Cabanne est un personnage à part dans le paysage électronique français. Actif depuis plus de 15 ans  il a su développé avec brio un son et une manière de mixer qui lui sont propres. Il s’est produit aux seins multiples collaborations avec Ark, David Gluck ou encore son travail sur le projet Narodniki : il s’illustre par un parcours musical unique, une intégrité artistique et une vision de la musique qui en font un personnage atypique. Lors d’une soirée dominicale d’octobre, le Phonographe à pu questionner l’intéressé dans un sombre hall d’immeuble de la rue de Rivoli.

– Bonjour Cabanne, peux-tu te présenter ?

Bonjour je m’appelle Jean – Guillaume Cabanne. Je suis musicien, DJ, et producteur.

– Peux-tu nous parler de ton parcours musical ?

J’ai commencé à faire de la musique très tôt, à 9 ans. Je suis guitariste de formation, puis j’ai fait des études de Jazz, mais je suis également professeur d’harmonie et de solfège.

Au début des années 90, j’ai découvert la techno, quand cette musique a commencé à arriver en France. J’ai commencé par des featurings avec des musiciens électroniques, à la guitare, puis petit à petit je me suis mis à produire mes propres sons sur mes premiers labels. 

– En regardant ta discographie, on note que tu aimes travailler à plusieurs. Qu’est-ce que ces collaborations t’apportent ?

Ces collaborations viennent naturellement du fait que je suis musicien et que, pour moi, la musique est quelque chose qui se partage. On aime tous travailler tout seuls chez nous, mais parfois on s’ennuie donc ça permet de partager et de rencontrer.

Puis quand tu as la chance de travailler avec des artistes qui t’inspirent, comme lorsque j’ai rencontré Ark, et que tu peux faire des collaborations avec eux, c’est juste génial.

– Peux-tu nous présenter tes collaborateurs et tes alias ?

Copacabannark c’est le projet qu’on a fondé avec Ark il y a environ 10 ans qui nous a fait signer sur Perlon. C’est mon projet principal, en ce qui concerne mes collaborations.Après, il y a Ultrakurt avec mon meilleur ami David Gluck qui sort également des disques sur mon label Minibar. Ce projet est aussi très important pour moi, sinon j’ai travaillé vraiment avec beaucoup de monde : Daniel Bell, Thomas Brinkmann, Narodniki.

En quoi consistait Narodniki ?

Narodniki est un projet dont les gens ne savent pas beaucoup de choses, car il est un peu mort dans l’œuf. Le but premier était de créer un collectif de musiciens qui travaillent ensemble sur de multiples projets. Que ce soit Zip et moi, Ricardo et Zip ou Dandy Jack et Ricardo, c’était un projet qui réunissait un bon nombre d’artistes des débuts de Perlon sous un seul nom d’équipe.

Avec le temps, le projet s’est transformé, car on avait tous l’habitude de se retrouver au festival Mutek à Montréal et on s’est dit : « Allez! On est tous là donc va faire une improvisation de groupe et on va appeler ça Narodniki. »

De là, on s’est retrouvé à 8 artistes sur scène. Les ordinateurs n’étaient même pas synchronisés on n’avait jamais essayé de jouer ensemble. Il y avait Akufen, Ricardo, Daniel Bell, Richie Hawtin, Zip, Luciano, Dandy Jack, et moi même, c’était en 2003.

– Tu viens du jazz qui laisse une grande place à l’improvisation. Comment articules-tu cette musique autour de ton travail ?

Ce n’est pas vraiment possible, tu ne peux pas vraiment concilier de la séquence et de l’humain. Le jazz c’est une musique parfaitement humaine et qui repose sur les jeux entre les musiciens. C’est une musique qui est très savante et très difficile à expliquer. Le jazz est une musique qui se joue et qui se ressent, et cette complexité tu ne peux pas l’appliquer à la musique électronique.

En revanche, il y a quelque chose de très réel et comparable : c’est le contexte. Quand le Jazz a été créé dans les années 30, c’était le ragtime, c’était une musique de contestation des ghettos noirs, puis ça s’est transformé avec le be-bop où la musique est passée à 230 de tempo à la noire ce qui était ultra rapide comparé à la musique techno qui bouge entre 120 et 130. C’était une sorte de provocation pour dire aux blancs : « Voilà ! Vous n’êtes pas capables de jouer plus rapidement que nous ! ». Aujourd’hui, c’est devenu une musique savante, mais avant, les gens dansaient dessus.

La base de la house music est également une musique de contestation, c’est le même type de mouvement transposé à une autre époque où les gens dansaient dans les warehouses et prenaient des drogues.

– Mais il y a aussi un côté savant dans la musique électronique si tu écoutes Pierre Henry ou Pierre Schaeffer ?

Non ça c’est de la musique intellectuelle, mais pas savante. La musique concrète c’est de la musique qui a un contexte et qui est basée sur un concept. Mais ce n’est pas de la musique qui est compliquée à jouer. La complexité du jazz réside dans son harmonie ce qui fait que, mélodiquement, c’est beaucoup plus riche que n’importe quelle musique telle que la variété ou le rock qui reposent sur 4 accords depuis 50 ans. Le jazz c’est 1000 fois plus large. C’est une musique bien plus profonde.

C’est comme si tu comparais Mac Donald et Ducasse, ou Céline Dion et Miles Davis. Quand je vais au Mac Do, je kiffe, mais je sais que c’est de la merde qui rentre dans mon système. Lorsque j’écoute Miles Davis c’est comme chez Ducasse tu prends ton pied avec de la bonne bouffe, mes papilles gustatives s’émerveillent. On a des émotions simples (Mac Do) et des sentiments  plus compliqués (Ducasse).

– Peux-tu nous parler de Telegraph ?

C’était mon label et un sous-label de Logistique Record qui, à l’époque, ne sortait que de la techno. En 1999, le mouvement musical allemand a commencé  à arriver en force et ça correspondait à ce que je faisais à l’époque. Maintenant, j’ai Minibar que j’ai créé après avoir arrêté de travailler sur Telegraph.

– Quelle est la ligne directrice de Minibar ?

Il n’y a pas vraiment de ligne directrice, on sort la musique qui nous touche. À la base, on a un esprit assez exigent par rapport à la musique de club traditionnelle, mais nous n’avons pas de ligne musicale spécifique. La seule qu’on ait c’est le plaisir. On n’a pas de concept, c’est de la musique pour la musique.

– Pourrais-tu nous décrire ton son ?

J’ai le droit au Joker ?

– Non…

Je ne sais pas. C‘est une sorte d’amalgame de toutes mes influences, ça vient aussi bien du jazz que du funk que de plein d’autres choses totalement différentes. J’ai commencé à chanter des chants grégoriens à l’église à 9 ans, aujourd’hui je fais de la techno alors que j’ai fait des études de jazz. C’est dur de condenser ça en trois phrases. Ma recherche c’est le groove, ou le swing dans le Jazz, c’est le rythme.

Je pense que c’est pour ça que je suis venu à cette musique, car je suis un musicien rythmique et que mon instrument (la guitare) est harmonique. Ce qui m’intéresse c’est le placement des sons. Ce qui me passionne dans la techno, c’est le moment où commence un son et le moment où il s’arrête. Les mélodies et l’harmonie m’intéressent, mais pour des musiques comme le classique et le jazz, en techno c’est tellement pauvre.

– Comment as-tu sauté le pas d’une musique plutôt académique à cette culture underground?

J’étais dans mon école de musique à 19 ans et j’ai eu une tendinite. Je me suis acheté un Atari sur lequel je faisais tourner des grilles d’accords pour continuer à travailler puis j’ai installé Cubase et j’ai acheté un synthé, car à l’époque les ordinateurs ne produisaient pas de sons. Et j’ai composé de la musique électronique.

À ce moment-là, c’était de la trance qui passait en rave et de la techno, mais à partir du moment où j’ai pris du plaisir avec une musique, je ne vais pas l’ignorer.  Les gens de mon école n’ont pas compris mes goûts et il y avait un snobisme très important quant à cette musique underground.

– Et donc comment est-ce que tu perçois le conservatoire ?

Le conservatoire est quelque chose que je ne comprends pas vraiment en tant que prof d’harmonie et de solfège. C’est une institution qui offre un très mauvais enseignement de la musique. Ayant fait des auditions pour rechercher des musiciens, j’ai vu des « prodiges du conservatoire » incapables de jouer un blues.

Le conservatoire ne t’apprend pas à jouer de la musique, mais une partition. La musique, ça se joue avec le cœur. La musique de Bach par exemple ça s’improvisait à son époque. Des gens l’ont écrite, car ils n’avaient aucun moyen de l’enregistrer. La bêtise de cette institution a transformé la musique classique en musique morte.

Aujourd’hui on joue des partitions qui représentent des domaines protégés, voire sacrés, plus personne ne la pratique dans les règles de l’époque. C’est devenu de la musique religieuse et c’est triste.

– Chez toi est-ce que tu écoutes que de la musique électronique ?

Non très peu heureusement. Quand je ne compose pas de musique, je pratique ma guitare de manière quasi quotidienne. Sinon je npasse pas mal de temps à écouter les démos et les trucs que m’envoient mes amis. Les journées ne font que 24h donc j’écoute de la musique électronique que lorsque je vais chez mon disquaire pour acheter des disques.

– Tu joues uniquement en vinyle ?

Oui.

– Pourquoi ce choix ?

Parce que c’est comme ça que ça doit se faire. Je conchie les gens qui sont sur Serato et les gens qui jouent sur Cd. Moi, ce qui m’énerve dans tout ce système c’est le piratage. Si un DJ prend un cachet que ce soit de 500 ou de 10 000 euros et que derrière il ne va pas acheter 50 balles de disques, ça me fait vomir.

Je pense que le seul respect que tu peux donner à un musicien c’est d’acheter son disque. Lui de son côté, il a effectué un long travail de réflexion. Le téléchargement montre qu’aujourd’hui on dénigre totalement ce travail. Ce qui intéresse la plupart de ces gens-là, ce sont les likes sur leur page Facebook et les groupies.

– Que penses-tu de Beatport et Juno ?

Juno, ils vendent du vinyle et je trouve ça très bien. Beatport ils font du Mp3, j’en fais également avec mon label. Je travaille avec quelqu’un qui n’est pas DJ et cette personne m’a dit un jour : « écoute, si tu penses qu’on ne peut sortir ta musique qu’en vinyle, ça veut dire que seuls les DJS peuvent écouter ta musique. ». J’ai trouvé ça totalement pertinent, car ce qu’on fait sur minibar n’est pas forcément dédié au club.

Le problème de ces produits c’est la dénaturation de l’objet. Je trouve que les programmes comme Serato ou Traktor, ou ne serait-ce que l’invention du MP3, sont des innovations géniales et j’apprécie les avancées technologiques. Le seul problème c’est l’usage que les gens en ont fait.

Si aujourd’hui, on ne pouvait pas obtenir des mp3 en deux clics sur Google, je jouerais de ce format sans problème. Ce qui m’intéresse c’est également l’intégrité artistique dans ce débat sur la propriété intellectuelle. À partir du moment où je tiens un label qui sort du vinyle il me semble normal de jouer du vinyle. Je ne vais pas inviter les gens qui viennent m’écouter à jouer du Mp3, ça ne serait pas logique.

– Et donc quand tu produis chez toi tu fonctionnes comment ?

Ben comme tout le monde à mon avis. J’ai des synthés, des boites à rythmes et un ordinateur chez moi. Je fais tourner tout en même temps, je trouve une idée puis je la suis. J’ai pas mal de maxis en préparation, aussi bien avec Copacabannark, qu’avec Ultrakurt que pour mon projet solo.  Sinon en 2012 j’espère pouvoir faire mon album, mais comme je joue beaucoup j’ai pas forcément le temps qu’il me faudrait en ce moment.

– Une petite blague pour la fin ?

(Rire) Ce n’est pas la bonne heure. Je n’ai pas dormi, je reviens de Berlin et la je dois aller jouer. Je la préparerai pour la prochaine fois !