Chercheurs de pépites bien de chez nous passé par le Boogie via ses compilations Chébran, promoteur d’artiste injustement oublié comme Pierre Vassiliu et, plus globalement, fer de lance d’un rock indépendant et cocorico, Born Bad Records signe un grand retour à la compilation avec, en ligne de mire, le Brésil et la bossa-nova.

On pense souvent que la bossa-nova se joue au Brésil et uniquement là-bas. On peut parfois l’élargir aux Etats-Unis puisque l’influence si forte entre les deux cultures n’est un mystère pour personne : un grand nombre de musiciens phares de la musique brésilienne, de João Gilberto à Sergio Mendez, ont enregistré dans les studios américains réputés. Très souvent, les hits cultes de Bossa se chantent en anglais. En revanche, la version française de la Bossa Nova et ce qu’on appelle la musica popular brasileira restent un mirage pour une majorité d’entre nous. 

Pourtant toute une tendance artistique va s’établir dans le paysage musical français des années 60 et 70, révélée par des artistes comme Pierre Barouh et George Moustaki. Une esthétique musicale qui reprend le jazz, les rythmes samba et ses percussions tout droit venus de Rio, chanté en français. Comme le rappelle la journaliste Véronique Mortaigne : depuis la révolution bossa-nova à la fin des années 1950, l’évidence des influences brésiliennes sur la chanson française a été mise en exergue. « Triturées, décalées, mises en équilibre sur des accords improbables », la French bossa-nova – si on peut la nommer ainsi – se différencie et trouve une approche singulière, « sentimentale, arrangée aux violons ou issue d’une guitare magnifiée en souplesse ». Brillamment orchestré sur sa nouvelle compilation Tchic Tchic, French Bossa Nova (1963-1974), le label Born Bad Records vient nous faire découvrir ce pan de l’histoire musicale française. 

À la sélection, Afrobrazilero et Jean-Baptiste Guillot nous régalent de tubes et d’ovnis tropicaux de la fine fleur de la chanson française d’époque. Oscillant entre une certaine réapproriation culturelle – la révolution musicale initiée à Rio à la fin des années 50 et sa reprise aux États-Unis par certains jazzmen (Dizzy Gillepsie, Charlie Byrd) – et avant-gardisme, une poignée d’artistes français vont contribuer à enrichir, à leurs manières, ce mouvement.

Alors qu’en 1964 sonne le glas de la démocratie au Brésil avec le coup d’état militaire, les musiciens sont contraints à l’exil aux États-Unis. De cette manière, João Gilberto va rencontrer le saxophoniste allemand Stan Getz et sa femme originaire de Bahia, qui n’est autre que la célèbre Astrud Gilberto. Vous imaginez un peu le processus du déplacement de la culture aux États-Unis…

En France, un homme va particulièrement contribuer à son enrichissement : le patron du label Saravah, Pierre Barouh. N’avez-vous jamais entendu sa « Samba Saravah » fredonnée façon chanteur bossa sur l’album tiré de la bande originale du film de Claude Lelouch de 1966, Un Homme et une femme ? « Moi qui suis le français le plus brésilien de France » nous dit-il, sur l’instrumental du guitariste Baden Powell. Puis, il y a Nicole Croisille et Pierre Vassiliu avec qui Barouh s’amuse sur l’obscur trio Les Masques. C’est ainsi que le tube « Il faut tenir » inaugure la compilation : totalement inconnu, le groupe laisse pourtant derrière lui un album en 1969. « Echo, rapporte-nous de là-bas, pour qu’à Paris on chante aussi les sambas. Echo Paris, Echo Rio » chantaient-ils tous en coeur sur le morceau éponyme « Echo ».

Plus en marge, on trouve Jean-Pierre Sabar, auteur-compositeur (pour Hardy, Auffray, Leforestier…) et son morceau « Vai Vai ». On nage cette fois-ci dans un univers riche et luxuriant d’instruments divers, au rythme rapide et dansant par l’apport de synthés et de claviers, rappellent volontiers l’énergie d’un Eumir Deodato ou d’un Marcos Valle. 

Tandis que la voix d’Isabelle Funès, inconnue au bataillon (nièce de Louis et amie de Michel Berger) s’impose sur « Jusqu’à la Tombée de la nuit » avec des paroles écrites par Véronique Sanson, Sylvia Fels nous susurre ses paroles chaleureuses au gré d’un rythme de croisière sur un navire nommé « Corto Maltese ». Isabelle Aubert reprend elle le titre « Casa Forte », tiré d’un album finement produit en 72 par ses idoles de toujours, les grands Edu Lobo et Sergio Mendez. Elle raconte avoir « enregistré cet album pour les disques Meys à Paris, loin du Brésil, avec de merveilleux musiciens, François Raubert, Roland Vincent, Alain Goraguer… ». 

Enfin, c’est au tour de Christiane Legrand, la soeur de Michel (le compositeur qu’on ne vous présente plus) chanteuse jazz qui, comme ce dernier, a beaucoup contribué aux bandes originales (Les Parapluies de Cherbourg, Peau d’âne). Cette fois-ci, c’est à travers un décor tropical qu’on la retrouve. 

Des noms méconnu·e·s pour la plupart, qui ont contribué à cette esthétique French Bossa Nova et qui ne serait peut-être pas rendu possible sans l’oreille affûtée de Born Bad Records qui signe cette très belle compilation. Après avoir compilé les deux volumes de France Chébran, le label ne cesse de creuser à travers l’histoire musicale alternative, souvent pas loin de prendre la poussière. Pour enfin, être remise à la lumière, briller et s’écouter sur des nouvelles galettes, prêtes à nous faire danser de nouveau.

Tchic Tchic, French Bossa Nova (1963-74) sort ce vendredi 17 juin sur Born Bad Records.

Source : Véronique Mortaigne 
Artwork : Antoine Duruflé