4/5
Ryan McRyhew a.k.a Thug Entrancer, originaire de Denver et résidant à Chicago depuis 3 ans, nous offre un premier opus chez Software Recording, digne de ceux qui ont bâti la légende musicale de cette ville: direct, efficace et singulier.
L’album explore les limites de la techno : son passé et son présent sont ici savamment disséqués comme pour mieux esquisser son futur. Death After Life s’écoute comme une histoire, mêlant plusieurs genres et sonorités pour nous faire entrer au coeur d’un univers singulier, régi par ses propres règles, ses propres codes.
Le voyage s’effectue en deux étapes. Les parties 1 à 8 du morceau « Death After Life », à la production minimale mais minutieuse, jouent avec l’historique musical de Chicago, cassant sa chronologie et mélangeant différents aspects de sa culture. On peut y entendre des éléments de deep house mais également d’acid house et de juke. Ces huit chapitres ne sont pas de tout repos, tels la divine comédie de Dante, plusieurs chants s’entremêlent, nous faisant traverser différents cercles. « Death After Life I » est une montée aux sonorités chaleureuses qui préfigure néanmoins la violence à venir.
Les tracks suivantes nous plongent au coeur de l’enfer, avec des sonorités acid house et des rythmiques proches de la deep house. « Death After Life II », une des tracks les plus minimales de l’album, sonne comme une entrée en matière, le calme avant la tempête. Puis c’est l’escalade, jusqu’à la brutalité inouïe des dernières minutes de « Death After Life III » malmenant l’auditeur dans un chaos sonore aux dimensions épiques. Arrivé à ce stade, on peut d’ores et déjà sentir toute la maîtrise et l’ambition du jeune producteur.
Les partie IV et V réussissent à créer une attente au travers de variations de rythmiques empruntées au footwork et à la juke, le tout enveloppé dans des sonorités sombres, dissonantes comme pour mieux caractériser l’origine underground et la modernité singulière de ces styles issus des ghettos du Chicago des années 2000. D’une efficacité redoutable, ce diptyque nous conduit tout droit au Purgatoire, où le mouvement des corps en transe semble agir comme une force rédemptrice.
Puis vient le Paradis, dernier chapitre de la Divine Comédie, avec un retour au calme et des sonorités plus éthérées, où la danse se fait plus joyeuse et douce à l’image du footwork des chapitres VII et VIII, plus minimaux, et à l’ambiance plus lumineuse.
L’album se clôt par un morceau en deux parties « Ready to Live », forme de renaissance après les affres du voyage à travers la mort. Très imprégné de techno minimale, ce morceau prolonge le voyage des chapitres précédents, en en résumant efficacement le contenu sous un angle plus ambient.
« Ready to Live » semble créer également une attente, laisser une fin ouverte. Comme toute bonne histoire, sa vocation est de témoigner du travail, de la vision d’un auteur tout en ouvrant le champ des possibles pour l’auditeur mais aussi pour de futurs projets.
Ce premier album de Thug Entrancer, riche composition nous plongeant dans l’univers de son auteur, est au final une oeuvre honnête, marquant le début d’une expédition aux confins de l’EDM.
Software Recording signe ici un petit chef d’oeuvre chargé de sens et d’histoire et dont nous avons hâte de connaitre la suite. Tout comme son confrère de Software, Huerco S (dont vous pouvez lire ou relire notre interview ici), Thug Entrancer ouvre la voie d’une nouvelle génération de producteurs indépendants à la musique hybride et aux grooves des plus efficaces, invoquant des aspects de la techno alors inconnus.
Thug Entrancer – Death After Life (Software Recording)