Trance-mission, révolutions dans nos nuits et construction d’un DJ set : on a discuté avec Hewan Aman, à quelques jours de son passage à la prochaine édition anniversaire du festival Nuits sonores, ce week-end à Lyon. 

Des bruits de la rue et des véhicules qui circulent aux alentours. Des tasses qui se posent un peu vite sur des tables, sous un soleil timide. À la terrasse d’un café au début du printemps, il y a des pauses et des accélérations ; des temps de réflexion dans une discussion, avant de reprendre sa course et le court des pensées. On est installé avec Hewan Aman pour discuter. C’est une interview oui, mais qui tourne rapidement à l’échange, les questions changeant de destinataire au grès des sujets. 

Hewan Aman est DJ, graphiste de métier. Une DJ qui s’est affirmée à l’orée du confinement et de la reprise du chemin vers les dancefloors, qu’elle envoute à intervalles réguliers. Trance, techno mystique et dubby, percussions mentales : Hewan emmène notre corps, « là où il en a envie. » Les dancefloors, elle essaie de les soigner, aussi. Au sein d’Au-delà du club, collectif et plateforme visuelle et artistique de recherche sur la fête et ses pratiques, elle met en pratique son métier pour mettre en page des poèmes et contenus aidant la scène à penser autrement. « Tu es quel signe, toi ? » Construire un set, penser la scène et donc astrologie : notre discussion avec Hewan. 

Comment est-ce que tu travailles tes mixes, émissions de radio ou DJ sets ?

Lorsque ce sont des podcasts, ils sont préparés minutieusement. Sur une date et si j’ai un format court en dessous d’une heure et demie, je prépare. J’ai réalisé que si je ne préparais pas, je n’ai pas tant de temps que ça pour raconter ce que je voudrais raconter. C’est plus intéressant d’être préparée. Sur des formats plus longs cela devient moins pertinent, il faut y aller au feeling et à l’intuition. Mais il y a tout de même une préparation sur l’intention, sur ce que je souhaite raconter… Je me projète toujours sur le début. 

Tu penses peut-être à une première track ?

Les quatre premières, je les ai en tête et je sais exactement le mood que j’ai envie d’instaurer. C’est marrant, à chaque fois je me dis « mais comment est-ce que je peux deviner ça ? » et intuitivement, ça fonctionne. 

Tu peux décider du mood, aussi. 

Oui bien sûr. J’aime créer quelque chose d’un peu mystique, une vibe envoutante, mentale. Cela commence toujours comme ça. Ensuite, j’ai des intentions d’intensité progressive. Je sais quand il faut passer à l’étape d’après, ou s’il faut parfois rester plus longtemps dans une certaine intensité parce que ce n’est pas approprié d’y aller trop vite.

Tu étudies la programmation et la timetable j’imagine, est-ce que cela influence ton set ? 

Il est plus facile d’imaginer ce qu’il va se passer, oui. Dernièrement, j’ai fait beaucoup de warm up alors, c’est moi qui ouvre (rires) Je donne le ton. 

Est-ce que c’est un exercice qui te plait ?

J’aime bien. Je n’appelle pas forcément ça des warm up, sans vouloir dévaloriser l’exercice. J’aime bien parce que je suis en forme, je me sens en pleine possession de mes moyens. 

Je trouve ça plus difficile – arriver en peak time et taper fort semble plus aisé qu’installer un mood et de capter un public… 

Tu peux explorer des choses, créer et installer une ambiance. Tu es moins obligé de tenir une énergie. C’est un exercice que j’aime bien et que j’ai eu la chance de faire ces derniers temps. J’arrive le plus souvent avec une idée de base et plusieurs dossiers et chemins possible, et je décide dans quel chemin je rentre. J’aime bien découvrir comment prend forme le set par rapport à mon intention de départ. 

Tu acceptes les enregistrements de tes sets ?

Oui ! À Carbone, j’ouvrais et Brice (Coudert, le programmateur des soirées Antiverse où Hewan Aman a joué, ndr) m’a dit : « pas de warm up, on a six heures alors on y va. » C’était génial qu’il me dise ça ! Et c’était une bonne directive parce que j’étais un peu dans le doute, cela m’a permit d’y aller direct. L’une des consignes était de ne pas aller au-delà de 135bpm – sauf que ce n’est pas un espace qui m’intéresse, en dessous. J’ai commencé très rapide mais percussif, half-time – un ami aime à dire que c’est un espace où tu peux laisser à ton corps le choix de se mettre là où il en a envie. C’est très rapide, mais avec un beat décalé, pas sur tous les temps. Rapide sans être écrasant. J’ai gardé la même énergie mais en descelérant, en allant sur une vibe plus trance, sans que l’on ne se rende compte de la vitesse. C’était cool !

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Tu as une résidence sur DIA! Radio, Tentacular, que tu partages avec Bambi si je ne me trompe pas. 

Tentacular est mon projet, Bambi y a contribué et y contribue par moments, par exemple sur un format fête que l’on a organisé en octobre dernier. Sur la curation, je garde la main dessus. Les projets se sont multipliés cette année et on s’est toutes les deux rendu compte qu’il fallait que l’on fasse des choix. On a des esthétiques qui s’affinent, et on a tout intérêt à aller chacune de notre côté pour conserver notre dynamique d’inspiration mutuelle et permettre des plus belles rencontres entre nos deux univers. On a par exemple bien hâte de jouer en b2b au festival Evasion en Juin.

Quand est-ce qu’est né le projet ?

Il y a un an. C’est la continuité de l’émission que j’avais déjà sur DIA! Radio et qui s’appelait Zodiac Sounds. Je m’inspirais du thème astral du moment pour l’intention – je prête beaucoup d’attention à l’intention, dans tout ce que l’on fait. Artistiquement, c’est important. Cela peut-être dans plein de choses comme dans le thème astral. On rentre dans la saison du Poisson… (l’entretien s’est fait à la fin mars, ndr) tu es quoi, toi ? 

Sagittaire.

Sagittaire. Si tu n’as pas envie de rentrer dans tes émotions, tu peux t’inspirer de l’astrologie qui est une manière détournée de parler de l’intime, je trouve. Tu peux y chercher une effervescence pour créer quelque chose. C’était le travail de base, mettre de l’intime derrière le podcast. La nouvelle saison entamée en janvier 2022 s’appelle maintenant Tentacular. 

Tu as beaucoup de guests sur le show. Comment construis-tu la programmation ?

Ce sont des personnes qui m’inspirent musicalement. Je vois ça comme une collection de sonorités et d’ambiances musicales qui me parlent, et que j’ai envie de défendre et de mettre en valeur. Il y a une esthétique qui s’est créé à partir de mots et d’une identité visuelle que j’ai moi-même créée. Avoir des guests, cela me permet de connecter des personnes, des valeurs, des musiques… Cela crée des ponts.

Tu es co-curatrice d’Au-delà du club : il y a eu un livre sorti en 2021, et une suite sortie plus récemment…

Que j’ai avec moi ! C’était un projet qui a demandé beaucoup de travail, avec pas pour but d’en faire un livre au départ : c’était le projet de recherche de Sarah Gamrani (Hawa Sarita sur scène, ndr), que j’ai connu sur les réseaux sociaux et qui m’a demandé de participer à son projet en tant que fêtarde femme, de parler de mon expérience de la nuit. On était une dizaine a avoir été sollicitées, et elle nous a fait travailler sur le thème de la nuit à travers la poésie. Pendant le confinement, avec des ateliers en ligne sur Zoom. 

C’était comment, comme expérience ?

C’était génial. C’était à une période où je venais de commencer ma résidence sur DIA! Radio, j’explorais ma pratique du mix, la potentialité d’être DJ… Je ne m’estimais même pas DJ à ce moment-là, je ne pensais pas que cela pouvait prendre forme de cette manière-là. Cela me faisait un peu rêver, il y avait tout un truc autour de la légitimité – une grande question mais que je me posais à titre personnel, chez moi. Le fait de participer à ce projet m’a permis de me rendre compte que l’on était hyper nombreuses à se poser ces questions, principalement lié au fait que nous sommes des femmes. Une expérience assez transformatrice, un peu inattendue parce qu’elle est arrivée d’elle-même et qui m’a permis d’accepter beaucoup plus sereinement ce qui s’est passé par la suite. J’ai découvert ce qu’était un cercle de paroles entre femmes. Je me rendais compte que parmi les autres participantes, parfois plus installées et plus connues, certaines partageaient les mêmes questionnements. 

Le projet était fort de par l’expérience apportée. Sarah le faisait dans le cadre de son mémoire de master. Elle participait aux poèmes, et se montrait très vulnérable sur ses propres ressentis, sur sa pratique musicale, à ses prémices à ce moment-là. De pouvoir partager était fort, c’était une expérience humaine très marquante. Sarah est quelqu’un d’exceptionnel et de très inspirant, qui travaille avec détermination. Elle a émis l’idée d’en faire un ouvrage, j’ai pris le temps de digérer l’info et on s’y est mis. Et on a réussi ! On a produit 600 exemplaires, et tous ont été écoulé. 

C’était assez attendu au moment de la sortie. La suite est un fanzine imprimé en riso et qui a pour vocation d’être décliné en plusieurs numéros, six au total. Ces fanzines sont à la croisée d’un objet d’art et de contenus utile pour le milieu de la nuit, sur des thématiques autour de l’inclusivité, des espaces, de la sécurité. Le premier numéro, Flashes 1: Programmations inclusives, explore des approches inspirantes de la programmation, avec une interview d’Asana – Anaëlle Saas, programmatrice du Macadam à Nantes. Je me suis concentré pour ma part principalement sur le graphisme, les contenus sont proposés par Sarah et Laure Togola, qui s’est joint au projet et au collectif. On a pour vocation de créer des ouvrages inspirants et marquants. Il y a un sujet autour du comment ; comment rendre les soirées plus inclusives, les espaces de fêtes, comment transformer la nuit… On souhaite pouvoir relayer des exemples de bonnes pratiques et des contenus pour y remédier. 

Ce qui m’emmène à penser : depuis la sortie du projet, est-ce que tu ou vous avez vu des changements, des améliorations sur ces questions de parité, de représentativité ?

Ce qui est certain est que depuis la sortie du confinement, un festival ou une programmation qui ne fait pas attention à la parité est immédiatement pointé du doigt. Tout le monde en parle. Je dirais que la discussion est grandement ouverte, beaucoup plus facile qu’avant. Il y a des transformations évidentes et on commence à en voir les effets : avec un line up paritaire, ce qui se passe sur le dancefloor est changeant, et tout le monde a le loisir d’explorer ça. Une transformation est en cours, une transformation qui prend du temps et c’est normal, mais au moins les discussions sont ouvertes et chacun peut s’en charger, à son propre niveau. 

Quand tu reçois une proposition de booking, tu regardes le programme j’imagine ?

Je fais attention. La majorité des programmations ou j’ai été sont des espaces où la discussion est en cours. L’idée n’est pas forcément d’être à la parité exacte, mais de sentir qu’il y a une volonté, une conscience du sujet et qu’à partir du moment où l’on en a pris la mesure, on ne peut pas faire chemin arrière. Être invitée sur un plateau équilibré et bien pensé, il y a rien de tel ! Tant pour l’atmosphère de la soirée que la proposition musicale globale. 

Hewan Aman sera à Nuits sonores le samedi 20 mai, au Day #4. C’est complet mais on y sera, suivez-nous sur les réseaux.

Au-delà du club
Hawa Sarita

crédits photos : Tatiana Prieto, Matcha