Avec son style impeccable et son charisme à toute épreuve, Para One incarne au mieux la force tranquille. Nous lui consacrions un portrait où nous le surnommions “l’homme couteau-suisse” quelques jours avant sa prestation à la Spring Session d’Elektricity. Le samedi 24 mars, Para One se produisait à La Cartonnerie de Reims et nous confortait dans cette idée avec un set techno carré et une interview des plus intéressantes. Entretien avec le fer de lance de “l’underground blanc français”.

Par rapport à ton passé dans le hip-hop et rap français, quel regard portes-tu sur la scène actuelle (1995)?

Je ne connais pas très bien, mon pote Mouloud (Achour ndlr) me parle de 1995, je vois de l’extérieur mais c’est vraiment la périphérie, du coup je n’ai pas trop d’opinion, en tout cas pour les nouveaux groupes. Les groupes qui existaient déjà et qui renaissent comme le Klub des Loosers, je les connais

Et pour toi le hip-hop c’est fini pour de bon ou tu comptes remettre le couvert ?

Le hip-hop pour moi c’est loin d’être fini, j’en écoute tout le temps et je pense éventuellement à me remettre à produire du rap. Le problème que j’ai c’est qu’à part TTC, il y a peu de rappeurs que j’ai envie de produire en France. L’autre plan c’est de produire des mecs à l’étranger mais à ce moment autant essayer de produire des mecs super fats, et avoir ce genre de plan n’est pas évident.

Tu vois toujours Cut Killer ?

(Rires) Non pas spécialement, en fait je ne l’ai pas vu souvent, j’ai fait un morceau pour une de ses tapes, je suis allé chez lui boire le thé une fois en 98 mais ça s’est arrêté là.

On a vu qu’il était question d’un LP de Para One à venir sur Marble, peux-tu nous en dire plus ?

Oui il y a un LP qui sort sur Marble, j’en suis très content, il sera distribué chez Because à priori, avant l’été, genre juin.

Para One – Mother

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Dans quelles circonstances a été produit l’album ?

En fait j’avais commencé à produire l’album avant de produire celui de Birdy Nam Nam donc on peut dire que l’album des Birdy a interrompu le processus de création pendant 6 mois. Donc ça fait un peu plus d’1 an et demi que j’ai commencé, mais ça m’a pris un an pour le faire. C’est la première fois que je faisais un disque solo, à part pour « Naissance des pieuvres » qui est une musique de film, que je fais en une seule période, avec une esthétique propre. Dans mon premier album, on a assemblé des maxi et rajouté des trucs, ça représentait 4 ans de travail. Là, c’est un disque que j’ai pensé comme tel et qui, à mon avis, s’apprécie comme un disque du début à la fin.

Birdy Nam Nam feat. Teki Latex – Cadillac Dreams

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Y aura-t-il un live ?

Il y aura un live associé. Je vais faire un nouveau live que j’ai déjà commencé à bosser. Je le dévoilerai au moment de la sortie du disque.

Tes études à la FEMIS t’ont-elles aidé à la construction de cet album ?

Pas spécialement. Tu passes 4 ans à étudier, Myd le sait très bien car il y a étudié aussi, tu apprends plein de choses. Je faisais du son en même temps donc c’est une période où je me suis énormément construit mais la différence c’est qu’avant, j’étais très démissionnaire sur ce qui concernait les vidéos car je considérais que je ne faisais que de la musique et que c’était mon seul travail alors que sur ce projet je me suis impliqué dans tout, même le choix des visuels et les vidéos. Je vais d’ailleurs tourner le premier clip.

Et le VJing ?

J’essaye justement de faire en sorte que ce ne soit pas du Veejaying car le mot me fait un peu peur. J’essaye de réfléchir à de la vidéo pour mon nouveau live, de le faire à ma sauce. Ce n’est pas complètement acquis, je cherche encore.

Que penses-tu du travail de Modeselektor par exemple ?

C’est leur truc depuis longtemps, moi je trouve ça un peu froid. Quand je vais voir un concert, j’écoute vraiment la musique donc tout le côté décorum qu’il y a en plus ne m’a jamais vraiment touché. Je comprends que cela puisse séduire les promoteurs et le public, pour ma part ce n’est pas important. Faire des concerts dans le noir me convient.

Par rapport à Marble, vous avez plutôt signé des ex-Institubes, est-ce que vous comptez sortir de ce cercle à l’avenir ?

On n’est pas pressés de sortir de ce cercle, on est bien en famille. C’est un peu ce que l’on avait avec Institubes et on a reconstruit ce côté familial à notre sauce avec Marble. Au départ on était partis  pour sortir tout ce qui nous plaisait et si l’on nous envoyait des trucs on était chauds pour les sortir, mais au final avec le temps on se rend compte que l’on a beaucoup de choses à sortir et on peut conserver ce rythme un peu rapide en restant entre nous. On a envie de pouvoir poursuivre le truc en passant un peu de temps avec les mecs qui sortent des disques chez nous, discuter, et pas seulement sortir un track envoyé par mail. On a besoin de pouvoir faire la teuf avec les gens qui sortent des disques chez nous. Mais on n’est pas du tout fermés à ça. Dans l’absolu en tout cas.

Para One & Das Glow – Pulsar

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Est-ce que vous êtes satisfaits de la sortie de votre premier LP, celui de Surkin (“USA”), au niveau des retombées, des ventes ?

On est contents, c’est un album qui a un côté concept et assez spécial, qui s’enchaîne d’une traite et très intense qui ressemble vraiment à Surkin. Il reflète exactement ce qu’il avait en tête. Après, ça n’est qu’une étape. Quand tu es producteur et que tu sors un album, tu te mets  à produire d’autres gens. C’est ce qu’il est en train de faire en ce moment. Les retombées étaient bonnes. C’est clair que son album devait sortir sur Institubes au départ, donc il y a eu un certain délai. Forcément, quand il a fallu le sortir, nous avons dû être réactif. Je pense que c’est une sortie un peu étrange pour les professionnels, ils hallucinent qu’on ait été dans ces délais-là entre le mastering et le moment où il est sorti, tout est allé très vite et, compte tenu de tous ces paramètres, ça s’est très bien passé. Notamment parce que le public qui suit Surkin est pareil que lui, rapide et très nerd. Il y a eu un écho très rapide dans un certain milieu.

Surkin feat. Ann Saunderson – Lose yourself (Rustie remix)

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Comment se fait-il que vous trois, justement, qui étiez novices en termes de management de label, ayez réussi à faire en 6 mois le travail qu’Institubes n’a pas fait en 6 ans ?

Parce qu’on est agités, on se voit tous les jours, on travaille dans le même studio donc tous les matins on se voit, on fait une réunion autour de la machine à café et on prend une décision en quelques minutes. C’est débile mais c’est comme ça. Institubes c’était déjà un peu plus lourd, il y avait un bureau. A l’époque l’idée de sortir des objets c’était un peu compliqué il y avait pleins d’artistes à gérer en même temps. Ce n’était ni le même rythme, ni la même idée de rythme. Ils n’avaient pas forcément envie d’aller aussi vite que ça.

Comptez-vous réitérer l’expérience de sortir un LP ? Vous comptez faire ça régulièrement ?

Para One: Il y a le mien déjà, il y a les compiles aussi, donc bien sûr, on ne va pas sortir d’albums pour sortir des albums car on n’a pas besoin d’exister comme ça, en l’occurrence pour les albums on a des partenaires. Pour la distribution physique de Surkin, c’était Because et Ed Banger.

Panteros666 : Il y a l’album de Myd (Sourire)

Para One : Oui, il y a l’album de Myd qui sort en juillet (rires)

Panteros666 : Il le finit ce soir (rires)

Para One : Bien sûr on va réitérer l’expérience on va faire tout ce qui nous amuse, à savoir faire des soirées, sortir des disques et objets.

En allant avec cette idée de vitesse, vous n’avez pas peur que parfois les gens aient du mal à suivre et enchaîner ?

C’est sûr qu’une partie du public aura du mal à suivre, mais nous ça ne nous dérange pas car on s’adapte au public le plus rapide, le nôtre en l’occurrence. Ce sont des gens excités qui se lassent vite. C’est une frange très nerd de la population qui s’intéresse à cette musique là, ce sont les gens qui nous soutiennent le plus au final donc c’est à eux qu’on a envie de s’adresser en priorité. Après, il y a un autre rythme avec des gens comme Because ou d’autres maisons de disques. Pour eux c’est cool, on fait un travail indé de terrain, mais dans leur tête faire du buzz et créer une image c’est autre chose, un autre rythme, il faut parler à d’autres médias. C’est aussi très intéressant d’avoir l’input de gens comme ça sur notre boulot. On va apprendre sur des rendez-vous un peu plus lourd, des longs formats à étendre notre champ d’action et à être moins soumis à la dictature de la rapidité et de la nouveauté.

Malgré tout n’est-ce pas prendre en considération que la musique devient de plus en plus consommable à vouloir sortir aussi vite ?

On ne veut pas ramer à contre-courant, c’est un fait, mais je pense que la bonne musique reste. La musique interchangeable restera interchangeable et tu auras beau sortir de la musique plus rarement, si elle est interchangeable et qu’elle manque de personnalité, on l’oubliera aussi bien que tout le reste. Ce n’est pas parce que tu l’auras sortie en vinyle qu’on va la garder comme une archive précieuse. Des Maxis en digital qui sont sortis super vite avec une promo en 3 semaines peuvent être très marquants. Aujourd’hui je pense qu’il y a moins l’idée du créateur génie qui va tout changer avec un objet. C’est plutôt une sorte de réseau qui s’alimente en permanence. Nous on ne cache pas qu’on est influencés par d’autres artistes qui eux-mêmes ne cachent pas qu’ils sont influencés par d’autres artistes, des scènes, des pays…

Est-ce que tu penses garder les fans de l’ancienne époque Institubes / TTC avec Marble ou est-ce que cela va complètement changer ?

Je pense que oui, même si on s’en fout un peu. J’ai quand même l’expérience de 10 ans de TTC et je peux te dire qu’à chaque fois qu’on a fait un nouveau truc, les gens nous reprochaient de ne pas avoir fait celui d’avant, donc c’est un grand classique, si tu commences à te dire « il faut que je garde les fans d’avant, on est dans la merde si on fait tel truc », on ne va pas s’en sortir. Il faut s’en foutre. On est là pour amener de nouvelles idées sur la table. On n’est pas là pour récolter un immense succès pop de ouf. Ça peut arriver à n’importe quel moment mais pour le moment ce n’est pas notre histoire. On est dans l’underground, donc autant amener des idées fraîches plutôt que de se développer et grossir à tout prix.

Une question de Pur Sim, il avait parlé de toi avec Teki Latex, celui-ci a dit que tu es beaucoup plus prolifique qu’avant…

(Rires) Je me rappelle de lui. Pour répondre à sa question, je suis beaucoup moins productif qu’avant !

Parle nous de cette relation que tu as avec les machines ?

Ce n’est pas tellement les machines, c’est surtout le fait d’avoir un lieu où je vais tous les matins. Ça fait 6 ans que je suis dans ce studio et j’incruste de plus en plus de potes au fur et à mesure que les places se libèrent. Il y a eu Jackson, puis Birdy et Surkin & Bobmo. Peut-être bientôt Club Cheval. Le fait d’avoir un quotidien de travail, ça aide. C’est aussi un état d’esprit. C’est bien d’être dans sa pièce mais je peux aussi bien être chez moi avec un ordi et un casque. Mais c’est un état d’esprit. Il y a eu un déclic où je me suis dit « maintenant, il faut bosser ». Il y a 10 ans je me demandais tout le temps ce qui allait se passer  et si ça allait marcher. Je ne m’attendais pas du tout à ce que TTC marche autant. Il y a un truc d’égo. Tu démarres dans le business, tu ne sais pas si tu vas tout déchirer et si ça va être incroyable, ta vie va changer ou au contraire si rien ne va se passer. C’est très manichéen. En vieillissant un peu et prenant de la maturité tu te rends compte qu’il faut travailler, développer ses idées et les rendre accessibles. Certains projets vont marcher d’autres non et c’est comme ça. C’est moins un côté tout ou rien. Produire est un travail quotidien pour moi.

On se souvient d’une interview où tu disais que ton album était né dans la douleur que la production est quelque chose de difficile, est-ce toujours le cas ?

C’est tout à fait faux maintenant.

C’était vrai à l’époque ?

Justement c’est tout ce que je viens de te dire. C’était vrai à l’époque. C’était au moment où à Paris, dans l’électro, il y avait vraiment des chapelles et c’était très fermé. Internet ne gouvernait pas tout et il n’y avait pas le décloisonnement que l’on connaît maintenant, la communication entre les artistes. La mode c’était de faire la gueule et de rester dans son coin. C’est un truc qui a changé. Avant, c’était cool d’être jeune, puis c’était cool d’être vieux et d’avoir de l’expérience. Il fallait être Ivan Smagghe. Après en vieillissant c’était cool d’être jeune. Pas de bol, j’avais vieilli entre temps. Ça a évolué. Maintenant, tu as l’impression que tout le monde a envie de se connaître. Le réseau s’agrandit. A l’époque, il fallait faire ses preuves Tu avais l’impression d’être surveillé par Ark, Oizo et Katapult et que si tu faisais un mauvais disque, Feadz allait venir te fouetter ! C’était un peu la guerre.

Maintenant comment vois-tu ce décloisonnement à Paris concrètement ?

Ca se passe entre les musiciens, beaucoup font connaissance maintenant alors qu’ils auraient du le faire il y a très longtemps. C’est très agréable. C’est aussi parce qu’à l’étranger pleins de choses se sont passées. En 2005-2009, il y a eu une telle explosion, on s’est tous retrouvés à jouer à Coachella ou autres, on ne se connaissait pas forcément, et il y a un peu un esprit familial qui s’en est dégagé. Aujourd’hui c’est totalement acquis. Les DJs se parlent sur Twitter, il y a un côté un peu énervant mais si tu as la chance de commencer à te déplacer et voyager avec ta musique tu peux très vite rencontrer plein de gens.

L’an dernier, tu as fait un live avec Tacteel à la Gaîté Lyrique, ce travail est-il toujours d’actualité ? Est-ce que vous comptez sortir quelque chose ?

On va sortir ce live. En format album. Je ne peux pas dire quand ni comment mais on va le sortir en entier, l’arranger un peu pour qu’il soit écoutable à la maison. Il représente tout le travail que l’on a fait durant cette période de 2 ans. On a pris un pied pas possible à faire du son ensemble. Unité-action-temps : on était dans le même studio, avec les mêmes machines, ça s’est concrétisé avec le live qui représente les productions et remixes.

Pour finir, que penses-tu de la nouvelle scène arrivée d’Angleterre (Night Slugs etc) ?

Elle est arrivée d’un peu partout, c’est multi-local, il y a des trucs qui sont arrivés de Californie, France, Belgique… Je trouve que ça amène de la fraîcheur. On commençait à s’ennuyer. Un son a longtemps dominé et on était obligés d’y aller alors que ce n’était pas forcément notre truc. Avec Institubes, on faisait plus ou moins de la musique expérimentale, on mélangeait du rap et d’autres trucs (L’atelier etc). Quelque chose a pris le pas, on sentait qu’il fallait que ce soit de la techno vraiment vénère. Pendant un certain temps ça nous a amusé puis on s’en est lassé car on a eu envie de changer. Sauf que le public demandait une seule et même chose. Le fait que les tendances changent, qu’il y ait un retour du deep et du garage a été très rafraîchissant. Je me retrouvais de nouveau dans la musique club. Tout finit par se ressembler, il faut toujours qu’il y ait de la nouveauté. J’aime quand ça change.

Questions préparées par Pur Sim, Sousou & Cyprien. Merci à Para One pour sa sincérité et son ouverture, merci à Guilhem & Elektricity d’avoir arrangé l’entrevue.

Teaser réalisé par Babylone Prod