A l’occasion de sa première sortie sur son propre label, nous sommes allés à la rencontre de Eric Cloutier, esthète de la techno. 

Eric Cloutier est sans doute l’un des DJs les plus pointus de sa génération. Obsédé par la précision dans ses mixes comme dans ses productions, il a parcouru les plus grands clubs du monde entier. Sans faire de vagues, le berlinois originaire de Detroit a influencé les scènes undergrounds de la musique électronique, par ses sélections et son jeu, pendant près de 20 ans. Egalement producteur depuis quelques années, il vient tout juste de lancer son propre label, Palinoia, sur lequel il sort un premier EP solide, qui devrait ravir les dancefloors. Entretien.

Comment te présenterais-tu en quelques mots?

Passionné, obsessionnel, nerd, bizarre et curieux. Tous les traits caractéristiques d’un artiste en somme.

Quelle a été ta première influence en terme de musique ?

Si on parle de première-première influence, le truc qui m’a le plus parlé quand j’étais enfant était The Police. Je ne saurais dire combien de fois j’ai écouté “Walking On The Moon” et j’en ai encore des frissons. Mais si on parle en termes de musique électronique, quand tu grandis à Detroit il est difficile de nier l’impact que Richie Hawtin a eu sur les gens, moi tout particulièrement. Je cite encore “Decks, EFX+909” comme le meilleur mix CD jamais crée, et ça m’a littéralement forgé en tant qu’artiste. J’avais également d’autres influences avant ce déclic comme les DJ sets de Terry Mullan ou les live de Plastikman.

Est ce qu’il y a d’autre chose que la musique qui nourrissent ta créativité ?

Je lis beaucoup. C’est une manière de m’éloigner un peu de la musique et de me reposer l’esprit. J’ai acheté pas mal de livres, de manière constante ces derniers temps mais je reviens aussi à quelques uns de mes préférés  comme “House of Leaves” de Mark Z Danielewski et, quelque chose auquel je tiens religieusement, toute la série du “Guide du voyageur galactique” de Douglas Adam. Je regarde également pas mal d’émission de télé décérébrantes, et un bon cartoon de temps en temps.

Cela fait longtemps que tu DJ désormais, et tu as joué dans plein d’endroits important dans le monde, qu’est-ce qui est différent aujourd’hui par rapport à l’époque où tu a commencé dans les années 90 ?
Aujourd’hui, tout est focalisé sur le “show” et la musique est moins importante. Les gens veulent du spectacle, de la dramaturgie et ils veulent des feeds Instagram ou Twitter pleins de mots clés qui buzzent et toutes ces conneries. Ils se foutent que le DJ les emmène dans un voyage physique et spirituel. Ça se transforme en véritable attraction et je n’adhère pas à cela. Je préfère plutôt la façon “90’s” de faire les choses – une pièce sombre avec un DJ à peine visible et la musique et le son plus important que le dernier post Facebook.

Comment est-ce que ton approche du DJing et ton écoute de la musique a évolué au cours de ta carrière ?

Pour être honnête, cela n’a pas tant évolué que ça. Dès le début, j’étais un perfectionniste et j’en suis toujours un aujourd’hui. Dès que je rate ne serait-ce qu’une transition pendant un set, j’y pense pendant des semaines. Je m’efforce sans cesse d’être consistant, engageant et scientifique avec mes sets, et je n’arrête pas de penser à la façon dont je peux m’améliorer quand je joue.
Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de te mettre à la production ?

La raison principale, c’est que j’étais arrivé à un point où je pouvais écouter 50 disques ou plus par jour, en ligne et chez le disquaire, et que je ne trouvais rien à acheter, donc j’ai décidé que si personne ne faisait quelque chose qui m’intéressait je devrais commencer à faire de la musique moi-même. Mais d’un autre côté, je pensais aussi avoir tiré tout ce que je pouvais du DJing donc j’avais besoin de quelque chose pour faire travailler mon esprit et d’une certaine façon, apprendre la production était la suite logique.

 Comment est que tu crées ? Commences-tu avec une idée précise ou tu jams juste etc.. ?
J’appuie sur des boutons et prie ahaha! Généralement, j’arrive avec une idée et je passe énormément de temps à essayer de trouver une façon de la matérialiser. Comme je n’ai pas les basiques du studio en termes de production, j’arrive juste avec quelque chose en tête et je dois passer beaucoup de temps à juste expérimenter, et ça mène généralement, intentionnellement ou non, à quelque chose qui, avec un peu de chance, est potable.

Tu sembles principalement intéressé par le groove, l’aspect physique de la musique. Penses-tu que la techno ou la dance music est et doit être principalement fonctionnelle ?

Bien sur, il doit y avoir un niveau d’accessibilité mais c’est une manière assez arbitraire de le dire. Tout le monde aime quelque chose de différent, donc tenter de compartimenter le tout et le rendre super facile à digérer signifie que tu finirais probablement par sonner comme Avicii ou tout un tas de merdes EDM. Mais au final il doit y avoir quelque chose auquel la masse peut adhérer, et historiquement, c’est la basse et un groove solide et hypnotique. Ces éléments sont très importants pour moi lorsque je produis, je me focalise beaucoup dessus et le but ultime est d’arriver à faire en sorte que les gens se perdent et oublient le temps et l’espace, que ce soit avec de mes DJ sets ou mes productions.

Quelle est l’idée derrière le fait de créer ton propre label ? Est-ce que tu prévois de sortir d’autres artistes dessus ou juste ta musique ?

Le label est quelque chose que j’ai considéré pendant des années, et finalement j’ai senti que c’était le moment de me lancer. Une des raisons principales était que je voulais un moyen de sortir moi même mes morceaux, ce que tous ceux qui ont un label font je pense, mais je découvre par ce biais, et par mes longues heures passées à digger des disques ou écouter des promos, pas mal d’artistes incroyables et j’avais l’impression qu’il était temps pour moi d’utiliser cette énergie que je dépense dans ma propre collection et quand je joue, à créer un label unique dont les gens seraient constamment curieux.

Un dernier mot ?

Je suis incroyablement stressé et excité par le lancement de mon label et ça doit être une des raisons pour lesquelles je n’ai pas beaucoup dormi ces derniers mois… Mais ça me va et je pense que tout le monde devrait être ok avec l’inconnu dans leur avenir. Comme dit le proverbe “ce qui ne te tue pas te rend plus fort”