“C’est presque comme on ne faisait pas la même chose des fois”. Cette réponse nous vient comme une reflexion vis à vis d’une partie de la “scène” qu’iel a cotoyée à Strasbourg, en étant à la programmation d’une radio. Quelques années plus tard, Beatrice M. ne fait toujours pas les mêmes choses que les autres – iel en fait beaucoup plus. En solo ou à plusieurs, derrière des clés USB ou son label Bait, l’artiste multiplie les projets, collaborations, live et émissions de radios, presque compulsivement. Il en résulte une richesse musicale plurielle, tentaculaire presque, où chaque projet ou entité nourrit l’autre. Un multiverse option bass music, qu’iel nous détaille un peu en amont de plusieurs dates à venir – dont un live au festival Nuits sonores (on y sera) et un DJ set à Marseille quelques jours plus tard pour le Festival Le Bon Air (on y sera aussi).

Hello ! Comment vas-tu, ces jours-ci ?

Bonjour, actuellement je prépare mon premier live set, qui est dans un mois. Je ne pense qu’à ça, alors j’ai assez hâte que ce soit fini pour pouvoir répondre autre chose à cette question. Mais j’ai aussi hâte de présenter le fruit de tout mon travail de ces derniers mois. 

La première chose qui me vient en tête est : le temps. Ton projet personnel, la résidence sur Rinse France, ton label Bait et aussi les projets or+be et enfin Beatrice Melissa, comment est-ce que l’on trouve le temps pour tout ça ?

L’intermittence, forcément. Et puis je dois dire que je suis une machine, j’ai tout le temps des nouvelles idées et envie de travailler sur les projets, c’est même un besoin. En vacances, je ne sais jamais comment on fait pour se détendre en fait. Mais c’est vrai qu’il a fallu faire des choix dernièrement, pour mes side projects or+be et Beatrice Melissa, qui s’appelle maintenant Biêm, j’ai appris à réduire le rythme. Pour la résidence Rinse, j’ai une formule magique depuis quelques mois où j’arrive à préparer un set en moins de 2 heures – avant ça pouvait prendre toute une journée… Aussi,  j’apprends à dire non. En refusant beaucoup de propositions de podcasts, des émissions radio, participer à des compilations, par exemple.

J’imagine que chaque projet nourrit l’autre dans des dimensions différentes – comment est-ce que tu vois chaque aspect de ta création musicale ?

Comme mon projet solo n’est qu’une sorte de fil d’équilibriste entre différents genres très spécifiques, c’est le cas pour mes différents projets – c’est du jonglage. Tout communique et s’équilibre. Je fais les rythmiques pour Biêm qui sont quand même très influencées UK club music. or+be, c’est plus similaire à Beatrice M. mais avec la oldshool bass musique en moins ; on peut aller profond dans la techno plus classique et moins hybride, c’est agréable de pouvoir y lâcher des kick 4×4 – ça comble une frustration que j’aurais sinon de n’être affilié qu’à la bass music. C’est aussi chouette de pouvoir se dire que quand une facette musicale commence à me souler je peux me tourner vers un autre de mes projets, from ambient to dubstep to pop to techno… Et ce qui sort sur mon label, c’est tout simplement ce que j’ai envie de DJ, c’est le melting pot de ce qui va se jouer dans mes sets. 

Le « sérieux » du psychédélisme et du sound design, accolé au dubstep plus direct – comment est-ce que tu combines, dans tes productions personnelles et sur Bait, ces deux mondes ?

J’adore cette question. En fait c’est tout l’enjeu de mon projet. Il n’y a pas de réponse terminée, et tant mieux car c’est mon carburant de chercher, chercher, chercher à combiner. D’ailleurs, je dirais que je n’ai pas encore réussi à combiner ces deux sphères dans mes productions qui sont déjà sorties. Il y a beaucoup de façons de combiner l’univers sound design psyché de la techno, et le/la dubstep – j’aime bien imaginer que c’est non-binaire ! (rires) Par exemple quand je produis un morceau de « techno », je vais venir essayer de rajouter du groove pour casser la linéarité. Le groove, c’est vraiment le mot d’ordre. Du psychédélisme oui, mais qui groove. Donc, ce sont souvent des percussions en contre temps qui vont venir rappeler la bass music type « step » (2-step, dubstep, garage, breaks,…) dans des ambiances plus techno. Aussi, les bangers bass sont souvent très « secs », mais venir y rajouter des textures, des reverbs, des drones… Ça va marier deux univers. Je ne suis pas la seule personne à rechercher cette intersection, alors quand je fais appel à des gens pour sortir de la musique sur mon label Bait, je trouve assez rapidement des artistes qui cherchent la même chose.

J’ai remarqué sur les réseaux sociaux que les annonces de dates sont très souvent faites à la main, dessinées – par toi j’imagine ? Est-ce que tu mets un peu de cette créativité dans la DA visuelle de Bait ?

Oui je dessine un poster pour mes dates chaque mois ou tous les deux mois, pour plusieurs raisons. D’abord, c’est parce que j’ai fait des études en art et que depuis très jeune, je dessinais et voulais faire auteur de bande dessinée. La vie a pris un autre tournant mais je m’efforce de maintenir la pratique et ce rythme mensuel est une excuse pour exercer le dessin fréquemment. Ensuite, c’est pour créer une identité visuelle forte autour de mon profil artistique, d’ailleurs je préfère largement annoncer mes dates avec une affiche qu’une photo, car l’idée que l’on se concentre plus sur un univers que ma tête. Les visuels pour Bait sont aussi une excuse pour exercer le collage, toucher du papier, sortir de mon ordinateur. Ça me fait du bien, et c’est gratuit.

Le label a un rythme – très – soutenu de sorties ! Sortir de la musique rapidement pour ne pas s’en lasser, c’est l’idée ? 

C’est vrai que le rythme est très soutenu. À mon avis, comme avec les réseaux sociaux il faut constamment proposer du contenu et de plus en plus fréquemment, je me suis habitué à ce rythme un peu rapide, trop rapide. Mais j’ai pour projet de « ralentir », même si je vois difficilement comment ça va être possible. Le gros souci, c’est que je rencontre des artistes avec qui j’ai envie de travailler tout le temps, alors il n’y a pas assez de jours dans l’année, il faut que je charge le calendrier de sorties de Bait pour voir toutes ces collaborations naitre. Si vous savez le nombre d’artistes que j’ai envie de sortir sur Bait ! Et la plupart, c’est déjà dans les tuyaux.

Des split EP très courts par des artistes en devenir : cela me fait penser à une collection (très qualitative et éclectique !) de club tools. Est-ce que c’est aussi pour nourrir tes sélections en DJ set ?

De base, les split avec deux tracks sont un clin d’œil à la scène dubstep anglaise où c’est un format traditionnel très courant. Par exemple, WRDUBS 03: A: NUMBer – ‘æther’ / AA: SIBLA – ‘Trial’  ou Tectonic: Martyn / 2562 – Yet / Kontrol

Ce format sort sur vinyl, avec une track de chaque côté. Ce que j’aime, plus qu’une compilation, c’est que c’est plus simple et efficace de chercher deux morceaux de deux producers différents qui pourront aller ensemble. Ce moment est super satisfaisant, quand tu te rends compte que tu as deux tracks de côté qui attendaient peut-être un EP, une compilation, et qu’en fait elles vont parfaitement ensemble, à deux. C’est aussi un format simple et efficace, un petit package de club tools oui. Je n’aime pas trop les grosses compilations où il y a plein de choses moyennes dedans. Donc là, j’ai aussi commencé un format de compile plus courte – un VEP, qui veut dire Various EP. D’autres VEPs sont prévus, ainsi que des EPs, et un album… certaines de ces sorties seront pressées en vinyl justement. J’ai trop hâte.

Comment est-ce que tu envisages un DJ set d’ailleurs ? Beaucoup de préparation en amont, ou de la spontanéité sur le moment ?

Je prépare toujours car si j’improvise, je panique à piocher dans de vielles playlists alors que je me lasse de rejouer un morceaux plusieurs fois. Je vais rarement regarder dans ces playlists dans tous les cas, à moins que cela soit pour quelque chose de très spécifique.

À chaque gig, je fais une playlist avec des nouveautés, de la promo qu’on m’a envoyé… par contre, j’écoute que 5 secondes d’un morceau avant de le valider, parce que je n’ai pas envie de complètement me gâcher la surprise quand il va sortir de la CDJ, mais aussi car j’aurais jamais le temps d’écouter tous les morceaux en entier en amont. Ensuite, je trie vaguement dans une playlist dédiée au gig en question, par ordre d’intensité. Vers les trois quart du set, je peux prévoir de casser l’intensité, mais j’ai le droit de changer d’avis une fois face au public si je sens que ce n’est pas le mood et d’improviser au sein de ma playlist. Avec les vinyles, c’est encore une autre histoire. Comme j’en ai moins, je connais mieux chaque morceaux et je sais ce qui va avec quoi. Finalement, je ne peux presque plus me permettre d’improviser.

Tu as été programmateur.rice radio par le passé : j’imagine que cela ouvre a des scènes et artistes très différent.e.s ? 

Je dirais que ça a construit une vision plus politisée en moi : comme la parité était une catastrophe à Strasbourg, je passais plus de temps à réfléchir à comment motiver des femmes et les minorités de genres à se mettre au DJing et avoir leur confiance, qu’à simplement penser « est-ce qu’il y a assez de bass music sur cette radio que de house/techno? » Mais finalement, on se rend vite compte que la diversité des gens et la diversité du son sont liés. Une fois qu’on ne programmait pas que des hommes cis blancs hétéros, étrangement, il y avait moins de house et techno sur les ondes. Mais du coup, c’est vrai que j’ai dû échanger avec des gens de la house et techno, travailler avec eux et je me rends compte qu’on est toustes techniquement DJs, il va falloir que l’on coexiste. Mais on est tellement différent.e.s… C’est presque comme si on ne faisait pas la même chose des fois, alors que pourtant on connait le même écosystème : clubs, radios, CDJs, Rekordbox… C’est assez beau au final.

Beatrice M. (et plein d’autres) sera au festival Le Bon Air les 17, 18 et 19 mai à La Friche la Belle de Mai, à Marseille. 
Infos et billetterie ici. On se retrouve au soleil ?