A 74 ans, Laraaji tape les 40 ans de carrière, une bonne cinquantaine de sorties et un bien-être communicatif. Collaborateur privilégié de Brian Eno, il ne se fait connaître par une audience plus jeune que dans les années 2010 avec des sorties sur Soul Jazz et Leaving Records (le label de Matthewdavid). On a été tellement impressionné par sa performance au Terraforma cet été que l’on a profité de la sortie de son nouvel album sur All Saints pour discuter méditation, studio et O.J Simpson.

Commençons par le commencement, où te trouves-tu exactement ? NYC ?

Oui, à Harlem pour être tout à fait exact.

Si je ne me trompe pas, tu es de Philadelphia…

C’est effectivement là que mon corps est né. Quant à mon esprit, il vient d’ici et d’ailleurs. Et il grandit constamment !

Comment as-tu démarré la musique ?

Je devais avoir 7 ou 8 ans. A l’école élémentaire, on m’a mis une sorte de flûte entre les mains, une tonette pour être exact. Arrivé en CM2, ma chère mère a remarqué chez moi un certain intérêt pour la musique. Elle m’a donc inscrit à des cours de violon puis de piano. A 10 ans à peine, j’avais déjà pleinement plongé dans la pratique et l’étude de la musique. C’était dans les années 50.

Ensuite, tu as commencé à performer en public…

Je suis allé à l’université pour étudier la musique, autant au niveau de la composition que de la théorie. J’ai passé 4 ans là-bas, puis il a été temps pour moi de bouger à New York. C’est là-bas que j’ai commencé la scène, en jouant mais aussi en faisant du stand up.

Comment qualifierais-tu ta musique ?

L’ambient est une des qualifications les plus communes et les plus génériques, mais je dirai aussi qu’elle est spirituelle, New Age, expérimentale, céleste. Ma musique est aventureuse en quelque sorte.

D’où vient ton inspiration ?

Mon processus créatif puise sa force à travers la méditation, un travail constant sur moi-même, la lecture, notamment des ouvrages philosophiques, le yoga, un voyage dans mon esprit que je nourris constamment. Je me mets constamment dans un état méditatif pour me comprendre et comprendre ce qui m’entoure. Cette réflexion permanente va bien au-delà de ma personne et de mon histoire personnelle.

De fait, la méditation prend une part importante dans ton quotidien.

Oui, je dirai que la méditation est ma priorité dans la vie, c’est une véritable façon de vivre. Cela ne veut pas nécessairement dire rester assis les jambes croisées durant des heures. La lecture, la danse et la performance font également partie du processus. Toutes ces activités sont réunies sous l’appellation méditation pour servir un seul but, mon épanouissement personnel, ce qui est propice à la créativité.

Je t’imagine comme étant une personne qui dédie le plus clair de son temps à des activités spirituelles, je me trompe ?

Oui, je suis en constante découverte de ma spiritualité pour atteindre une forme de paix et de bien-être. Mais encore une fois, la méditation c’est aussi s’intégrer pleinement dans le monde, être actif et construire.

Tu me donnes l’impression d’être quelqu’un de très porté sur la spiritualité. J’aurai parié que tu préfères être en pleine nature qu’en plein Harlem. Comment se fait-il que tu vives en milieu si urbain ?

Certes, je vis à Harlem, mais je fais partie d’une communauté spirituelle dans la campagne proche de NYC. Je visite aussi mes amis qui vivent en périphérie de la ville, proche de la nature. Je me rends souvent à Central Park, ce qui est aussi une façon de s’en rapprocher. Vivre dans une ville aussi grande est bon pour moi car mon travail sur la spiritualité consiste aussi à marcher dans les rues, faire partie de ce monde, interagir avec une multitude de personnes. Et j’aime aussi le fait de pouvoir ne pas avoir de voiture.

C’est ce que tu n’as pas trouvé à Philly.

Non effectivement. J’ai vécu 2 ans seulement là-bas puis ma famille a déménagé au New Jersey. La connexion avec NYC était alors évidente. Je suis resté dans le NJ jusqu’en 1966 avant de croquer la grande pomme !

Lorsque tu joues, tu arrives à être concentré sur ce que tu fais à 100% ?

Avant de jouer, je me mets en condition mentale. La méditation accompagne ce que je fais mais je me perds souvent dans la musique, le rythme et l’exploration. Derrière cela, il y a toujours une méditation sous-jacente donc je n’ai pas besoin de toujours me re-focaliser dessus. Je ressens cet espace qui me dépasse dans lequel ma musique s’insère. Je parle de quelque chose plus grand que la 3ème dimension et la planète Terre.

Laraaji jouant du Gong au dernier Terraforma

"La méditation est ma priorité dans la vie, c’est une véritable façon de vivre"

Choisis-tu tes collaborateurs en fonction de ces habitudes ?

Tous mes collaborateurs ne méditent pas ou placent la méditation au centre de leurs vies. Ils ne passent pas forcément non plus autant de temps que moi à se préparer. Cela n’impacte en rien la créativité bien entendu. De plus, il ne s’agit pas forcément de méditation mais quoiqu’il en soit, j’ai l’impression que je parviens à travailler avec de plus en plus d’artistes grâce à ma méditation. Les directives que je me donne contribuent au résultat final. Je joue aussi avec des musiciens qui jamment simplement.

A propos de ces collaborations, je ne peux m’empêcher d’évoquer Brian Eno car la presse se plaît à dire qu’il t’a découvert.

Oui, il m’a découvert, inconscient, allongé sur le dos (rires)

Ca devient intéressant...

Il a assisté à l’une de mes performances au Washington Park en 1978. Je jouais de la cithare électrique et il m’a laissé un mot disant qu’il serait intéressé par une collaboration. On s’est vu le jour suivant et on a commencé à enregistrer le disque qui deviendra plus tard Ambient 3: Day of Radiance. Il faisait déjà de l’ambient à l’époque, il venait de quitter Roxy Music. A ce moment-là, je ne considérais pas que ma musique était de l’ambient, même si la vibe était similaire.

La Cithare est-il ton instrument de prédilection ?

C’est effectivement l’élément clé de mes performances. C’est aussi l’instrument avec lequel j’enregistre majoritairement. Je joue aussi sur différents claviers et pianos mais la Cithare est plus exotique et New Age. C’est plus intéressant pour l’écoute, j’en ai donc fait ma marque de fabrique. La plupart de mes sons compte cet instrument.

Le décor est maintenant planté, venons en au fait : le mois dernier, tu as sorti un double album chez All Saints…

Effectivement, il s’agit de 2 LPs d’1h chacun, enregistrés en 3 jours. Le premier c’est Sun Gong qui - comme son nom l’indique - a été enregistré avec un gong électronique. Le second c’est Bring on the sun, une variété de propositions musicales enregistrées en studio. Il s’agit en fait de la même session d’enregistrement pour les 2 albums, plus de 9h de prise !

Carlos Nino a été un proche collaborateur sur ces disques.

Il a été essentiel : il s’est occupé de mixer tout l’album, côté musique, j’étais en solo en revanche.

Quand tu es entré dans le studio ce jour-là pour enregistrer quasiment sans interruption, avais-tu l’intention de faire du résultat un album ?

J’avais juste dans l’idée d’enregistrer des sons de ce Gong. Je voulais explorer et inventer sur le moment, en toute improvisation, à coups de synthétiseurs, guitares et pianos. Durant ces 9 heures, je ne savais pas ce qui allait arriver en suivant. On a ensuite pris les rush et éditer toute cette matière.

Tu veux donc dire qu’aucune partie musicale n’était planifiée ?

En studio, je me mets toujours des directions. Néanmoins, les paroles et la plupart des mélodies se créent sur le moment.

Es-tu entièrement satisfait du mixage de l’album ? Je me demande ça car Carlos Nino est un musicien ultra éclectique et très proche de la scène beat de L.A. Était-il biaisé ?

Au contraire, il a été très sensible à ma démarche qui lui était familière puisque nous avions déjà travaillé ensemble par le passé. Il m’a amené à ses soirées et à son émission de radio à Cali, il a mixé en warm up de mes concerts. Je n’ai fait aucun compromis avec le mix de l’album. Nous avons échangé beaucoup d’idées par mail pour faire ressortir le mix idéal. En général, je le conseille sur la vitesse de lecture, les fade out ou les parties à supprimer. Il s’agit d’un enregistrement multi pistes donc certaines méritaient d’être rehaussées d’autres baissées. Il a été très ouvert et compréhensif à ce niveau-là.

D’ailleurs, à l’inverse, te sens-tu capable de sortir de ta zone de confort et de participer à un album des artistes de son entourage et de la scène hip-hop ?

Je danse beaucoup sur du Hip-hop, je “boogie” aussi et toi ? De fait, je joue du Hip-Hop parfois chez moi, notamment lorsque je jamme avec mes potes pour le plaisir. Néanmoins, je ne suis pas certain que je pourrais enregistrer un disque. Pourtant, il m’arrive de sortir de ma zone de confort, par exemple, j’ai enregistré un disque avec Numero Group qui est plus orienté Pop, ça s’appelle “Vision Songs” et ça sortira courant février.

Je suis tombé sur une interview de Brian Eno sur Pitchfork où celui-ci affirme qu’il n’écoute jamais de musique. Lorsqu’il le fait, c’est un ami qu’il considère comme une sorte de curateur personnel qui lui conseille des choses à écouter. En temps que musicien, trouves-tu le temps d’en écouter ?

Absolument pas. Mais en ce moment je fais quelques interviews pour la sortie de l’album et je me retrouve à écouter de la musique, notamment sur Youtube, similaire à la mienne ou de l’ambient pur. Je n’ai rien pour écouter de la musique chez moi par exemple. J’entends de la musique quand je sors mais à la maison, je passe plus de temps à explorer mes propres enregistrements.

Finalement pour toi l’écoute de musique constitue plus un loisir qu’autre chose ?

Exactement, la musique est pour moi le support de la danse. Sinon ce soir par exemple je vais voir Pink Floyd en concert, c’est leur premier depuis bien longtemps. Ils ont un nouveau projet et il se lance dans plus de 200 concerts.

Laraaji meditation

Et tu vas aux concerts de tes potes parfois ?

Seulement lorsque je suis en festival et qu’il y a d’autres musiciens mais ici à New York, je ne vais pas trop à d’autres concerts, d’une part c’est assez cher, d’autre part, je ne sais pas comment le volume sera réglé. Ceci étant dit, j’aime bien les festivals d’été.

As-tu choisi les parties seul ou Carlos Nino t’a aidé là-dessus ?

Carlos et Matthew Jones ont écouté toutes les pistes possibles et ils ont décidé de ce qui irait sur le premier ou le deuxième album.

C’était un travail difficile ?

Au départ oui. Il y avait tellement de matières représentant ce que j’aime partager mais quand on en est venu à à décider de ce qui était le mieux à garder, j’ai eu besoin de leurs avis pour m’aider.

Ca me fait penser à un truc : tu connais O.J Simpson : Made in America ? C’est une série documentaire produite par ESPN en 7 parties d’1h30 qui relate son histoire à travers des interviews et surtout énormément d’archives. Les réalisateurs ont abattu un travail incroyable de sélection des images pertinentes pour le documentaire parmi des milliers d’heures d’images. Pour moi, c’est un peu la même chose en musique, quand tu as beaucoup plus de matériel que de place sur le disque. C’est un sacrifice constant, l’album ne sera jamais parfait au final.

Je ne regarde pas la TV mais je comprends tout à fait ce que tu veux dire. Tu apprends à connaître la musique en l’écoutant plusieurs fois. De cette façon, cela devient évident et les pistes s’offrent à toi. Certaines parties sont rébarbatives donc tu peux les couper au montage. Tu apprends à connaître ce qui est en trop. Les chutes seront utilisés pour d’autres projets donc ce n’est jamais réellement perdu. C’est de cette façon que l’édition et le mixing prennent tout leur sens. Tout comme l’album terminé est le produit du mastering.

A propos de concerts, tu as l’intention de faire quelque chose de spécial pour cet album ?

Pas vraiment, il y a certains aspects de l’album que je ne présenterai pas. Mais l’idée de l’album c’est qu’il représente la musique dans l’instant où elle a été produite. Donc tu l’utilises comme des thèmes et tu brodes autour en live. Je ne pense pas refaire les albums à l’identique durant les lives.

Tu as déjà allié ta passion pour la méditation à ta musique car tu as écrit des pièces spécialement pour cette activité...

Oui j’ai sorti des cassettes et albums pour soutenir l’effort de la méditation ou les auditeurs qui font du yoga, des massages spéciaux, de la relaxation etc. Peu d’entre eux sont sortis sur de gros labels excepté Leaving Records qui en a produit quelques uns.

Penses-tu connecter la musique à ton autre passion, la danse ? Lors d’un ballet par exemple ?

Merci beaucoup pour l’idée, j’ai beaucoup réfléchi à cela mais je ne savais pas comment le mettre en oeuvre. Effectivement, c’est un projet qui pourrait se faire rapidement.

A part cela, quels sont tes projets à venir ?

Je collabore avec un groupe français, M.A Beat. Je prépare aussi une grosse tournée. A partir de juin, je serai dans les Pyrénées pour une résidence de 2 semaines avec workshop, méditation et lives.