Personnalité à part dans le milieu de la musique électronique, Ruf Dug trace une route atypique, brute, érudite & foncièrement fun. Originaire de Manchester, exilé un temps en Australie, fan devant l’éternel de jeux vidéos, patron de label, disquaire, DJ & producteur : la liste peut continuer encore, tant le monsieur multiplie les activités et les projets. Il nous avait même signé un podcast de haute-volée, il y a quelques temps. Après quelques années hors des radars mais riches en DJ sets – on se souvient encore, ému, d’un DJ set sur la plage de Guéthary au Baléapop il y a deux étés où le “Get It Up For Your Love” de Ned Dehony avait clôturé, avec grâce, deux heures de baléaric – Ruf est de retour avec un nouvel EP, Ruffy’s Island, sur Future Boogie. Nous avons échangé quelques mots avec l’intéressé sur son EP, l’humour, l’énergie, la nu disco. 

Entre ton disquaire Hi-Tackle, les résidences sur NTS et bien sûr, les DJ sets, j’imagine que cela fait beaucoup de choses à gérer. Mais pourquoi autant de temps depuis ta dernière sortie ? 

Je suis devenu père il y a trois ans, j’ai pris un peu de temps pour m’occuper de mon fils. Je faisais quelques petites choses sur mon ordinateur, la nuit, quand je pouvais. Je suis de retour en studio depuis pas mal de temps déjà, presque 18 mois, et j’ai beaucoup de choses à sortir.

L’EP Ruffy’s Island sortira très bientôt sur Future Boogie. Tu l’as présenté comme un jeu vidéo, est-ce que tu peux m’en dire plus ?

Les jeux vidéos ont toujours été d’une énorme influence sur moi, depuis tout petit. La première fois que je me suis senti réellement en phase avec la musique, c’était celle d’un jeu vidéo et de nos jours, c’est plutôt commun. Il y a une constante évolution dans l’appréciation de ces bandes sonores. Incorporer un concept comme celui-ci dans la musique de club n’est pas nouveau, cela remonte au moins jusqu’à Yellow Magic Orchestra. J’avais en tête la Sega Mega Drive et sa patte sonore en composant “Boat Party”, et “Abandoned Party” a été très influencé par Journey, un jeu de PS4 auquel je jouais non-stop.

Enrober l’EP avec cette idée de jeu vidéo était presque évident, en fait, et je dois remercier mille fois mon pote Randy Brunson pour avoir trouver cette idée de “Ruffy’s Island”, un soir très tard à Hi-Tackle.
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“Boat Party” sonne comme un edit d’un obscur tube baléaric oublié de tous, mais surtout, il sonne très brut. Est-ce que l’imperfection est ta façon de garder l’énergie sur disque ? 

Hahaha, de temps en temps, quelqu’un me sort une interprétation plutôt cool de ce qui pourrait aussi bien être de la paresse ! J’aime beaucoup celle-là, je vais l’utiliser à nouveau ! Pour être plus sérieux oui, je suis d’accord avec l’idée que la première prise est la bonne, parce qu’elle contient toute une énergie brute et magique que l’on ne pourra jamais remplacer. Je pense aussi de la même façon que ceux qui revendiquent préférer les beats bâclés, bordéliques (putain, merci !), les petits accidents et dérèglements de la machine, qui dévoilent presque le fonctionnement d’un beat tout autant que de montrer les failles humaines. Ce sont des marqueurs subtils qui donnent une certaine énergie positive. Est-ce que c’est “ma façon” ou pas de garder cette énergie sur disque, je ne suis pas sûr – c’est certainement une façon de faire, mais je suis totalement conscient de la force qu’un morceau extrêmement poli, clean, peut donner sur un dancefloor. “Boat Party” est conçu comme un hommage à cette grande lignée nu-disco norvégienne que forment Todd Terje, Prins Thomas et d’autres. Leurs morceaux sont – à juste titre – devenus des tubes, voire des hymnes club parce qu’ils sont si bien produits. De plein des façons, l’esthétique brute qui traverse “Boat Party” est une réponse directe à ces légendes, il ne serait rien sans eux !

Pourquoi ne pas sortir l’EP sur ton propre label, Rüf Kutz ? Cela semble parfait. 

C’est très cool d’entendre ça ! Cela fait du bien de penser que Rüf Kutz a son identité propre, et que l’on peut dire d’un disque “c’est une sortie Rüf Kutz”. Je suis d’accord et, pendant longtemps, “Abandoned Pyramid” devait atterrir sur le label. La vérité est que j’ai beaucoup (beaucoup) de morceaux sous le coude et j’ai déjà un EP pour Rüf Kutz dans les tuyaux – tout comme beaucoup d’incroyable musiques de plusieurs artistes. J’ai hâte !

Il y a toujours pas mal d’humour dans tes travaux, et c’est pour moi une façon de ne pas se sentir vieux, et ennuyeux. Je pense que la scène électronique se prend trop au sérieux, pas toi ?

Oui carrément, je pense qu’il y a pas mal de choses drôles en ce moment. Techno The Gathering en est un exemple, et le live tweet d’Artwork sur le vol de son masque Marshmello a failli me tuer. On est là pour prendre du bon temps, non ? Personne n’invente l’eau tiède.

Tu es de retour à Manchester et gères Hi-Tackle, donc. Sans être trop sérieux, comment fonctionne un disquaire en 2019 ? Est-ce que tu sens que le vinyle, l’objet en lui-même, est (vraiment) de retour ? 

Je me demande s’il n’a pas déjà eu son heure de gloire … Les beaux jours du vinyl sont derrière nous. Je vois une diminution progressive dans les vingt années à venir pour revenir aux niveaux de 2008 environ, et se stabiliser ainsi, de façon très artisanale, voire de niche. Pour la culture DJ, les nerds et finalement très peu d’autres personnes. Cela ne me rend pas plus triste que ça, je pense que je continuerai à produire, sortir & acheter des disques comme beaucoup d’autres de mes potes. En fait, j’ai hâte de ne plus attendre aussi longtemps pour un pressage ! Je me souviens de délais d’usine de six semaines, bordel !

Est-ce que tu peux nous décrire la scène à Manchester ? On aimerait beaucoup découvrir des DJs, producteurs, labels ! 

OH mec, c’est vraiment incroyable en ce moment à Manchester. Il y a toute une vague de jeunes promoteurs & DJs, intelligents, qui font de la belle musique. Ils ont plein d’idées magnifiques, et beaucoup de jeunes ravers ne demandent qu’à vibrer & danser toute la nuit. Partisan Collective par exemple, le White Hotel est le meilleur club du monde, c’est là que l’on organise les Wet Play et je ne suis jamais senti autant chez moi qu’ici. Sérieusement, je pourrai rester des heures là-dessus ! La meilleure façon d’avoir un aperçu de la ville est de se brancher sur NTS 2 les samedi & dimanche, il y a tout un programme avec pas mal de représentants de notre culture musicale.