Mtendere Mandowa aka Teebs, remarqué en 2010, grâce a son premier album Ardour, revient en ce printemps 2014 avec ESTARA. C’est toujours sur Brainfeeder, prestigieux label du désormais célèbre Flying Lotus, que sort ce deuxième opus. Il est parfois difficile cependant de mettre Teebs dans une catégorie spécifique. Musicien, peintre et designer, il ne laisse en tout cas pas indifférent. 

Peux-tu te présenter ?

Salut, je suis Teebs… C’est bien comme ça ?

4 ans ont passé depuis ton premier album, Ardour, comment se fait-il que tu aies mis si longtemps à sortir ESTARA ?

J’ai vraiment tendance à m’éparpiller, je travaillais sur des peintures et d’autres choses et, tu sais, on a tendance à se perdre un peu dans la vie alors, oui, j’ai juste disparu.

En plus de la peinture, sur quoi travaillais-tu ?

Manger, dormir… J’ai aussi fait du design pour des marques de vêtements, notamment des choses pour Obey qui sont sorties récemment et pour d’autres marques, des vêtements qui sortiront probablement plus tard. Et à part ça, j’ai juste trainé à droite et à gauche. J’ai fait de la musique mais ce n’est pas tant le disque qui m’a retardé, ce sont plus les agendas, le timing, car faire des concerts était une chose nouvelle pour moi, j’ai beaucoup tourné pour Ardour en 2010. J’ai donc été assez pris par ces nouvelles choses, rencontrer les gens, tout ça.

TEEBS OBEY Arist Series from OBEY CLOTHING on Vimeo.

Quand as-tu commencé à t’intéresser à la peinture ? Peux-tu nous parler un peu de ton art visuel ?

En fait, j’ai commencé à m’intéresser à la peinture avant de m’intéresser à la musique. J’ai pris des cours d’histoire de l’art et j’ai été soufflé par les couleurs, les textures. Je pense que j’ai commencé à peindre à cette époque, aux alentours de 2005.

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Est-ce que tu dirais que ton travail en tant que peintre et ton travail en tant que beatmaker sont liés ?

Ouais, à 100%, 120%. Par exemple, dans mon dernier projet en date, je peignais par-dessus des pochettes d’album, je les repeignais et les recyclais. Je pense que le processus de construction était ici le même que pour mes morceaux : quand je fais des beats, je mets des couches de samples, j’imagine que c’est ce que j’aime faire, mettre beaucoup de couches, et c’est la même idée pour les peintures, je mets des couches de samples.

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Ton art musical a une esthétique prononcée, de collages, de boucles, pourquoi est-il si important pour toi d’avoir cette esthétique d’assemblage de pièces multiples ?

Je pense que c’est principalement parce que je trouve intéressant de prendre des choses qui ont déjà une existence propre, et les recycler, redessiner leurs formes. Mais c’est peut être aussi parce que je suis fainéant ! (rires) J’aime vraiment cette idée, mon travail s’est basé très tôt là-dessus. J’ai été vraiment intéressé par cette sorte de croissance de la vie, cette manière de donner des choses. Je veux dire, je le ferai toujours et c’est amusant, c’est vraiment intéressant.

Quel artiste, musicien ou non, a eu le plus d’impact dans ta vie ?

Je pense que c’est Mark Gonzales, un skateboarder. Je crois qu’il peint également mais c’est principalement un skateboarder professionnel, une personne vraiment dingue. J’adore les gens qui ont une personnalité vraiment sauvage et qui peuvent le communiquer. J’aime ça, donc c’est un de mes types favoris. C’est plutôt fou je crois.

Tes albums sont comme des voyages, qui racontent une histoire continue, tout comme ton art visuel. Quelle est l’histoire d’ESTARA selon toi ?

C’est exactement ça, une histoire continue. ESTARA est comme un regard en arrière vers Ardour, en ce sens que ces deux albums sont supposés être comme des frères ou des sœurs, ou ce qu’on veut, et ESTARA est un regard sur ces 4 années qui ont passé. C’est long, 4 ans, et j’ai essayé de comprendre le sens de tout ça car l’époque d’Ardour était une époque bizarre pour moi et beaucoup de choses se sont arrangées depuis ; ESTARA est en quelque sorte l’opposé. Donc j’essaie de travailler avec cet espace libre et d’avoir du recul sur ma situation de l’époque, tout en y étant attaché, en utilisant le même procédé.

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Pour toi, y a-t-il une différence entre les sons et la musique ? Ou est-ce que tu penses que chaque son peut être défini comme étant musical ?

Ça dépend de la façon dont tu places le son. Donc en fait, il n’y aucune différence, et il y a des tonnes de différences. Par exemple, si je gratte un objet, ce n’est pas de la musique, mais si tu le penses, que tu l’arranges, ça peut être la meilleure chanson de tous les temps… Ça dépend de ta manière de concevoir la chose.

Dans tes albums, tu utilises beaucoup d’éléments bruts, du field recording par exemple – et également des éléments électroniques et acoustiques. Est-ce que tu penses que ce mélange est important ? Est-ce important pour toi d’avoir tout cet attirail de sons différents ?

Oui, c’est important car ça m’aide à communiquer bien mieux le sentiment que je veux faire passer. Je ne sais pas trop quel mot mettre là-dessus mais, par exemple, quand tu regardes une peinture de Picasso, tu ressens la différence entre l’atmosphère qui a inspiré le tableau, et le tableau lui-même, il est très joli, mais tu n’es pas vraiment dans la pièce qui est peinte, avec les vraies personnes. Tout cela joue un rôle et c’est pour ça que prendre des sons partout, pour donner du relief, faire ressentir l’atmosphère, est très important à mes yeux.

 

Est-ce difficile de mélanger tous ces sons ?

Ouais ! C’est le plus gros challenge en fait, ça devient souvent très brouillon et à ce moment, ça ne semble pas une si bonne idée de mélanger tout ça parce que la musique semble être de très mauvaise qualité au départ et il faut bien régler les niveaux, les balances, … Je ne dis pas que je suis un maitre, mais c’est carrément très dur de mettre ça à plat.

Comment commences-tu à travailler sur un morceau et quand sais-tu qu’il est terminé ?

C’est toujours différent au début… Pour commencer, je me réveille et j’allume tout mon matériel. Je commence comme ça et ensuite, quand est-ce que je sais que c’est terminé ? Comme je l’ai déjà dit dans une autre interview, c’est comme quand tu es dans une relation amoureuse et que tu n’en peux plus, et donc tu dis « je sais, j’abandonne, c’est fini, je suis désolé. » C’est comme ça que je sais que le morceau est terminé.

Peux-tu nous parler de ton collectif, My Hollow Drum ? Comment est-ce que ça a commencé ?

Mon ami Chad, qui est en fait chef cuisinier maintenant, nous a tous rassemblés au début en disant « formons un collectif ! ». On s’inspirait mutuellement, on faisait de la musique, ou de l’art, beaucoup de choses, on a commencé comme ça. On a commencé à faire des expositions et ils ont commencé à me parler de faire du Djing. Et puis un ami à nous, Free the Robots, est venu à nos expositions, dont personne n’avait entendu parler avant. Tu vois, on faisait ça dans une ville minuscule, tout le monde s’en foutait, à part peut être 20 personnes. Donc, Free the Robots est venu et a dit « Waouh les gars ! Vous êtes géniaux! » et il m’a dit «Viens faire faire un DJ set chez moi, au Crosby ! » [salle de concert de Santa Ana, CA]. C’est donc comme ça que le collectif a démarré, en passant des nuits ensemble, et vraiment, en s’inspirant mutuellement. Ouais, c’est un gros collectif, dix personnes ! Dix personnes de talent, musiciens, peintres, designers, etc.

Tu travailles encore avec eux ?

Oui, tout le temps ! Co.fee, un très très bon beatmaker, sort un album cette année, et j’espère qu’on pourra faire des concerts ensemble bientôt aux Etats-Unis. Voyons comment ça se passe. On ne perd pas le contact, on va ressortir un de ses EP et je vais faire des remix pour lui, donc, on s’échange des morceaux en quelque sorte.

Comment en es-tu arrivé à collaborer avec Prefuse 73, avec qui tu formes le duo Sons Of The Morning ?

J’ai fait des illustrations pour son album et, j’imagine qu’il est très bon pour garder des choses sous le coude. Quand l’album est sorti, il m’a demandé si je voulais faire de la musique avec lui, je lui ai répondu « ouais, bien sûr ». On a échangé des mails et on s’est retrouvé à New York pour travailler ensemble. En fait, c’est un type plutôt fou, je ne sais pas trop comment dire, il est très intelligent, époustouflant, vraiment dans sa tête, et je me suis dit, quel mec ! Donc ça a été très stimulant de travailler avec lui. Il a été mon partenaire pendant 5 ou 6 jours, on se réveillait à 7 heures du matin, on commandait des sandwiches pour le petit déjeuner, et après ça on travaillait jusqu’à, disons, minuit. Toute la journée ! Et ensuite on sortait prendre une bière, on jouait aux jeux vidéos, … Ca s’est passé comme ça. On ne voyait pas passer la journée, et on travaillait tout le temps sur de nouvelles choses.

Est-ce qu’on doit s’attendre à plus de chose de la part de Sons of the Morning ?

Oui, on a une vingtaine de démos ! Il y a de la matière, on ne sortait pas de la chambre ! Avec un peu de chance, on aimerait sortir un autre EP, dans un style différent, car on a plein de brouillons dans le style des vieux morceaux de Prefuse 73… on essaie de donner un sens à tout ça… Donc, pour répondre à ta question, ouais, vous allez en avoir plus !

D’autres collaborations en vue ?

Carrément. Je veux faire des choses avec Co.fee, je veux vraiment enregistrer un EP avec lui. D’autres choses, avec beaucoup d’autres gens, avec qui j’avais déjà prévu de collaborer, tu vois ce que je veux dire, c’est juste une question de timing.

Quel est ton plan, dans un futur proche ?

Un futur proche… Je ne sais pas. En vérité, j’ai un groupe maintenant, c’est assez amusant, on travaille sur des reprises d’ESTARA, mais on essaye de trouver notre propre son, ces musiciens sont vraiment talentueux, alors on essaie d’écarter l’aspect ESTARA.