Dernièrement, bonheur grégaire et festivals pharaoniques n’ont jamais autant fait bon ménage. De plus en plus, chaque étape de ces grandes messes prend une dimension solennelle, voire quasi prophétique : elle est un Évènement à part entière. On ne va pas en festival, on vient y vivre une expérience, un rassemblement dans la foi et la joie. Que l’évènement soit court ou long, qu’il s’agisse d’un DJ set ou d’un moment type (“le coucher de soleil), du séjour entier proposé dans le cadre festival ou de la soirée d’ouverture, tout est pris dans une narrativité où chacun est pressé de se réaliser et de réaliser l’instant – l’émancipation artistique du sujet nous est dictée. Allégresse issue d’un moment à mi-chemin entre l’autoréalisation et le storytelling du marchand de souvenirs, nous sommes loin de Detroit, du Paradise Garage, de la piscine Molitor ou des premières Love Parade.
Le côté universaliste, essence de l’utopie techno, fait place à un tout nouveau discours dont les tenants et aboutissants s’articulent autour des réseaux sociaux et dont nous sommes devenus acteurs et complices. Certains l’appelleront le “syndrome de la page bleue”, mais face aux événements panégyriques de cet été, on est plutôt face à une situation où l’instant vécu est séparée des individus pour être vendu, coquille vide et interchangeable, comme une expérience pouvant être endossée par chacun d’entre nous (du moins ceux qui en ont les moyens). L’instant devient un “hypermoment” confus où statuts Facebook et tweets réverbèrent aux mêmes décibels qu’un furieux solo de TR-909 lors d’un set de Jeff Mills. Cette nouvelle pratique culturelle place le consommateur au centre puisqu’il participe à l’histoire qu’on lui dicte et la relaie, se transforme en véritable communicant. Finalement, ces moments n’appartiennent plus à personne puisque n’importe quel quidam en dehors du festival peut se les approprier, ils font office de démonstration au monde entier.
Dès lors, comment raconter un festival ? Comment raconter un moment, créer du temps à partir de l’instant, l’insérer dans un récit qui n’en soit pas un résumé ? On pourrait très bien établir une liste de comparaisons avec les autres festivals de cet été. On pourrait dire jour par jour ce que l’on a fait ou ce qu’il fallait faire… Mais un festival est avant tout un étonnant réservoir de possibles et d’expériences, quelque chose dont on se saisit pour l’investir avec son histoire, sa personnalité et son identité. Un festival est une expérience totale dont le discours marketing n’apparaît qu’après coup, pour le festivalier, comme un mauvais résumé, une somme d’épiphénomènes assez distants de l’expérience qui vient de s’achever. Comment raconter les levers de soleil au bord de l’eau après une nuit à danser, à se perdre entre des ruines, écroulés sous des amas de sentiments ? Car oui, ça va valait le coup, oui, c’est quelque chose à faire et, enfin, oui, il y a des choses à améliorer. Quel est le secret d’une telle réussite ?
C’est un fait, les festivals gravitent plus ou moins tous autour du top 100 Resident Advisor, adoptent tous des stratégies de communication agressives, disposent presque tous de scènes bradées aux noms des différentes polices du goût de l’industrie ou jouent allègrement avec les grosses franchises de la house et de la techno. Il ne faut pas prendre ces lignes comme un constat alarmant, mais il faut plutôt y voir une petite entorse à la diversité qui donne le sentiment que les clubs, les fêtes, le public et les lieux seraient génériques et interchangeables. Loin de proposer une attelle, la nécessité d’écrire notre report du Dimensions Festival amène la question suivante, qu’est-ce qui différencie un festival d’un autre ? Comment se réinvente l’euphorie collective de la fête tout en ressassant la même sempiternelle rengaine qui nous fait vibrer de 90 à 150 bpm ? La réponse repose probablement dans les choix engagés par les promoteurs d’un festival, ceux à même de créer cette ambiance qu’on cherchera à traduire, sans que les mots n’y parviennent jamais totalement, cela même que l’on appellera ici le “party-pris”.
Celui-ci misait tout ou presque sur le confort d’écoute compris dans sa globalité. La programmation faisait la part belle à la scène “underground” et évitait ainsi de tomber dans le jeu trop facile des têtes d’affiche. On pouvait ainsi bien évidemment entendre les stars d’Ostgut Ton avec un bon millier de danseurs comme l’on pouvait déguster un set d’Oxyd dans un cadre plus intimiste au coeur de la scène Ballroom limitée à 75 personnes. La dizaine de scènes prenant place sur l’oppidum verdoyant et rocailleux de Punta Christo, véritable planète sauvage, et accueillait pendant quatre jours plus d’une centaine de prestations allant des monstres sacrés tels Underground Resistance ou Roy Ayers en passant par des headliners plus classiques tels Robert Hood à des locaux venus du monde entier tels notre Jeremy Underground Paris national ou le duo Italien Hiver. On a pu entendre du dub, de la techno UK, de la drum’n’bass, de l’afrobeat, de la soul, de l’electro, du funk, de la disco… On ne peut, à ce niveau, que saluer le bon goût des promoteurs. L’espace d’une petite semaine, les 5000 festivaliers ont ondulé sur une véritable “ode à la diversité” puisque véritables groupes, live acts électroniques et DJ’s s’entremêlaient pour partager leur passion sur des scène originales allant du bateau à la douve d’un fort en ruine (The Moat).
Chaque scène était équipée d’un système son Void qui assurait à chacun un confort d’écoute optimal et les flux de foules étaient gérés de telle sorte à ce que personne n’ait à empiéter sur les pas de danse du voisin pour se déchaîner lui aussi – à part peut-être dans The Moat où les pogos faisaient partie intégrante de l’expérience.
Ce colloque de mélomanes était une expérience immersive incroyable – nous ne regrettons rien. Cependant il serait vraiment complaisant de ne pas aborder brièvement les quelques contreparties qui ont également rythmé le vécu des festivaliers. Car lors d’un festival où la quasi-totalité du public est d’origine étrangère, on est face à un marché captif où le public est ouvertement price-taker et subit passivement la politique de prix mise en place par les promoteurs sur laquelle s’aligne la région durant les 15 jours.
Il va de soi que ce festival est un produit de luxe, car si l’on compte le billet d’avion, le camping, le pass 4 jours ainsi que l’alcool et la nourriture, ce festival s’adresse à un public à même de dépenser de 700 euros à 1200 euros en un weekend. De là, on se demande pourquoi le prix à l’entrée n’aurait pas pu être un peu plus cher pour avoir en contrepartie des programmes (timetables payantes) qui ne coûtent pas 4 euros pièce ou autre chose que des verres de whisky coca avec des doses de mini-poneys servis dans des gobelets de kermesse.
Côté nourriture, c’était catastrophique, certains d’entre nous ont pu déguster des poulets rôtis puis successivement frits sauvagement, des chili con carne sans âme et sans riz, des pizzas avec une sauce tomate à l’étrange goût de ketchup et des sandwiches aux saveurs proches du polystyrène. Nous avons vu certaines personnes payer pour des couverts en plastique 1 euro et, à la suite de la tempête le soir de clôture, le festival a d’abord distribué gratuitement des sacs poubelle pour finalement les faire payer 2 euros pièce. En tant que jeunes promoteurs, il est tout à fait compréhensible pour nous qu’un évènement d’une telle envergure coûte cher à organiser. Cependant l’impression d’être une vache à lait quatre jours durant peut s’avérer pesante malgré tout le reste. Au même titre, le nombre impressionnant de fouilles, l’omniprésence des contrôles de bracelets ainsi que la présence de la flicaille italienne et croate en civils étaient pour le moins oppressantes – encore une belle tartufferie… On notera toutefois qu’à l’inverse, le staff et les bénévoles étaient tous très serviables et souriants et incitaient à faire la fête.
Finalement le “grass camping festival” a le mérite d’être une expérience immersive très positive. Le camping offre en effet la possibilité de vivre le festival à 200% et nous réconcilie également avec l’humour de Frank Dubosc venu orner successivement nos langages à l’accoutumée fleuris. On y fait la connaissance de ses voisins, la solidarité y est très présente.
Bref, après vous avoir donné envie d’y aller faire un tour l’année prochaine, voilà ce qu’il fallait entre autres choses retenir musicalement : l’énergie incroyable de Roy Ayers malgré sa carte vermeille, la boat party L.I.E.S vs Crème Organization avec les sets démentiels de Ron Morelli et DJ TLR, les sets de Fred P et Vakula au Moat, un Move D en excellente forme, des moments uniques comme DJ Stingray aux platines avec Moodyman titillant les EQ accompagné de ses moodygirls (DJ Stingray a d’ailleurs encore mis une claque à tout le monde)… On a aussi pu constater que Theo Parrish a encore réussi à fusiller le soundsystem de l’une des scènes principales, jouant à notre avis beaucoup trop avec les EQ – ce que l’on peut tout à fait comprendre mais là, cela rendait juste mal. Toujours à noter, le fait que MCDE et Floating Points sont définitivement géniaux, au même titre que San Soda que l’on mettrait facilement dans un top 5 des meilleurs DJ’s du festival. Enfin, il fut particulièrement plaisant de voir S3A recadrer Trus’me et Karizma lors de la Weather Festival Boat Party et Greg Beato transcender un bateau (beato) tout entier après Funkineven trop occupé à prendre des selfies et des vidéos avec son iPhone.
Toutes les photos sont disponible sur la page Facebook de Sofia Lambrou
Cet article a été coécrit avec Maxence Robinet.