Chercheur d’ors et de pierres précieuses enfouies sous les décombres du temps et des âges, Muscut, maison mère et Shukai, sous-label, pratiquent une archéologie fine depuis 2012 et remontent à la surface des objets sonores doux et tendres, entre pop avant-garde, ambient et ritournelles synthétiques.

C’est une zone un peu oubliée que Dima Nikolaienko, fondateur de Muscut, creuse : celles des musiques d’un Est lointain, vers lequel on ne se tourne que très peu. Pavel Milyakov, Andrew Pekler, Yuri Lugovskoy ou encore Chillera, ces noms ne vous disent probablement pas grand chose – et, pour être tout à fait honnêtes, nous non plus. À dire vrai, nous ignorions l’existence de telles aventures sonores jusqu’à ce que l’on nous le souffle à l’oreille, au détour d’un e-mail. 

Alors, un peu désarçonnés par la découverte et intrigués, nous avons échangé quelques mots avec le fondateur. Pour l’essentiel : Muscut est né en 2012, à Tallin (Estonie), et compte une belle quinzaine de sorties. La plupart d’entre-elles sont des rééditions, plus ou moins anciennes, plus ou moins datées. Mais toujours ciselées, entre une électroniques douce, de l’ambient éthérée, des beats cotonneux et des étrangetés. 

Shukai, lui, s’intéresse aux trésors de bandes-originales de films et séries télévisées dans l’Union Soviétique des 60’s aux 90’s. Tout un programme, que l’on effleure à peine sous nos latitudes et qui renferment des trésors mélodiques. D’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à nous pencher vers cet Est mystérieux : Bandcamp a consacré un article à la dernière sortie du label.

Tout d’abord, comme ça va ces jours-ci ?

Bien ! Je vis à Tallinn depuis quelques années, après avoir vécu à Kiev, en Ukraine. Avec le confinement, j’ai passé les derniers mois à travailler à la maison, alors ça ne me change pas trop.

« Music » et « cutting » : le mot Muscut est une combinaison de ces deux. Quelle était l’idée derrière le label, au début ?

Quand l’Union Soviétique était sur le retour au siècle dernier, il y a eu un important mouvement international pro-soviétique, lourdement (et naïvement) soutenu par des artistes d’avant-garde, des poètes, musiciens et réalisateurs (Malevich, Khlebnikov, Masolov, Vertov). L’une des particularités du mouvement était la création d’abréviations syllabiques, comme « Komsomol » pour Kommunisticheskiy Soyuz Molodyozhi (ce qui veut dire Union de la jeunesse communiste, ndr) ou un exemple plus parlant, « Mingeo » pour Ministry of Geology. C’est de là d’où vient le terme de Muscut.

La définition du label est « pseudo-archaeology ». Pourquoi, « pseudo » ?

Le terme de « pseudo-archéologie » n’est qu’un synonyme d’hantologie – un terme créé à partir de la hantise et de l’ontologie et introduit par le philosophe français Jacques Derrida dans son livre Spectres de Marx en 1993, est un concept philosophique qui fait référence au retour ou à la persistance d’éléments du passé, à la manière d’un fantôme – que j’ai inventé pour ne pas abuser du néologisme original.

Les sorties, même les nouvelles – dans le sens création originales et non une réédition ont en commun une façon de sonner très lointaine, comme si elles provenaient d’ailleurs, directement du passé.

Je crois que j’ai besoin de rembobiner un peu. Le fait est que mes goûts musicaux ont toujours été tournés vers le passé – depuis ma vingtaine aux débuts des années 00’s. J’ai surtout aimé fouiller des disques des 60’s, que je trouve être une âge doré de l’histoire de la musique.

Il y avait un sentiment ou une conviction profonde que la musique évolue trop vite et qu’elle n’utilise pas tout son potentiel – puis plus tard, quelqu’un comme moi et d’autres artistes ou labels similaires ont essayé de la « réparer ». Non pas pour copier, mais plutôt pour en hériter et faire évoluer “ce” son, et ignorer tout ce qui était après les années 60-80 comme si elle allait dans la mauvaise direction. J’ai donc commencé à chercher des sons identiques dans la scène contemporaine (Broadcast, Boards Of Canada, Stereolab. etc.). Par exemple, je me souviens que lorsque les disques Warp étaient très populaires et que tous mes amis écoutaient Autechre, je préférais écouter Vincent Gallo et je pense toujours que son album When est le meilleur disque que Warp Records ait jamais sorti. À la fin des années 2000, j’ai eu une idée d’un label qui se concentrerait sur cette direction pour se placer juste à côté d’autres labels tels que Ghost Box, Not Not Fun, ~Scape, ou Faitiche.

Shukai se concentre lui sur des bandes originales pour les films et la télévision : comment ces disques résonnent chez toi ? 

Shukai est né il y a quelques années seulement et c’est un projet collégial entre moi, Sasha Tsapenko et Dmytro Prutkin. Nous avons commencé comme un label de bandes sonores perdues du fait que nous avions beaucoup de musiques déterrée dans les archives cinématographiques ukrainiennes à Odessa et Kiev (les Odesa Film Studio et Dovzhenko Centre). Maintenant, nous voulons étendre notre territoire musical avec la musique oubliée de bedroom producers (comme notre dernière sortie de Valentina Goncharova) et des compositeurs qui ont été interdits pendant l’époque soviétique.

Qui assure la direction artistique (visuelle) de Muscut ? J’aime beaucoup l’insert audacieux et lumineux, qui contraste avec une approche minimaliste et en noir et blanc. 

En dehors du label, je travaille comme graphiste donc je garde la direction visuelle, je dessine moi-même et j’invite différents designers à collaborer (Yevgeniy Anfalov, Jugoceania)

Vous sortez également de la musique sur cassette – devez-vous travailler différemment du vinyle ? Je suppose que la durée et la tracklist sont totalement modifiées. 

J’aime beaucoup le son de la cassette, je crois que si vous voulez que quelque chose sonne mieux, il faut l’enregistrer sur une cassette ! C’est pourquoi j’ai décidé de ne garder certaines versions des sorties que sur les cassettes. Heureusement, il n’y a pas de problème de durée maintenant, vous pouvez commander n’importe quelle longueur dont vous avez besoin pour produire des versions sur cassettes.

Des nouveautés à venir les prochains mois sur Muscut et Shukai ? 

D’habitude, nous essayons de maintenir la vitesse de deux sorties par an et par label. Cette année, Muscut est déjà surchargée avec 4 sorties et 3 à venir : Pavel Milyakov (Buttechno), Marble et une compilation d’artistes divers d’ici la fin de l’année. Pour Shukai, cet automne, nous prévoyons un EP de Vodogray, une cassette perdue du milieu des années 70, qui n’est ré-apparue que l’année dernière et qui sortira pour la première fois 45 ans plus tard.

Muscut 
Shukai