandon du réel et l’état de plénitude ressenti. Une allégorie confirmée à travers l’artwork de l’EP et récurrente chez les artistes de l’époque compte tenu de l’aspect futuriste de leur musique. S’en suit “Moth”, le papillon de nuit, qui trouve son équilibre dans ce nouvel environnement et entame sa première danse avant que “Rozwell”, comme une délivrance, accélère le rythme à plus de 140 BPM. “Granit Shake” maintient l’extase dans la recherche du vide avant que “Unsolved Mysteries” n’exprime la mélancolie éprouvée à l’idée d’un retour dans l’atmosphère. “Marfa Lights” conclut cette odyssée d’une pointe optimiste, comme si la satisfaction escomptée à travers ce périple était abordable dès le départ. Unsolved Mysteries place d’emblé Ashtar Lavanda parmi les pionniers de l’Electro de Détroit tel que AUX88, Ectomorph, ou Dopplereffekt. On y retrouve l’enchevêtrement de bleeps, de touches acides et autres sonorités stridentes. L’ensemble offre ainsi un rendu “psychédélisme moderne” rappelant les meilleures heures de Drexcyia. Déposé sur un lit de Bassline enivrante, une mélodie acidulée : un véritable groove s’échappe de ce bordel organisé, démontrant à nouveau que Détroit et ses artistes avaient une approche visionnaire de la Dance Music.
On ne peut que souligner le détachement de cet artiste inconnu vis à vis de sa création malgré la qualité de cette dernière et reconnaître l’humilité d’un homme ne s’était jamais battu afin d’obtenir sa part du gâteau dans la popularisation spectaculaire de l’Electro de Détroit.
Ultramajic a notamment annoncé que d’autres archives de Ashtar Lavanda sortiront prochainement sur le label et confirmeront l’importance de sa musique.