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Le 14 mai dernier, l’un des clubs de jazz les plus respectés de Rio accueillait la venue d’un groupe de jeunes musiciens particulièrement prometteur : Le Workshop d’Itiberê Zwarg. Itiberê Zwarg est considéré comme étant l’un des meilleurs bassistes du pays. Ami et proche collaborateur d’Hermeto Pascoal, sa fille et lui dirigent depuis quelques temps un Workshop formé de jeunes artistes. Ainsi, bien que jouer leurs compositions devant un public cachant le grand Hermeto Pascoal en son sein semblait loin d’être une tâche aisée, c’est malgré tout avec brio que les musiciens sont parvenus à mener leur mission, et ce, aux côtés de Mariana Zwarg, leur talentueuse chef d’orchestre. Afin d’accompagner l’écoute, Mike Ryan, l’ethnomusicologue australien à la tête de l’établissement, nous dit quelques mots sur la jeunesse brésilienne, ainsi que sur les obstacles rencontrés dans sa quête artistique.

On the 14th of May, TribOz, one of the most respected Jazz Clubs in Rio, hosted the venue of an extremely promising young group of musicians: Itiberê Zwarg’s Workshop. Itiberê Zwarg is considered to be one of the best bass players the country has ever seen. Great friend and collaborator of Hermeto Pascoal, he and his daughter have been directing a very special workshop formed by young people. Playing their compositions with Mr Pascoal hidden in TribOz’s public was no easy task but they all seemed to be devoting themselves to the task, with Mariana Zwarg as their beloved director. To accompany the listening, Mike Ryan, the Australian ethnomusicologist who owns the Club, tells us some words about the Brazilian youth and the challenges of its involvement in music.

« J’enseignais la musique à l’Université Fédérale de Belo Horizonte. Il s’agit là d’un exemple intéressant, parce que sur place, de manière similaire à tant d’autres endroits, on voit tous ces étudiants devenir de grands musiciens et présenter une motivation sans pareille. Les étudiants brésiliens sont vraiment intéressés par ce que l’on a à leur apprendre et ils sont bons, ils répètent, produisent, improvisent … Ils font toutes ces belles choses et puis d’un seul coup, ils te font comprendre qu’ils ont tout donné, quand bien même ils aient encore tant de choses à apprendre et à approfondir. Rares seront ceux qui approfondiront réellement leur sujet et encore plus rares seront ceux qui vivront de toutes ces années de dur labeur. Ainsi l’on voit tout ce potentiel gâché et l’on finit inexorablement par se demander « Pourquoi ? ». Dans la plupart des cas s’ils ne vont pas plus loin, c’est tout simplement parce qu’ils sont rattrapés par les difficultés imposées par leur survie ici au Brésil. Ils ne parviennent pas jusqu’à ce qui pourrait leur offrir une véritable stabilité économique ou sociale parce qu’ils sont rattrapés par la dureté des conditions de vie de leur pays.

“I used to teach music at Belo Horizonte’s Federal University. It is an interesting example because there, just as in many places, you watch these students grow into great musicians, you see them be so motivated.

Brazilian students man they’re really interested in what you have to say and they’re really good and rehearse and produce, improvise… They do all these great things but then, all of a sudden they make you feel like they’ve given everything, when they still have so much to learn and to deepen. Rare will be the ones deepening their subject and even rarer the ones actually living out of their years of hard work. And so you see all this great potential go to waste and you ask yourself “Why?”. In many cases they only go so far, because they get caught up by of the challenges of surviving in Brazil. They get married young, find a non-study related job, trying to survive and what they end up doing is below their capabilities. They don’t genuinely go into what could provide them with economic or social stability.

En Australie, les personnes titulaires d’une Licence en musique attendent véritablement de vivre de ce métier. Prenons l’exemple typique de deux musiciens diplômés qui ne parviennent pas à décrocher suffisamment de concerts où jouer. Ils peuvent se tourner vers leur système de sécurité sociale pour subsister à leurs besoins, le tout en poursuivant leur dévouement à leur art. Au Brésil, on n’a pas cette possibilité. Au Brésil il n’y a pas d’infrastructures. La sécurité sociale et le système de santé ne fonctionnent pas correctement. En Australie, on bénéficie des qualités d’un « pays qui fonctionne », tandis qu’au Brésil il serait aisé de dire que rien ne fonctionne véritablement. Il n’y a pas de stabilité ; tu peux avoir de l’argent un jour et te retrouver à la rue le lendemain ou aller à l’hôpital pour une égratignure et ne jamais en ressortir ; des musiciens extraordinaires, mais pas de temps pour répéter et s’entraîner, le tout couplé à ce besoin de débourser une fortune pour tout. Ici, les choses sont irréelles. Comment faire pour survivre ? En Australie l’on s’entraîne et l’on répète jusqu’à ce que l’on soit prêt. Ici il n’y a pas ce luxe du temps. Ici tu arrives et tu joues, point. Pas le temps de répéter parce que tu as aussi l’obligation de travailler dur, afin de t‘assurer que ta famille mange à sa faim. C’est comme ça.

In Australia the people who go through a Bachelor’s Degree in music actually expect to make a living out of it. If you take a typical example: you get four musicians with a degree, whom don’t get enough gigs to play. They can go on social security, while continuing focusing on their art form. In Brazil you don’t have these elements. In Brazil there are no infrastructures. Social security or the health system don’t function properly. In Australia you get the benefits of “a country that works”, while in Brazil it would be safe to say nothing works. You have no stability man, you can have money one day and find yourself in the streets on the other or go to the hospital for a scratch and never come out of there. Amazing musicians but no time for rehearsal, got to pay for every little thing you might need to do, things are going crazy. How can we survive? In Australia you get to rehearse and rehearse until you are there, until you are ready. Here you don’t have the luxury of time, you get there and you just play. No time for rehearsal because you also need to work hard and bite dust to make sure you and your family don’t go to bed on an empty stomach. That’s just how it is.

Les perceptions et les fonctions de la musique répondent aux prérequis du contexte culturel. Au Brésil, si l’on combine la carence d’infrastructures au fait que la musique est une véritable icône nationale, l’on peut avoir la certitude que cela modifie les perceptions à un niveau collectif. Les musiciens ressentent la nécessité d’être extrêmement créatifs et de produire des choses répondant à de véritables critères d’excellence. Et cela est la clé finalement, si l’on y réfléchit bien. C’est de cette manière qu’on arrive à obtenir 50% de la recette. La musique n’est rien d’autre que l’ensemble représenté par une transmission et une réception. Sans récepteur, il devient impossible de parler d’un transmetteur et par conséquent impossible de parler de ce que l’on définirait comme étant un musicien. Ainsi, ce qui se produit est la chose suivante : la survie génère une grande excitation, qui elle-même s’accompagne d’un vrai lot de créativité à chaque fois qu’un public est présent. Cela s’explique par le besoin de survivre et de décompresser face à une société rongée par la corruption et les difficultés économiques. Face à une telle adversité, les perceptions de la musique ne peuvent être qu’étroitement liées au contexte économique et social de la société concernée. Devant cette lutte quotidienne, la nécessité de relaxations et de moments agréables devient omniprésente. Ainsi, ce qui pourrait être réalisé en deux mois en Australie, avec une aide gouvernementale conséquente, peut aisément nécessiter un an entier ici. Une absence de financement, des musiciens qui arrivent toujours en retard, repartent trop tôt ou ne viennent pas du tout … Ainsi, au Brésil, la musique est une icône nationale et a un impact crucial sur la vie de la population. Plus particulièrement en ce qui concerne les générations plus jeunes, tout simplement parce qu’elle n’est autre que le véhicule d’unification historique le plus important, et ce, indépendamment de quelconque statut social ou système de croyances. »

Perceptions and functions of music respond to the challenges and luxuries of the cultural context. In Brazil, if you combine the lack of infrastructure to the fact that music is a national icon, then you can be sure perceptions will change at a collective level. Musicians feel the necessity to be super creative and produce things that are great and that require excellence. And that’s it if you think about it, that’s how you naturally get 50% of the formula. Music is none other than transmission and reception. Without a receiver, there is no possibility to speak about a transmitter and so there is no possibility to speak about a musician. What happens is the following: survival involves an incredible set of excitement and creativity each time you get an audience. It’s about the need to survive, to let off the steam of a system of unbelievable corruption and economic difficulties. Perceptions of music are closely linked to context through adversity. In the face of hourly challenge, the need for relaxation and good times becomes over-present. What could be done in two months time in Australia with government funding would easily take one year to do here. No funding, musicians coming late, leaving early or not even coming at all. So in Brazil, music is a national icon and crucial to people’s lives, especially to the youngest generations because it is none other than one of the most significant vehicles for the country’s historical unification relatively to many backgrounds as well as belief systems.”

Le site internet de Itiberê Zwarg

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