Par le plus grand des hasards, notre chemin a croisé celui d’Isabelle Antena avec son hit boogie synth-pop « La tête contre les murs », qui résonnait dans l’émission de Jim Irie du collectif Discomatin. Sorti à l’origine en 1987, ce titre percutant aux paroles anti-système, racontait les déboires et illusions de « la génération bof ». Quelques années plus tard, l’artiste a finalement resurgi dans nos recherches, évidemment grâce à la réédition du maxi 45T Laying On The Sofa chez Discomatin en début d’année. Mais également, de manière plus subtile, par un regain d’intérêt très certain de sa discographie auprès des chercheurs de disques rares et copies originales.

Chanteuse et guitariste folk jazz & boogie français, Isabelle Antena va faire ses débuts dans les années 80 au sein d’un band, avant de continuer une carrière en solo. Sa musique solaire et dansante, emprunte à la fois à la bossa nova 70’s et au latin jazz, tandis que d’autres productions se portent plus vers le boogie / synth-pop.

Et pourtant, elle va sortir la plupart de ses disques sur un label de référence, la maison de disque bruxelloise les Disques Du Crépuscule, réputé particulièrement pour son catalogue d’avant-garde punk et expérimentale. Maison qu’elle ne quittera jamais, pour sortir de magnifiques productions entre 1986 à aujourd’hui, comme en témoignent les notables En Cavale, Hoping For Love, et Camino Del Sol.

On vous propose, un retour en arrière : direction la décennie eighties entre Bruxelles, Paris et Londres, terrain de chasse et d’exploration des débuts d’Isabelle Antena.

Pour commencer, parlez-nous de la formation du groupe Antena ? 

Pascale et moi, on traînait ensemble depuis 76 (on avait 16 ans), moi je jouais déjà de la guitare et j’écrivais des petites chansons. Déjà de la bossa nova, et elle voulait devenir styliste, faire des robes, c’était sa passion (et c’est ce qu’elle fait aujourd’hui). En 1979 on est parties ensemble à Londres, j’étais la jeune fille au pair de Rick Wakeman l’organiste de YES et elle s’occupait d’une dame écrivain qui voulait juste qu’on lui parle français. Je dois dire, que dans le manoir des Wakeman, on en a écrit des chansons et on a surtout réalisé qu’il était possible de vivre de la musique (contrairement à ce que pensaient mes parents).

De retour en France, pendant une étape à Valence, on a rencontré Sylvain. Il soufflait timidement dans son saxophone mais il aimait Stan Getz, nous de notre côté on enregistrait des bruits, des ambiances. Même s’il nous a trouvé folles, il a vite accepté de se joindre au groupe, au moins de participer de temps en temps à nos élucubrations. Comme on s’entendait vraiment bien on a cherché un appart tous les trois à Paris. Et c’est là que Pascale et moi, on a commencé à jouer dans le métro. Moi à la guitare, on chantait toutes les deux et elle tenait la casquette. C’est une époque où deux filles qui chantaient dans le métro pouvaient bien gagner leur vie… Deux allers retours Porte de Clignancourt-Porte d’Orléans et on avait couvert les frais de la journée !

Rapidement l’idée d’enregistrer notre musique a commencé à germer dans nos esprits. Certes, j’avais la musique dans ma tête et les textes s’accumulaient dans nos cahiers depuis des années avec Pascale, mais il fallait que l’on puisse nous écouter sur un support physique. Alors avec nos économies, on a investi dans un enregistreur deux pistes à bandes et du matériel. Puisqu’on ne pouvait pas jouer avec un batteur, on a opté pour une boîte à rythme (la TR808 qui n’était pas encore arrivée en France, on l’a commandé chez Roland Japon) et on avait déjà guitares, clavier, saxophone, quelques percussions et un seul micro. L’année suivante en 81, on a ajouté la bass line de Roland TB303, et voilà, on avait un bassiste !

Lors d’une soirée chez des amis à Paris, j’ai rencontré Catherine Ringer des Rita Mitsouko. Alors qu’ils donnaient leur premier concert à l’usine Pali Kao, elle m’a invité à faire la première partie. Chiche, on l’a fait. C’est à ce moment là qu’on a trouvé le nom du groupe. Une référence à une chanson de Kraftwerk «Antenna», qu’on adorait, I’m the Antenna catching vibration … mais comme notre musique avait pas mal de couleurs latines, on l’a orthographié avec un seul “N”, comme en espagnol. Ce concert nous a donc donné l’envie d’enregistrer nos titres en maquette, on a fait des copies cassettes. Ne sachant pas vraiment à qui s’adresser, on a sorti tous nos vinyles. C’est alors qu’on a commencé à chercher les adresses des maisons de disques qui sortaient nos artistes préférés.

En 1982, vous signez sur le label bruxellois les Disques du Crépuscule. Comment s’est faite cette rencontre ?

On a envoyé nos cassettes à Ralph Records, Factory et Les Disques du Crépuscule … Ralph Records allait fermer, mais ils nous ont quand même répondu (j’ai gardé la carte je crois, et oui pas d’emails, c’était old school, il fallait attendre le facteur). Pour Factory, nos sambas (malgré les machines) n’étaient pas assez cold wave et bien trop guillerettes, trop joyeuses !

Puis, Crépuscule nous a répondu. On a eu Michel Duval, le boss, au téléphone qui nous a demandé si ça nous branchait d’aller enregistrer deux titres à Londres avec John Foxx (son album Metamatic était dans nos vinyles), il avait flashé sur notre version de The Girl From Ipanema, enfin The Boy ... Et là, personnellement je n’ai plus jamais quitté les studios après cette première expérience au Garden Studio. Magique, avec Gareth Jones comme ingénieur du son ! Gareth m’a appris plus de choses sur l’enregistrement en 72h que n’importe quelle école d’ingénieur du son où ma mère voulait m’envoyer pour que j’apprenne un « vrai » métier (rires) !

Puis vous enregistrez à Londres et collaborez avec des artistes anglais connus tels que Cabaret Voltaire, Paul Haig … Parlez-nous un peu de cette période.

À l’époque, les labels indépendants étaient souvent comme de grandes familles. C’est comme ça que Crépuscule s’occupait de Factory Benelux ou que les Tuxedomoon qui étaient chez Ralph, se sont retrouvés à Bruxelles. Les uns étaient de Paris, de New York, d’Edimbourg, de LA..

Dès qu’on passait à Bruxelles, on voyait toutes ces annonces d’appartements immenses à louer pour une bouchée de pain … On s’est donc retrouvés à habiter tous en même temps à Bruxelles : Tuxedo, Paul Haig, Anna Domino. On a pu tourner ensemble, faire des collaborations, retrouver les amis anglais de Factory… Je me souviens avoir dormi chez Genesis P.Orridges des Throbbing Gristle. Mais musicalement, Antena restait un ovni dans ce mouvement. Tous ces mecs hyper sérieux nous trouvaient fraîches et drôles, mais à vrai-dire, ça ne nous amusait pas toujours de jouer notre électro samba entre des performances de Cabaret Voltaire ou 23 SKidoo. Après quand on regarde en arrière c’est sûr que c’était vraiment une période très excitante. L’album Camino Del Sol venait d’avoir un succès d’estime, on avait dû en vendre 20 000 à sa sortie en mini album, et on était fiers de ces chiffres.

 

Hoping For Love arrive en 1987. Un album très bien produit, éclectique, aux influences bossa nova, electronic, jazz-funk. Qu’est-ce qu’il représente pour vous ?

Entre Camino Del Sol et Hoping For Love, il y a En Cavale et la dissolution du groupe. D’abord avec la signature de Be Pop en 1983 chez Island Records, un enregistrement qui a coûté une fortune et ne s’est pas vendu, pourtant produit par Martin Hayles. C’est là que Pascale a décidé d’arrêter, elle ne s’amusait plus et elle n’a jamais voulu être une « pop star », elle est parti faire sa couture. Sylvain aussi voulait arrêter la musique pour faire de la photo. Phonogram a sorti un single (Life Is Too Short) avec Antena présenté comme un duo… mais quand on a fait les enregistrements d’En Cavale, il n’était déjà plus là.

Je me suis retrouvée seule avec un producteur très pointilleux et des enregistrements qui coûtaient le prix d’une maison. Quand mon A&R a été remplacé chez Phonogram, personne ne voulait même plus entendre parler de mon album, qui à leurs yeux, avait déjà couté assez cher et ne voulaient pas miser sur une petite française alors qu’ils avaient signé un groupe. J’avais pourtant collé Antena à mon prénom.

J’ai donc volé les bandes au studio (d’où le titre En Cavale) et j’ai amené le tout chez Crépuscule en étant claire sur la provenance des bandes et le fait qu’on pourrait avoir des ennuis… On a sorti l’album, pas en Angleterre et c’est avec cette nouvelle sortie qu’on a ouvert le marché japonais pour moi, mais aussi tout le label avec la création de Crépuscule au Japon. Comme l’album a vraiment bien marché au Japon, (surtout “Seaside Weekend le 12 » a une pochette incroyable de Jacques Loustal) j’ai eu un peu carte blanche pour l’enregistrement de l’album suivant, Hoping For Love donc. Bien qu’une face soit principalement composée de titres enregistrés avec Martin Hayles du temps de notre petit hold-up. La deuxième face, j’ai eu le droit de la produire seule, avec des musiciens que j’ai choisi et notamment de vieux messieurs charmants, jazzmen belges qui se sont prêtés au jeu de cette petite bonne femme enceinte jusqu’aux yeux, qui voulait les faire jouer sur le click de sa boite à rythmes.

Johnny Dover et sa bande, eux c’étaient vraiment des musiciens de jazz, ils avaient joué avec Stan Getz, Chet Baker, Aretha Franklin … J’ai improvisé, j’ai appris, j’ai ressorti mes méthodes de solfège ! Voilà ce que représente pour moi cet album : l’indépendance, la liberté, un studio avec 48 pistes où Marvin Gaye avait enregistré Sexual Healing quelques années avant, Le Poisson des mers du sud et à la fin, un beau bébé, mon premier, “Achilles”.

 

 

Vous écrivez vos propres chansons. Prenons le morceau « La Tête Contre Les Murs » avec son côté “anti-système”. Un morceau aux paroles qui résonnent actuelles pour notre génération. Que raconte-t’il en 1987 ? 

Si j’écris mes musiques et mes arrangements, pour les textes en français je me suis souvent faite aider par des femmes. En l’occurence “La Tête Contre les Murs”, c’est un texte de ma maman auquel j’ai ajouté le titre, le refrain et le pont. Là où elle avait fait une description de ma génération (le titre était initialement Génération Bof), je lui ai écrit une réponse, genre : fous-nous la paix (rires), dans le pont je lui disais “souviens-toi on a pas demandé à venir” c’est un truc que je sortais à mes parents très tôt, si tu ne nous voulais pas, fallait pas nous faire !

Heureusement qu’elle avait tort sur toute la ligne. Mon petit frère n’a jamais fait l’armée, ni ma soeur de politique et moi, je n’ai jamais été au chômage. D’ailleurs, cette année là en 1987, j’ai eu mon deuxième enfant Pénélope, et j’ai offert à ma mère mon inscription SACEM, histoire de lui prouver qu’on peut être seule avec deux bébés et réaliser ses rêves ! Et non maman, la musique n’est pas un hobby !