Vitesse, percussions et puissance : on pourrait qualifier les DJ sets de Saku Sahara de cette manière tant la Lyonnaise va très vite depuis ses clés USB. Mais cela ne rendrait que partiellement justice à son univers, fait de vitesse certes, mais aussi d’une grande précision et d’une connaissance encyclopédique de la scène UK. Un univers à part, fait de breaks et de contre-temps qu’elle manie avec justesse depuis quelques années à Lyon donc, mais aussi à Paris sur de solide plateaux – aux côtés de Special Request, Flore, Teki Latex et bien d’autres.

C’est à Nuits sonores, à fin mai dernier, que l’on a discuté avec elle. Dans une édition du festival revenu à la normale, la DJ était programmée sur l’une des scènes du dernier Day, aux Usines Fagor-Brandt. Elle clôturait alors une scène très UK où Yung Singh puis Sherelle lui ouvrait une voie royale qu’elle a su dompter avec la manière. Sur-vitaminé et éclectique, son set a été l’un des beaux moments d’une édition qui n’en manquait pas – au hasard, le show de Lala&ce, le b2b entre Brodinski et Low Jack ou celui entre D.Tiffany et Roza Terenzi, De Ambassade, Lous & The Yakuza ou encore Honey Dijon. 

Tu es résidente sur Rinse, et… 

(elle coupe) Non. C’est un truc assez dingue, tout le monde le pense et d’ailleurs quand on m’invite sur des événements, on inscrit « Rinse France » à côté de mon nom dans la bio. Tu n’es pas le seul à le penser ! (rires)

Tu n’aimerais pas ? 

La résidence est un format un peu contraignant pour moi – cela implique de la régularité, je suis entre Lyon et Paris et je bouge beaucoup. Je préfère être invitée une fois de temps en temps. 

Quel serait le format qui te plairait, si tu devais avoir ton émission ?

Ce qui m’intéressait le plus serait de faire des connexions avec des artistes pas encore invité.e.s – je discute avec pas mal de gens en Angleterre. Cela serait un format intéressant. 

Peut-être avec la scène lyonnaise aussi ? J’ai vu que tu étais co-fondatrice d’Unit Sœurs, est-ce que tu peux m’en dire plus ?

On a monté à ça avec Jade et Magda depuis un an. On avait programmé un livestream au Sucre avec une vingtaine de DJs pendant plus de 10 heures. C’était important d’avoir de la visibilité dès le départ et Le Sucre est une salle importante dans la scène lyonnaise. Des cours de mixs avec des femmes étaient déjà organisés là-bas, il y avait une cohérence. 

Cela a permis aux filles qui n’osaient pas se lancer de voir une vraie scène, un vrai soundsystem avec un accompagnement… De jouer tous les styles musicaux aussi, de l’ambient au reggaeton en passant pas de la drum, de la techno. C’était hyper enrichissant de rencontrer ces filles avec qui l’on ne se connaissait pas avant – qui ont appris à mixer chez elles pendant le confinement pour certaines. Après ce stream, le projet a évolué en une sorte d’agence de booking sans l’être – on essaye de les placer sur des événements parce que l’on reçoit pas mal de messages et de demandes. On essaie de créer des passerelles. 

Comment les rencontres et les connexions se sont faites à la création d’Unit Sœurs ?

Avant de monter l’asso, on avait fait un gros travail de référencement. Et puis c’est parti d’un post que j’avais fait sur les réseaux d’un énième projet de la scène lyonnaise avec que des artistes hommes. Ça m’avait frappé de voir « la scène lyonnaise = que des hommes ». J’avais fait un petit repost sur Instagram et ç’a eu énormément d’impact, j’ai eu énormément de messages, de gens qui avaient repartagé derrière… Un effet boule de neige, où certaines filles me disaient qu’il fallait utiliser cette chose, ce post pour en faire du positif. Des affinités se sont créées avec Jade et Magda donc, puis avec d’autres filles de la scène. On veut mettre la lumière sur ces filles-là, donner des conseils et des skills, les aider à se lancer. On n’en avait pas eu, nous, alors c’était important de le faire, de leur apporter ce que l’on n’a pas eu.

Pour revenir à toi, tu joues ce samedi, sur la scène Soundsystem. Comment tu te sens, toi qui est une locale ?

J’avais joué l’année dernière sur le format Hors-Série – plus petit. C’était le feu. En tant que lyonnaise, le summum était de jouer à Nuits sonores, forcément. J’étais hyper émue et tous mes ami.e.s étaient là, une date hyper importante. Cette année c’est un cran au-dessus puisque c’est le vrai format, aux Usines en plus. Ce qui me touche encore plus est que je suis vraiment sur la scène qui me correspond le plus, avec des artistes qui me correspondent le plus – c’est presque une scène UK, avec Yung Singh et Sherelle qui est un exemple pour moi de DJ. Je ne pouvais pas mieux rêver ! Je suis hyper excitée, un peu stressée bien évidemment, c’est trop bien. 

Est-ce que tu prépares tes sets ? Et plus spécifiquement celui-là ?

C’est marrant parce que l’on me pose souvent cette question autour de moi, mais je suis visiblement l’une des rares qui ne préparent jamais rien. Je fais toujours au feeling. Pour Nuits sonores je me suis quand même posé la question, c’est demain et je n’ai toujours rien préparé… (sourires) J’aime bien savoir par quelle track je vais commencer, et avec laquelle je vais finir. J’oscille toujours entre les mêmes BPM – de 155 à 175. Cela peut monter un peu plus (rires) J’en parle souvent avec les filles : c’est très important qu’un DJ sache mixer sans se préparer. Beaucoup de personnes préparent leurs sets et vont être déstabilisées s’il y a un changement, si le public n’est pas réceptif et que l’on doit rebondir. C’est hyper important d’être à l’aise avec les tracks dans sa clé, pour moi un DJ doit savoir s’adapter à toutes possibilités. Sans s’éloigner de ce que l’on fait ou dénaturer son style. C’est un challenge et je me fais confiance. 

Cela fait combien de temps que tu mixes ? Tu as appris toute seule ?

Pas très longtemps, presque quatre années. J’ai toujours voulu depuis très longtemps mais malheureusement, manque de temps, de moyens, de connaissances… C’est mon copain qui m’a aidé ; c’était important de pouvoir faire ça avec quelqu’un en qui j’ai confiance, sans jugement, pas au détour d’une soirée avec des gens autour et sans être à l’aise. J’avais vraiment besoin dans un cercle de confiance. 

Les choses étaient moins accueillantes pour les femmes il y a quelques années. Tu vois les choses changer ?

On sent que les programmations sont un peu plus équitables depuis le Covid ; cela a permis de faire jouer de plus en plus de locaux. Il y a une évolution. 

Comment cela se passe à Lyon, mis à part Le Sucre qui fait figure d’exemple ? 

On a un réel manque de lieux ici, déjà. Tout dépend des organisateurs et des propositions, il y a quelques femmes… Je pense à des univers notamment à la drum’n’bass où il n’y a pas beaucoup de femmes, malheureusement. Je ne sors pas énormément, les propositions ne me plaisent pas beaucoup. Je suis très UK et cette scène est très peu représentée en France et à Lyon notamment. Mais il y a des choses qui se font ! Cela reste une musique de niche, ce ne sont pas des sonorités que le public a l’habitude d’entendre aussi. Quand je sors de mes sets, des gens me demandent ce que c’était comme musique, je suis toujours impressionnée. On me dit que c’est beaucoup trop énervé (rires)

Comment tu es tombé là-dedans, dans la scène UK ?

(elle réfléchit quelques instants) Je pense qu’il y a un lien avec la musique des jeux vidéos – mine de rien, il y a beaucoup de drum’n’bass, de jungle… On n’y prête pas forcément attention d’ailleurs. Je suis une très grande fan de Ryuichi Sakamoto, je me suis beaucoup intéressée à la musique des films du Studio Ghibli aussi. J’ai fait le pont comme ça. C’est difficile d’expliquer les choses que l’on aime, mais j’adore mixer des musiques rapides. Je me suis jamais trop retrouvé dans la techno ou dans la house – très difficile en France de ne pas se sentir dans les deux camps. La jungle ou le speed garage ont été la bonne alternative. Et puis toute l’histoire de la musique électronique en Angleterre m’intéresse beaucoup. 

Tu parlais tout à l’heure d’inviter des artistes UK sur une possible émission, tu as des artistes en tête ?

Oui ! Déjà, mon producteur préféré du moment, Samurai Breaks. Il y a sorti des EPs sur Hooversound, le label de Sherelle et Naina. Mon rêve serait de mixer avec Tim Reaper – je suis ultrafan ! Aussi, un producteur avec qui je parle beaucoup, We Rob Rave. Il fait vraiment la musique que je rêverai de composer. Je lui en parle souvent, je trouve que c’est un génie – pas très connu. Je joue toujours 4-5 tracks de lui dans mes sets. J’espère pouvoir le rencontrer un jour. 

Est-ce que tout ça te donne envie de composer ou produire quelque chose ?

Ça tombe bien parce que je sors mon premier morceau le 10 juin, sur le troisième volume de QSS (Quarantine Sonic Sound), monté par Tim Karbon de Polaar, label de Flore. Cela fait un moment que j’ai débuté mais il me manquait du temps et de l’apprentissage. Je ne me sentais pas de sortir un EP tout de suite, j’avais besoin de sortir d’abord un track et de voir comment ça allait se passer, comment ça allait plaire. De sortir un titre avec des gens que je connais, c’est rassurant. Un track comme d’habitude : jungle, drum’n’bass, happy hardcore. (rires)

photo : Gaëtan Clément