Le mois dernier, Robin Thicke et Pharell écopaient de quelques 7,4 millions de dollars de contravention pour le plagiat du légendaire “Got to give it up” de Marvin Gaye. Au même moment, Stones Throw sortait le premier album de Tuxedo, alias Mayer Hawthorne & Jake One, qui ne se cachaient pas de s’être largement inspiré du “Ain’t no fun” de Snoop pour “Number One”. Des histoires bruyantes de la sorte, le monde de la musique en connait un paquet. Le Amen Break n’a pas encore eu la notoriété qu’il mérite, pourtant, il est présent dans tous vos morceaux favoris. Histoire d’un sample éternel. Dans le 12ème épisode de l’excellente série Cosmos, une odyssée à travers l’univers (merci Curaterz), Neil deGrasse Tyson lance du haut de son vaisseau un “Rien n’est éternel, même les étoiles meurent” désinvolte. C’est ce qui arriva à Gary C. Coleman par une chaude nuit de Septembre. Son nom ne vous dit sûrement pas grand chose, mais il y a fort à parier qu’une de ses œuvres ait déjà transité par vos oreilles.

Cosmos 1

Gary C. Coleman était le batteur émérite du groupe Soul The Winstons, originaire de Washington. En 1969, le sextet sort l’EP Colour him father. À ce moment-là de leur existence, le groupe ignore encore l’importance de ce morceau sur l’histoire de la musique. Tout va bien pour eux, et le disque se vend à plus d’1 million d’exemplaires, ce qui, même à l’époque, était une belle performance qui leur valut un disque d’or. Tout aurait pu s’arrêter là. C’était sans compter sur l’ingéniosité des producteurs Hip-Hop qui commencèrent à émerger à partir des années 80 armés de leurs samplers.

La face B du 45T susmentionné contenait “Amen Brother”, morceau comme il en a fleuri des milliers dans les années 60. Seulement à 1’25, Coleman entame un solo de batterie de 5″ à 150bpm qui marquera l’histoire :

Bien plus tard, ce break fera l’objet d’échantillonnages et servira à la production d’un nombre incalculable de morceaux. Le monde du Hip-Hop a mis le feu aux poudres : NWA avec le classique “Straight Outta Compton”, Big K.R.I.T sur “Red eye”, 2 Live Crew sur “Feel Alright Y’all” ou The Game sur “Compton”. Et la liste est encore longue. Voire interminable. Le rap français n’est pas en reste car NTM s’en sert pour rythmer l’excellent “Paix” et “C’est clair”, issus du même album. Plus tard, ce sont les gros calibres du son UK qui s’y mettent, de la légende de la D’n’B Goldie au génial Aphex Twin. Dans les années 90, c’est l’hécatombe : surnommé Amen Break, le sample fait le tour du monde et des genres, et trouve refuge dans toutes les musiques qui ont trait à l’électronique, mais pas seulement puisque des groupes Pop empruntent allègrement les 5 secondes désormais devenues légendaires. Il va même jusqu’à s’immiscer dans le générique de Futurama…

Cette histoire n’est pas nouvelle. Le patrimoine musical français compte dans ses rangs Cortex, une formation Jazz Funk menée par Alain Mion. Leur album Troupeau Bleu figure comme un classique contemporain, constamment repressé qui est naturellement arrivé aux oreilles de rappeurs comme Rick Ross, Drake ou Tyler. Ceux-ci n’ont pas mis longtemps à l’intégrer dans leurs productions. Dans un entretien accordé à Gasface, Alain Mion explique avec légèreté qu’il a appris à connaître le rap par l’utilisation de ses morceaux par les pontes du rap US. On voit donc le soixantenaire râler après les labels qui ne paient pas ou rémunèrent tard et remercier ceux qui, comme Def Jam, paient en avance, sans même demander l’autorisation, avec une belle enveloppe signée d’un huissier.

Ces méthodes, certes cavalières, ont au moins le mérite de rétribuer grassement les auteurs du morceau. En ce qui concerne les Winstons, pas un centime ne leur a été reversé au cours de toutes ces années. Pas un. Ni à Gary Coleman, l’auteur du break, ni à Richard Spencer, le compositeur. Ce n’est que très tard que les membres du groupe ont pris conscience de l’ampleur du phénomène Amen Break. C’est l’histoire d’une boule de neige qui créé une avalanche… Pillage diraient certains, nous préférons parler d’hommage. Le Hip-Hop – tout comme des dizaines de sous-genres – a recyclé et recycle toujours des morceaux obscurs qui n’ont jamais rencontré le succès mérité. Qui avait entendu parler de Syreeta avant que Four Tet ne la sample ? Que dirait la chanteuse si elle s’apercevait que des milliers de festivaliers ont levé les bras à travers l’Europe tout l’été 2014 au son de sa voix ? Demandez à Phil Manzanera ce qu’il pense de Watch The Throne

Toujours est-il que les Winstons ont assisté impuissant à ce raz-de-marée. Rue89 a remis le sujet sur la table la semaine passée en relatant les actions récentes menées par le DJ Martyn Webster qui a entrepris les démarches administratives pour rendre à César ce qui est à César. Le morceau datant de 1969, il y a maintenant prescription et il appartient dorénavant à la sphère publique. Martyn Webster ne compte pas en rester là et a commencé une collecte au nom du morceau le plus samplé de l’histoire et s’est lancé à la recherche des familles des membres pour leur en faire profiter. Lorsque des mastodontes de la musique tels que Prodigy ou London Grammar jouissent eux aussi de ce break sans le déclarer, on est en droit de qualifier cette affaire d’anomalie.

Pour aller plus loin, BBC a publié un podcast très intéressant, pour tous les téméraires n’ayant pas peur d’affronter la langue de Shakespeare, qui est ré-écoutable ici (mention spéciale à l’incroyable Mr. Leenknecht pour le lien). Par ailleurs, Kourtrajmé avait déjà magnifiquement illustré le sujet par un superbe film diffusé à l’aube de la Web TV que nous vous invitons à découvrir ici (prod : Lord Funk) :