C’est l’un des disques les plus troublants de cet automne qui l’est encore plus : Hotel Nota troisième album de Roméo Poirier, est une bulle de douceur dans une mer tranquille. Un voyage ambient, sub-aquatique et langoureux dans une riviera rêvée que nous détaille son auteur.
Roméo Poirier est un musicien qui travaille avec l’eau, dans sa musique et son quotidien. Il joue avec, recrée sa texture et les sonorités que l’on associe au liquide dans ses compositions et ses albums. Il plonge parfois sa musique dedans, y écoute son écho dans ce monde du silence et ré-enregistre le tout. Il y a passé beaucoup de temps aussi, du moins à l’observer : il a été maître-nageur. L’eau est partout, dans et autour de Roméo Poirier.
Originaire de Strasbourg, basé à Bruxelles, il a sorti des disques sur Kit Records, bastion anglais d’une pop DIY et inclassable. C’est sur Sferic, autre structure anglaise, qu’il délivre son troisième long format sous son vrai nom. Car avant Hotel Nota, il y a eu plusieurs projets, plusieurs disques. Un duo avec Sarah Dinkel sous le doux nom de Roméo et Sarah, un alias Swim Platførm avec lequel il délivra deux disques à la croisée de la pop expérimentale et ce qui donnera Hotel Nota, le disque qui nous intéresse et nous intrigue aujourd’hui. Soit une musique ambient, légère sans être naïve, qui nous emporte vers des rives douces, ouatées, accueillantes. Du field recording croise le fer avec des nappes synthétiques, des cliquetis proche d’un ASMR marin nous chatouillent les oreilles tandis qu’une lame de fond beatless finit de nous convaincre que l’écoute prolongée de « Thalassocratie », « Longe-Côté » ou « Le Bémastiste » a des vertus apaisantes.
Hotel Nota est un parcours imaginaire autour d’une baie qui l’est tout autant, où hôtel, plage, thalasso, rocher et palmier s’entrechoquent dans un bain léthargique de soleil et de réverbérations. Là où son précédent long format Plage Arrière se découpait en plusieurs étapes, celui-ci est dans « le lieu ». « C’est une musique du topos » nous explique-t-il. « Hotel Nota se joue plutôt dans la recherche d’une intensité immobile. » Comme une flottaison estivale, les bras en croix, le corps porté et doucement trimballé par la mer, aux rythmes des vagues et du léger ressac. Ou bien un rocher propice à une sieste en plein soleil, comme nous le suggère Roméo lui-même sur la pochette du disque. Dans les deux cas, l’eau est à portée de main sur un littoral qui l’a toujours, de son aveu, fasciné. « C’est depuis toujours le point de départ de ma musique, le littoral comme territoire sans cesse redessiné par le mouvement des eaux et des vivants. »
De l’eau dans sa musique, Roméo Poirier a commencé à en mettre à la découverte d’un pionnier de la pratique, Michel Redolfi, qui alla jusqu’à composer des pièces et les présenter dans des concerts subaquatiques. « Ayant été moi-même maitre-nageur, cela a été une étape pour moi, de tester à mon tour un système de diffusion subaquatique. » Un test raconté chez nos confrères de Sourdoreille où le musicien joue dans une piscine, pour un public à l’air libre ou sous l’eau et où donc le son, porté par des ondes à des fréquences différentes, ne se propage pas de la même façon. Pourquoi donc l’eau, comme terrain de jeu ? « Histoire de changer de résonance, d’abandonner l’air », détaille Roméo. Mais aussi pour fabriquer « une musique spécialement conçue pour être diffusée sous l’eau », à l’image des oeuvres opératiques de Redolfi. Un exercice que l’on image complexe et peu documenté. « C’est finalement très contraignant techniquement », nous confirme-t-il. « Par contre pour Hotel Nota, il m’est arrivé de faire passer certains sons sous l’eau. J’ai rempli ma baignoire, immergé un speaker puis enregistré avec un hydrophone. Une captation sous l’eau mélangée avec une captation classique fabrique quelques fois de belles perspectives. »
Une hybridation de ses propres sons, de ses propres compositions pour créer un matériau non-pas neuf mais inédit, inconnu, qui est présent dans son processus de création. Il nous explique qu’il « ne cesse de (se) sampler. Je fais un morceau puis j’en isole une partie, avec une panoplie d’outils de processing, je cherche un accident qui va créer un mouvement répétitif qui sera la base d’un morceau. Puis j’y ajoute des fréquences basses, de la trompette, etc. Si je ne suis pas convaincu, je répète ce processus avec ce que je viens de faire. » Un processus fastidieux mais qui, à bien écouter, saute à nos oreilles comme une évidence : hypnotique, cyclique, des titres comme « Pénombre », « Du rocher » ou « Sablage » sonnent comme autant de collages et de superpositions. Une infinité de notes, de plages synthétiques, de bruitages et d’arpegio qui, pour arriver à un stade définitif, doit demander un immense travail de synthèse, voir de coupes. « Derrière un morceau, il y a une quantité de morceaux qui ont servi à le façonner » nous confie le musicien. Qui peut parfois être aidé dans cette tache. « J’ai travaillé pour la première fois avec le label Sferic, de Manchester. Avec Will Boyd, le patron du label, nous avons beaucoup échangé pour la construction de l’album, il a été d’une grande aide musicale. »
« Cet album est conçu comme un territoire musical tout en textures qui se sédimentent en une temporalité intime. » Textures, sédiments : Roméo Poirier utilise des formes solides, palpables, dures même, pour décrire sa musique, comme pour désigner fermement ce qui reste d’intangible, d’impalpable. Une musique qui brasse les émotions et les genres (il cite Jon Hassel, Charles Mingus et Miles Davis quand on lui demande ses influences), même si l’exercice qu’est Hotel Nota reste contenu dans un seul, celui de l’ambient. Une musique « comme un lieu, vers lequel on ne cesse de revenir et dont on ne cesse de repartir, dans une répétition hypnotique qui agit comme un rééquilibrage constant du territoire et de soi-même. »
Une musique qui « a l’air de résonner d’une manière particulière. Un repress est prévu pour bientôt » nous souffle le musicien. Nous ne sommes donc pas les seul.e.s à avoir besoin de cette bulle de douceur et d’évasion marine.
Roméo Poirier, Hotel Nota
Sferic
le repress est disponible à la pré-commande via Sferic ou Boomkat