Depuis le début des années 2000, Mala gère Deep Medi Muzik, son label, et DMZ, qu’il co-manage avec Loefah. A côté de cela, il mixe et produit depuis quasiment deux décennies à travers le monde. Il est l’auteur d’un magnifique album signé par Gilles Peterson sur Brownswood, Mala in Cuba, et d’une multitude d’EPs clubs estampillés Dubstep. A l’occasion du festival Terraforma en juin dernier, nous nous sommes entretenus avec l’ambassadeur d’un genre trop souvent assimilé à sa version américaine (lire : EDM, Skrillex, wobble). Interview avec un vétéran.

Tu es un habitué des radios et plus particulièrement de la station londonienne Rinse. Ce média est-il important dans ton processus de création ?

Je précise, je n’ai jamais eu de créneau régulier mais j’ai été invité à beaucoup d’émissions ces dernières années, que ce soit sur Rinse ou des radios grand public comme BBC. Ce qui est fou et important de préciser avec des projets comme Rinse FM c’est que, bien avant qu’ils aient une licence, c’était une radio pirate. C’était l’une des rares stations qui jouaient le type de musique auquel moi et d’autres acteurs de cette scène sommes associés. Je pense à des gens comme Hatcha, Kode9, Youngsta, N-type, Chef… Je me rappelle que Hatcha ou Kode9 ont joué mes tout premiers morceaux en radio. Donc évidemment, ça me rendait fou ! J’ai commencé à écouter ces radio pirates quand j’avais 12-13 ans alors que j’étais à fond la Jungle et la Drum’n’Bass, donc entendre ma propre musique sur ces fréquences qui m’ont éduqué, c’était incroyable. Il faut bien comprendre qu’à Londres ces médias ont été le principal moyen de diffusion de la culture underground durant longtemps. Ils ont été essentiels pour beaucoup de producteurs comme moi dont la musique n’était pas représentée sur les radios mainstream. Mis à part des gens comme John Peel ou Marie-Anne Hobbs qui faisaient l’effort de diffuser nos sons sur les grandes stations, il n’y avait pas grand monde. Les médias alternatifs sont importants, c’est un réel contre-poids. Rinse est vraiment énorme car cela fait plus de 20 ans qu’ils sont là, c’est notre héritage et ça n’est pas prêt de s’arrêter.

Sur quoi te concentres-tu quand tu produis ? Tu te mets dans un état d’esprit spécifique ? Cela a-t-il évolué avec le temps ?

Cela a évidemment évolué ces dernières années. Je pense que la raison principale est que le temps nous fait évoluer, grandir, on apprend des choses, on en oublie d’autres. D’une certaine manière, le processus évolue constamment. Je n’ai jamais été en studio avec une idée précise de ce que je veux faire. Je me disais juste qu’il fallait que je sorte quelque chose d’une session. Je vais donc en studio et je commence à produire. Peu à peu, les idées se profilent. Auparavant, mon studio consistait en un ordinateur et un casque. J’ai ensuite ajouté des enceintes, plus de plugins, un clavier, puis plus le temps passe, plus les enceintes et les synthés s’accumulent. Je crois avoir commencé la prod vers 2002. J’essaye d’avoir une attitude enfantine, aller en studio pour jouer. Si je collabore avec quelqu’un, j’encourage toujours cette liberté et j’essaye de ne pas intellectualiser la chose. Les bonnes idées surgissent toujours quand on ne s’y attend pas. J’ai besoin d’aller en studio chaque jour pour m’entraîner. Ainsi, tu apprends, tu développes ton style. Dans le cas d’un album c’est différent. J’ai réalisé 3 disques considérés comme étant des albums. Les 2 derniers étaient plus conceptuels, je suis allé au Pérou pour Mirrors et à Cuba pour Mala in Cuba. C’était une expérience totalement autre. J’avais fait de la musique durant des années, et tout d’un coup je me retrouvais dans une boîte en quelque sorte. L’idée était d’aller dans ces pays, je ne savais pas comment j’allais rencontrer du monde mais je le ferai puis je documenterai ces expériences à travers mes enregistrements. C’était une approche totalement différente. J’ai compris beaucoup de choses à propos de moi et je me suis rendu compte que faire un album est un réel défi et que le processus de création n’est pas franchement évident. J’ai collaboré avec des personnalités cubaines, certains qui ont joué pour Buena Vista Social Club, et péruviennes. Ce sont des phénomènes dans leurs pays respectifs, cela n’a rien à voir avec l’achat d’un sample en ligne ou sampler un disque. Tu instaures une réelle connexion. Quand je suis retourné en studios avec tous les enregistrements, la démarche était différente parce que je faisais attention à la façon dont ces sons ont été produits et comment ils seront réinterprétés par mes soins. Je me suis senti privilégié. C’était un honneur que ces gars jouent pour moi. Je ne voulais pas qu’ils regrettent. Auparavant, je ne m’en serai jamais inquiété. La production au final c’est toujours un peu égoïste : il ne s’agit que de moi en studio avec mes envies et mes rêves. Quand tu collabores avec des gens, ça change tout, tu sors de ta zone de confort. Mais c’est peut-être ça grandir ?

Ta musique est très orientée dubstep mais tu as exploré d’autres styles, notamment au cours des collaborations évoquées précédemment. Comment expliques-tu l’évolution de cette sensibilité musicale au cours des années ?

Mala in Cuba est sorti grâce à Gilles Peterson. Il a une vraie vision, il travaillait déjà sur le projet Havana Culture qui vise à promouvoir des musiciens inconnus. Il m’a donc emmené à Cuba. Jusqu’alors, j’étais très fermé à l’idée de sortir ma musique sur d’autres labels que le mien. Beaucoup de majors et de labels indépendants m’ont fait des offres mais j’ai tout refusé en bloc, excepté pour les gens que je connais comme Soul Jazz. Dans le cas de Gilles, c’est un mec authentique et il a une histoire incroyable. Il y a eu une réelle connexion entre nous, je ne pouvais pas refuser. Ce projet m’a ainsi ouvert sur beaucoup d’aspects notamment la production. C’est pourquoi j’ai voulu faire un autre album et partir au Pérou. En 1999, alors que je commençais à vraiment m’intéresser à la musique, on m’a donné un album appelé “Beyond Skin” produit par Nitin Sawhney. C’est un indien britannique dont le son est extrêmement vaste. Sa musique n’est pas seulement”world”, elle est aussi multi-instrumentale, c’est un musicien incroyable qui a beaucoup voyagé et te le fait ressentir. En écoutant cet album, je me suis dit tout de suite que j’adorerai voyager pour faire de la musique. Si quelqu’un me demandait de prendre 2 albums sur une île déserte, je prendrai définitivement celui-ci. Je suis associé au dubstep – et j’en suis fier – mais dans ma tête je n’ai jamais fait du dubstep à proprement parler. Même “Anti war dub” est qualifiée comme telle mais dans mon esprit, c’est juste de la musique.

A propos de dubstep, quelle est ta vision de la scène actuellement ? Et de la scène londonienne en général ?

Je suis londonien, je suis né ici et j’y ai toujours vécu. Je ne suis pas nationaliste, loin de là mais je suis attaché à certaines choses et à des gens, que ce soit des amis ou de la famille. Les scènes sont en constante évolution. Certaines choses restent les mêmes mais globalement tout évolue : de nouveaux producteurs et donc de nouvelles créations voient le jour. Par exemple, la vague du dubstep américain a eu un impact considérable sur la culture rave. Certains apprécient, d’autres ne supportent pas. C’est la vie. Quand tu sors quelque chose et que ça inspire, tu dois être reconnaissant et apprécier le fait que d’autres se l’approprient et ajoutent leur patte. Quand je pense à comment la musique voyage et change au fil des années, je suis impressionné !

As-tu des projets de voyages ou d’albums dont tu voudrais nous parler ?

Je voyage souvent pour jouer. A ce jour, j’ai du visiter 65 pays. Mon label Deep Medi a 11 ans maintenant et sortira son 100ème EP cette année. Notre 30ème album sortira cette année aussi. Niveau EP, on parle de plus de 200 morceaux, ça fait beaucoup de sons !

Et beaucoup de travail aussi ! Comment gères-tu le label ?

Au début, j’étais seul, puis j’ai employé quelqu’un pour m’assister. Mon label manager est incroyable. Le travail est très dur car nous sommes une petite structure. Je n’ai jamais appris à faire du business donc ce sont des choses que j’ai appris sur le tas. On fait des erreurs mais ça fait partie du jeu. J’ai commencé à jouer en club à 14 ans, j’en ai 37 maintenant. Je ne suis jamais allé à la fac. Quand je fais le bilan, ce parcours a été un bel apprentissage.

“Quand tu sors quelque chose et que ça inspire, tu dois être reconnaissant et apprécier le fait que d’autres se l’approprient et ajoutent leur patte

Ce soir tu joues à Terraforma qui est un festival très spécial, as-tu prévu un set particulier ?

Je pense que personne ne joue ce que je joue. Je suis honoré et très chanceux de participer à cet événement. Je ne prévois donc rien de particulier, je pense que mon approche de la musique est déjà en phase avec le festival et ses valeurs : respect, intégrité, responsabilité, intelligence, énergie. Ceci dit, à chaque fois que j’ai l’occasion de jouer en extérieur, j’amène toujours certains morceaux car ils ont une énergie qui se prête bien au lieu. Peut-être que je les jouerai du coup, je ne plannifie jamais ce que je vais jouer. En tout cas, j’ai vraiment hâte d’y être !

La nature t’inspire-t-elle ? Et la population du Terraforma ?

La nature m’inspire toujours ! On m’a dit beaucoup de bien du festival et de son public donc c’est un réel plaisir. A ce soir !