Tous les acteurs du milieu de la musique sont touchés, et durement, par la situation : lieux fermés, festivals annulés ou repoussés à l’année prochaine, … Une situation morose, à laquelle s’ajoute l’incertitude globale sur une reprise d’activité pour les bars – le 2 juin, selon les dernières infos -, bien plus tard pour les clubs et les festivals. Avec, toujours cette pression financière, l’absence de revenus et des aides malheureusement trop faibles. Beaucoup ne pourront pas s’en relever. 

Que faire, pour aider ? On a tenté de lister quelques initiatives certes, petites, mais les rivières font des fleuves comme on dit. Il en va de même dans tous les secteurs et toutes les professions touchées par la crise, cela va sans dire. 

Que faire, en attendant que la situation s’améliore ? Car DJs, artistes, mais aussi labels, disquaires, clubs, asso et promoteurs de soirées : tous sont spectateurs de la crise, et tous attendent des annonces du gouvernement et des pouvoirs publics pour avancer. 

Une autre problématique se pose donc, depuis la mi-mars : comment être la scène ? Comment l’incarner, la faire vivre, à un moment où tout s’écroule ? Garder le contact, s’épauler, échanger, professionnellement ou personnellement : ces problématiques se posent. Penser à l’après, aussi. 

On a posé la question à plusieurs acteurs et personnes du milieu.

Lélia Loison, chargée de production / programmation

Tu perds la possibilité de te retrouver, de faire réellement la fête, de découvrir du son en direct. Digger un artiste, un label, etc. c’est totalement possible en ligne aussi mais plus restreint car les algorithmes vont t’enfermer dans ce que tu aimes/follow/écoutes déjà, il y a moins de place pour le hasard, à part si tu pars vraiment dans l’exploration. Et puis l’aspect social de la fête est forcément difficile à supplanter. 

Pour contrer ça, je m’appuie beaucoup sur les reco musicales de potes et de collègues, on a tous nos cercles de découvertes différents et rien ne nous empêche de les partager entre nous histoire de s’ouvrir à d’autres choses. 

Je pense que la barrière entre personnel et professionnel se floute en ce moment. Beaucoup de personnes dans l’industrie musicale se retrouvent dans des situations franchement merdiques et les gens se soutiennent pas mal car pour l’instant le seul mot d’ordre c’est l’incertitude. 

Je ne pense pas qu’on retournera vraiment à la normale dans le sens où la réalité dans laquelle on évoluera sera forcément une réalité « post-Covid » avec tout ce qu’elle apportera de changements sociétaux, dans les comportements etc. Je suis assez fataliste mais pas forcément de manière négative, je pense que plus que jamais, il faudra prendre le temps pour se révolter contre un système qui laisse tellement de gens sur le bas-côté au nom d’un sacro-saint capital qui ne sert qu’une poignée de personnes pas franchement louables. Faire table rase du passé, revenir à zéro sans que les choses bougent me semble difficile à envisager. Je m’inquiète forcément pour la survie du secteur du live tel qu’on le connaît, mais écouter de la musique et faire la fête est un besoin vital pour tellement de personnes que je ne me fais pas de doute sur le fait qu’il survivra, même si tout doit être un peu plus DIY et moins clinquant qu’avant.

Nina Venard, Cabaret Aléatoire et collectif Permadanse.

Je ressens d’avantage le besoin de partager des projets français, de promouvoir la scène et les initiatives locales. Un peu comme si notre champ de vision s’était recentré sur nous, de la même façon que notre espace de liberté. On se sent plus proches de ceux qui existent à côté de nous, qu’on pourrait rencontrer au détour d’un verre (allez, on est fou) ou aller voir un jour en concert (là on dépasse carrément les bornes). Je pense que c’est un point qui sera fondamental pour la suite.

Avec des amis, on a créé un groupe Facebook où on poste les live streams et morceaux qu’on aime, globalement on échange beaucoup de musique pendant le confinement.

Je me retrouve à passer des heures sur Bandcamp, à acheter des disques en format digital, on a plus le temps d’écouter, de lire, et donc de s’engager pour des artistes. 

J’essaie d’écrire à toutes les personnes avec qui j’étais en lien avant la crise, ceux avec qui j’avais des projets en cours ou à venir. Même si on ne peut pas avancer pour le moment, c’est important de montrer qu’on est là et qu’on se soutient. Nous n’avons plus d’activité au Cabaret Aléatoire, et nous n’avons pas de vision sur notre avenir. Dans ce contexte, tu envisages forcément le pire, et on peut difficilement se rassurer entre collègues, chacun a une position différente dans l’association, des enjeux différents. C’est dur de pouvoir communiquer son stress, ses peurs, car nous n’avons pas les même risques associés à ce projet. Avec le temps, on a réduit nos échanges, et je pense qu’on a tous eu besoin de se détacher de ce stress et peut être retrouver des choses plus essentielles.

Il n’y aura pas de retour à la normale. C’est évident, et la norme qui existait avant ne sera plus la même. Les salles de concert et les clubs seront certainement les derniers lieux à pouvoir ouvrir, et dans certaines conditions. Il y aura plus de sécurité, plus de consignes, plus de coûts encore. Le public sera là, je n’en doutes pas. Mais est ce qu’on va réussir à retrouver la même énergie, la même vigueur dans ces nouvelles conditions? Je pense qu’il va y avoir une fracture sociale, entre ceux qui auront peur, et ceux qui n’auront pas peur. Les résistants, et les autres. Ce dilemme, il sera très dur à supporter.

Denis Dantas, organisateur et promoteur (Paris Loves Vinyl), disquaire et DJ

J’ai adapté ma façon de travailler au confinement, ce qui me permet d’être plus productif et efficace sur la préparation des prochains events. J’ai transformé le temps en atout, j’essaie de me fixer et atteindre des objectifs sans aucune pression, je travaille à mon rythme. Le confinement a permis une remise en plat des méthodologies, du coup c’est plutôt positif. Les journées se ressemblent mais on avance …

Dans le milieu du disque, nous sommes souvent en contact, on s’appelle un peu plus souvent qu’avant, on prend des nouvelles les uns des autres. On s’informe des futures sorties de labels, les maintiens ou non d’événements ou de projets en France et à l’étranger.

Il y a une bienveillance qui s’est installée. On échange et partage énormément. Mais personne n’a de visibilité sur le futur, c’est compliqué de fixer dates, des productions.

Je suis de nature ultra optimiste, mais clairement on va dans le mur avec avec ce dé-confinement en mai. En Asie – la Chine, Hong-Kong, et Singapour ont subi une seconde vague de contamination en étant beaucoup plus stricts qu’en France. Je pense qu’on y aura droit et malheureusement cela va fragiliser encore plus nos structures après avoir mis nos forces et capacités à relancer nos activités. Personne ne peut prévoir à court terme quelles mesures seront prises par le gouvernement pour limiter les regroupements tels qu’ils soient, les réouvertures de bars, clubs, festivals, marchés, pop-up, événements …

La gestion de cette crise a été catastrophique de la part de ce gouvernement, on voit bien que les gens n’ont plus confiance et se méfient de toutes ces annonces sous couvert d’intérêts. La situation est un peu surréaliste. Il est un peu tôt pour parler de retour à la normale, certains pays d’Europe prévoient une stabilisation vers le printemps 2021, je crois pour ma part qu’ils sont plus en phase avec la réalité. On ne parle plus de reprise mais de survie, les prévisions annoncent près de 30% de dépôts de bilan en ce qui concerne les sociétés et indépendants. Une aide de 1500€ ne suffira pas à relancer nos activités.

Un retour à la normale est utopique, j’aimerai penser le contraire mais nos habitudes sociétales et comportementales vont changer, cette forme d’insouciance que nous avions est en train de s’envoler. En attendant, nous qui somment des acteurs actifs de la scène, trouvons des synergies pour redonner une dynamique à nos activités.

Alexandra Irles, DICE, Press Play Agency et Le Limonadier

On continue de faire ce qu’on a toujours fait. Entretenir des relations via mail, Facebook et call en essayant de rester positif et toujours bienveillant. On a plus le temps donc on est plus à l’écoute ! Le lien est donc plutôt bien maintenu grâce aux technologies et réseaux sociaux, et c’est tant mieux. On se sent moins seul. Beaucoup de gens de « la scène » sont devenus des amis, donc je leur parle assez souvent. On prend des news, on échange sur les actualités, se donne nos avis, on débat de l’actualité mais aussi de notre avenir.

Beaucoup de conf-call, d’apéros entre collègues, de communications nous aident à avancer et à rester souder. Je pense que l’esprit d’équipe et la communication sont les clefs de l’adaptation pendant ce confinement.

Je suis la première dégoûtée, mais je pense qu’en matière d’événements culturels et regroupement – ce que j’affectionne tout particulièrement – il faudra attendre septembre 2021 ! Oui, vous avez bien lu … Je ne suis pas scientifique ni médecin, mais de ce que j’ai lu, cela me semble le scénario le plus réaliste. Il va donc falloir se réinventer, être patient, accepter que nous sommes privés de ce que nous aimons, pour certains, faire le plus : la fête, aller à des concerts …Mais que les retrouvailles ne seront que plus fortes !

Bertrand Lachambre, Bonjour/Bonsoir

On prend des nouvelles des uns des autres, on se fait part de nos inquiétudes, de nos questions et de nos enjeux. Les réseaux sociaux sont un moyen privilégié pour ça. Tout le monde a désormais un paquet de temps à tuer, cela donne évidemment des choses très intéressantes à écouter, que ce soit de la musique ou des avis. On s’envoie des morceaux, on prépare l’après, on imagine des programmations fantasmagoriques, on prend du recul en rigolant sur la situation. Les réseaux sociaux et les échanges privés restent globalement positifs. On va y arriver.

Les médias spécialisés restent très actifs pendant cette étrange période, ça nous permet de nous informer en continu sur l’évolution du débat, les pistes de réflexion pour l’après confinement, les analyses des annonces des autorités publiques etc.

La clé selon moi, pour les professionnels de la culture, c’est de tout faire pour favoriser la coopération. Échanger les informations, les bons plans, les démarches administratives, les aides, bref, tout ce qui peut aider la scène à tenir et à repartir sur de meilleures bases par la suite.

On sait à présent qu’aucun événement d’ampleur ne pourra se tenir d’ici à septembre 2020. Peut-être que les clubs pourront réouvrir à partir du 2 juin, mais sûrement avec des capacités réduites, et encore, on est vraiment sûrs de rien. Il est décemment impossible de se projeter à moyen-terme vu la fluctuation des événements !

On n’a pas vraiment d’autre choix que d’être optimiste, sinon il ne reste plus qu’à se laisser moisir tout doucement sur son canapé. Allez les gars, il est plus si loin le temps où on pourra trinquer tous ensemble !