Activiste luttant depuis son plus jeune âge pour la liberté musicale, organisateur des premières Raves, éternel anticonformiste, Manu Casana fait partie des personnages qui, au début des années 90, ont contribué à l’essor des musiques électroniques en France alors peu connues à cette époque. Vingt années de militantisme musical à prêcher en faveur de la house, de la techno mais aussi de la défense des libertés individuelles et qui seront célébrées le samedi 13 octobre à l’occasion de la Pure Underground Rave Energy (P.U.R.E). Un évènement unique pour revivre les Raves d’antan au coeur de la MOZINOR (Montreuil) et danser sur les sets de Djs mythiques de la scène alternative. Manu Casana nous a accordé un peu de son temps pour nous parler de cet évènement, de lui, de son parcours et de ces vingt années de Raves et de musiques.

Nous avons également réussi à nous procurer une partie d’un rapport datant de 1995 rédigé par le service anti-drogue du Ministère de l’Intérieur qui investiguait à l’époque sur le milieu des Raves en France. Document officiel que vous pouvez consulter en cliquant ici.

– Salut Manu, peux-tu te présenter brièvement ?

Déjà agité dans le ventre de ma mère, engagé dans le mouvement Punk dès 14 ans, chanteur au sein du groupe Sherwood Pogo, fouteur de bordel au PSG en 1978 (j’ai foutu le camp quand les fachos sont arrivés), créateur du label punk/hard-core AUTO DA FE records. Début 87 je tombe dans la marmite « Acid House », et depuis, je me nourris de ce plat à presque toutes les sauces. Je déteste l’injustice et l’arbitraire qui sont trop monnaie courante et j’ai deux passions : La Musique et la recherche de Libertés.

– Comment l’idée de faire une rave en France t’est-elle venue à l’esprit ? Comment tout a commencé ?

Spontanément et logiquement, sans trop réfléchir. Juste un besoin de faire partager à mes amis ce que je vivais lors des premières Raves quand j’allais en Angleterre. Au début, ce n’était pas vraiment des Raves mais plutôt des Boums améliorées, avec les ingrédients incontournables de ce mouvement naissant. C’est en 89, que, faute de place dans la péniche où nous nous retrouvions et inspiré par une soirée que je devais organiser avec des amis anglais (qui a été annulée), qu’un collectif impromptu d’amis s’est créé. Tout est parti de là, d’une énergie et d’envies partagées qui ont fait que chacun participait et donnait de soi pour que les soirées deviennent de plus en plus proches de ce que l’on appelle une Rave. Nous sentions tous que nos soirées étaient anticonformistes, libertaires et que c’était la réponse au paysage des boites de nuit chiantes et élitistes.

– Quelles ont été les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées ?

Plus il y avait de personnes au courant et plus nous avions besoin de place, donc ce sont les lieux qui n’étaient pas toujours faciles à trouver. A part ça, j’ai souvent rencontré les autorités sur mon chemin : perquisitions, écoutes téléphoniques, surveillances et ce discours en forme d’ordre : « Monsieur, arrêtez d’importer des mouvements d’Angleterre. Après le hooliganisme, vous nous amenez les Acid House parties, les Raves… On vous a à l’œil ». C’est clair, ils m’avaient dans le viseur…

– Comment as-tu vécu l’accueil de cette culture par les autorités ?

Il n’y a pas eu d’accueil, cela a tout de suite été un rejet. Un exemple : je préparais avec des amis une soirée appelée MAD et qui devait se tenir près de Dieppe. Les autorités françaises prévenues par leurs homologues anglais ont tout fait pour nous empêcher d’organiser quoique ce soit. Autant vous dire qu’à cette époque (1989), on ne parlait pas encore de culture, ni même de musique. Pour les autorités il n’était question que de drogues et de troubles à l’ordre public. Il en a été de même pour d’autres styles musicaux et mouvements de jeunes.

Le Jazz à ses débuts était relié à la consommation de cannabis, à des concerts où les blacks se dévergondaient. Après, c’est le Rock qui fut diabolisé, puis le mouvement Hippie. Bref, dès que la jeunesse trouve une échappatoire à la morosité de la société, les politiques, les autorités et les gens « bienpensants » se dépêchent de vouloir y mettre un frein de peur que leur système soit déréglé. Pire, que cela aboutisse à de la contestation voire à la révolte. C’est aussi pour cela qu’en Angleterre, les seules revendications affichées par les ravers étaient « FREEDOM TO PARTY » ou « WE JUST WANT TO DANCE ». On ne va pas changer votre système, on veut juste faire la fête.

Frankie Bones – The Track To Define History

– Parle nous de P.U.R.E, dans quel esprit et dans quelle dynamique s’ancre cette nouvelle soirée?

P.U.R.E, c’est une fois de plus une énorme envie, une énergie. Celles de célébrer plus de 20 ans d’activisme dans ce pays et de faire revivre l’esprit libertaire et underground des premières soirées, sans être, ni récupéré, ni vendu et encore moins profiteur. C’est aussi offrir, partager, échanger et faire une belle fête dans un lieu inconnu, mais en toute sécurité. Nous ne détenons aucune vérité, nous n’imposons rien, nous proposons une vision de ce que peut être une soirée, à notre façon, rien de plus. La seule revendication, le désir premier et fondamental, c’est le respect, la mixité, le mélange des genres et des gens. Ni élitisme, ni ségrégation, un moment sans barrières, ni murs, un lieu de rencontres par la fête et la joie.

– Pourquoi avoir fait ce choix de line-up ?

A la base, cela faisait un peu plus d’un an que je pensais à l’anniversaire de l’année 1992 qui est l’année où le mouvement Rave a réellement éclaté en France. Sur Paris, c’était l’année où de nombreux organisateurs ont vu le jour et où d’autres ont atteint leur maturité : Lunacy, Invaders, Cosmos Fact, Dragoon Fly et bien évidemment Rave Age. C’est aussi l’année de la première RAVE ô TRANS qui a changé le festival des Trans Musicales de Rennes, fait basculer la Bretagne dans la musique électronique et donner une certaine crédibilité au mouvement. Stéphane, que j’ai rencontré sur le net, voulait lui aussi fêter les 3 ans de son site OLD SCHOOL BUT GOOD SCHOOL et c’est de là que tout est parti.

Donc pour revenir à la question, Frankie Bones s’est imposé comme une évidence car il était là en 92 que ce soit aux Trans, ou à « Rave The Bass » à Asnières qui fut très certainement la première Warehouse Party digne de ce nom. Underground Resistance était un choix évident aussi pour tout ce que peut représenter ce label et ses artistes dans le mouvement Techno. Après, il était hors de question de ne donner qu’une seule couleur musicale à cette soirée car l’éclectisme était l’un des piliers des premières soirées. C’est ce qui permettait à des gens provenant de tous horizons de se retrouver. C’est pourquoi, avec Steph, nous avons voulu une progression musicale et c’est donc dans cet esprit que les autres artistes ont été choisis. Silicone Soul pour l’esprit festif, tribal de la House, comme savent si bien le faire les anglais, Louca pour le côté deep et sexy de ses sets, Kristofo pour l’énergie dégagée de sa Tech-House et enfin Mars T car il y a du mental dans ce que je connais de lui. Ce n’est pas que du rythme, sa musique parle aussi aux neurones et c’est très bien pour finir une soirée de rêve.

– Comment se sont passées les négociations avec la mairie de Montreuil ? Etait-ce plus facile qu’il y a 20 ans ?

On ne peut pas parler de négociations. Nous avons expliqué et présenté notre projet et la municipalité de Montreuil a accepté. Depuis, nous travaillons en totale transparence et la Mairie nous apporte l’aide qu’elle peut. Nos relations sont cordiales et leur soutien ne fait aucun doute. Ce n’est pas comparable à il y a 20 ans car lorsque mes premières soirées ont été interdites et perquisitionnées et que nous étions surveillés, nous avions pris le parti de ne rien déclarer. Nous organisions nos fêtes de manière cachée, de façon « underground» avec tous les risques d’annulation et persécution que cela pouvait engager. Mentir aux autorités et les manipuler est une solution pour organiser des soirées, mais (et je suis très certainement naïf sur ce point), je n’ai pas envie de rentrer dans ce jeu, de copier ce que politiques et autorités peuvent pratiquer. Je reste, même avec mon âge, un utopiste. Je souhaite que, dans une société moderne, il y ait de la place pour tous et pour tout dans un respect commun.

– Penses-tu que le dialogue avec les autorités ait évolué après 20 ans de musique électroniques en France?

Franchement je ne sais pas. Les autorités ont le pouvoir, et par expérience, je sais que s’ils ne veulent pas que quelque chose se passe, elles ont les moyens de l’empêcher. Mais je suis résolument pour le dialogue et ne prêche la révolte et le combat que devant l’injustice et l’arbitraire. Il est évident que de monter une soirée dans les règles, sans enfreindre aucune loi est impossible. L’état ne fait pas respecter l’ordre et la loi dans nos rues, pourquoi les Raves seraient au dessus du reste ? Dans un premier temps, essayons la communication et le dialogue avec les autorités et si cela ne fonctionne pas, alors il faudra trouver un moyen pour continuer de faire ce que l’on a envie.

– Comment penses-tu que les états généraux de la nuit ont fait avancer les choses?

Les choses n’ont pas avancé. Soit on rentre dans le rang, soit on risque la répression. Après, c’est un choix. Paris n’est plus la ville festive qu’elle a été. Demandez aux bars et aux clubs à qui l’on met de plus en plus de pression. Tant que les décideurs n’auront pas compris que la fête, la musique, les sorties sont des besoins pour les citoyens et que les choses ne seront pas faites dans ce sens, rien ne changera complètement. Il n’y a pas que le travail et la consommation dans la vie. Il y a le plaisir, le bonheur et chacun doit être libre de les trouver où il veut sans pour autant supprimer ou bafouer la liberté d’autrui.

– Quel regard as-tu aujourd’hui sur cette tendance que les fêtards ont à fuir les clubs ?

On peut faire la fête en club ?? En club, on boit, on peut danser, draguer et faire un semblant de fête en dépensant beaucoup. Je comprends très bien cette envie de quitter les clubs, c’est la même envie qui nous a fait organiser les premières Raves. Dans un club, on ne se sent pas libre comme dans une Rave. Le club est un produit de consommation avec des règles où la liberté de chacun n’est pas toujours respectée.

Silicone Soul – Right On (Version 2)

– Es-tu partisan de l’éternel “c’était mieux avant” ?

Très certainement pas. Le passé c’est le passé et ce qui est important c’est l’avenir et ce que l’on pourra vivre. Ce que j’ai vécu fait partie de mes souvenirs et j’espère bien m’en créer d’autres. La seule chose qui était mieux avant en ce qui me concerne, c’est la récupération après avoir fait la fête, cet aspect là était franchement mieux avant, avec quelques années en moins…

– Quel est selon toi l’héritage des raves aujourd’hui?

Selon moi, le premier héritage, c’est la musique et l’envie de faire la fête. Les autres valeurs « défendues » par les Raves ont disparu : moins de respect, moins de sourires, moins de joie, plus de cloisonnements et surtout beaucoup plus de drogues de merde avec personne pour initier et expliquer… Oui, ce qui reste, c’est la musique car même si le système en récupère, il y a toujours de vrais créateurs, des artistes avec du talent qui produisent avec leur cœur et leurs tripes.

– Selon toi le mot “underground” aujourd’hui a-t-il encore une signification?

Oui bien évidement. Etre underground, c’est exister comme on a envie d’exister, c’est se donner les moyens d’être soi-même, c’est ne pas vouloir rentrer dans un moule, suivre toutes les règles de la société, c’est ne pas accepter la récupération. Underground, c’est avant tout un état d’esprit d’où peuvent émerger des idées et fonctionnements d’avenir. L’underground c’est un laboratoire pour des personnes qui veulent être libres et qui créaient leur espace de liberté. C’est ne pas rester dans les chemins tout tracés. L’underground, c’est l’innovation. Sans underground, pas de diversité, pas d’éclectisme, pas de nouveauté.

– Que dirais-tu à nos lecteurs pour les convaincre de venir à votre évènement ?

Vous avez envie de faire la fête, vous avez envie de vous sentir libre, vous voulez danser sur de la bonne musique et rencontrer des personnes qui ont ces mêmes envies, c’est à P.U.R.E. qu’il faut être, See you There !!

P.U.R.E – le 13/10 de 23hà 8h à Mozinor – 2-20, Av du Président Salvador Allende, 93100 Montreuil

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