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Pour ceux d’entre vous qui n’auraient jamais entendu parlé de lui, Tim Hecker est un artiste canadien à la notoriété croissante ces dix dernières années.Cet improbable personnage poli sculpte son univers sonore au fil du temps. Adulé par un public de fidèles, son ambient tirant volontiers sur le drone, séduit de plus en plus d’adeptes.

Ce sculpteur sonore a construit une carrière discrète mais riche. C’est d’abord dans d’obscurs groupes de rock adolescents qu’il commence à s’attacher à la musique. Un jour, lassé des absences chronique du batteur d’un de ses groupes, il décide de s’acheter un sampler pour émuler des batteries. Sampler auquel il prend vite goût et qui lui fera découvrir l’univers de la musique électronique dans lequel il se plonge avec le plus grand intérêt. Son premier projet électronique, Jetone, le portera ainsi dans divers clubs et préfigure déjà les recherches qu’il développera plus tard sous son propre nom et que l’on ressent par exemple sur un morceau comme “Aerial Red”.

Digne héritier de grandes figures de la musique contemporaine tel que Steve Reich ou John Cage, il voue également un culte à des groupes de post-rock tel que Godspeed You!, Black Emperor, mais aussi au heavy metal et à des groupes comme Motley Crue. Ce mélange hétérogène fait de lui une sorte d’ovni du paysage musical actuel. La musique de ce québécois n’est pas de tout repos. Souvent très conceptuels, ses albums marient volontiers des lignes de piano mélodiques et douces à des drones ambient brumeux et distordus.

Virgins, son dernier opus en date, est probablement le travail le plus abouti de sa carrière. L’espace et le temps, deux constantes inhérentes au concept même de musique, sont ici martyrisés, éclatés, déconstruits dans la veine de ces deux albums précédents Ravedeath 1972 et Dropped Pianos (qui était principalement composé d’ébauches, de Sketches permettant à l’auditeur de comprendre la construction et la déconstruction du travail de Hecker ).

Tim+Hecker+TimHecker

L’attachement dont fait preuve Tim Hecker à l’espace et au temps, ainsi qu’a la propagation du son, en fait un artiste presque plus cinématographe, photographe, que musicien. Virgins illustre parfaitement sa volonté d’aller dans le flou, l’entre deux, de sortir du cadre, comme s’il voulait matérialiser ce qui se cache dans les interstices du monde. Il en résulte des paysages sonores presque insaisissables, encrés au confins de notre inconscient et présents à chaque moment de notre existence. Le présent et le passé, le concret et l’abstrait forment ainsi une dualité complémentaire s’arrachant à notre conception habituelle de la musique pour aller vers des domaines sonores inexplorés, mais qui semblent pour autant familiers.

Le duo formé par les morceaux “Live Room” et “Live Room Out” en est un bon exemple. Avec ces échappées oniriques et cauchemardesques au piano, évoquant Steve Reich ou Satie, combinées à de vastes nappes de sons bruts, saturés, créant confusion et désordre, l’auditeur se trouve pris dans une spirale interminable de doutes et d’illusions. “Virginal I” et “Virginal II” dont la fonction semble être un contrepoint à “Live Room+Live Room Out”, nous fait ainsi sortir du cadre, de cette prison dont nous entendons encore l’écho.

Mais Hecker ne se plie pas pour autant à une narration si linéaire, ainsi nous promène-t-il dans ce dédale sculpté de toute pièce, à travers un jeu sur les mouvements et la temporalité de l’album. La grande illusion ici est peut être celle que ces espaces sonores et temporels semblent avoir été construits pour chacun.

C’est ce qui fait de la musique de Tim Hecker quelque chose de peu accessible de prime abord, mais aussi de très personnel : seul lui possède les clés de ce royaume dont nous sommes presque malgré nous les sujets, passifs ou actifs selon notre sensibilité et notre entendement. Tim Hecker maitrise a la perfection le maniement du son, et donne ainsi à son oeuvre un caractère intemporel. Cela est notamment dû à la multitude de détails placés ça et là tout au long de l’album, lui conférant un son “live”. La musique semble se fabriquer devant nous, à chaque écoute. On peut y distinguer plusieurs couches sédimentaires: des lignes de pianos qui semblent vieilles de plusieurs siècles aux expériences bruitistes contemporaines.

Avec “Virgins” Tim Hecker nous montre qu’il a encore de quoi torturer nos esprits et nos oreilles comme personne et pour longtemps. Et le pire, c’est qu’une fois pris dans le tourbillon de son art, on ne peut qu’en redemander.

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Tim Hecker – Virgins (Kranky), disponible depuis le 14/10/13 et en streaming ci-dessous.