Vermont

L’agitation devait être palpable la semaine dernière au 15 Werderstrasse à Cologne dans les locaux de l’illustre label Kompakt après l’arrivée lundi 17 Mars du projet duo de Marcus Worgull et Danilo Plessow ( Motor City Drum Ensemble ) “Vermont” et de leur premier album au titre éponyme. 

L’institution allemande fondée par Michael Mayer, Wolfgang Voigt et Jurgen Paape il y a de cela 15 ans se démarque aujourd’hui de l’uniformisation du genre, véhiculée trop couramment par les gros labels  de la scène électronique via un éclectisme indéniable. De la techno au rock, la diversité de Kompakt lui donne aujourd’hui un statut particulier, diversité maîtrisée de plus à la perfection. Là où certains auraient pu basculer dans l’incohérence y a éclos une unité car le fil conducteur est bien visible. Refusant une EDM calibrée pour le dancefloor, le label préfère pencher pour une démarche plus créatrice. Kompakt semblait donc être la maison adaptée à l’ovni ambient de Danilo Plessow et Marcus Worgull : assez conséquente pour promouvoir au mieux le projet de deux artistes aussi reconnus et ayant l’ouverture d’esprit nécessaire pour l’accueillir.

Vermont c’est d’abord l’étrange association de deux producteurs que tout oppose…a priori. D’un côté Marcus Worgull, pensionnaire du célèbre label “Innervisions”, artiste à la deep house sombre et atmosphérique ; de l’autre, Danilo Plessow plus connu sous son nom de scène Motor City Drum Ensemble, producteur versatile penchant néanmoins pour une house qui doit beaucoup à la musique afro-américaine des années 80/90. Mais alors où est le liant me direz-vous ? Ce n’est qu’une supposition mais il ne serait pas insensé d’évoquer des causes géographiques. En effet, les deux artistes sont actuellement établis à Cologne où le premier possède un magasin de vinyls, le second son propre studio. Je ne pourrais donc m’empêcher, en romantique, d’imaginer le projet d’une collaboration conçue entre deux achats de disques, les deux hommes réalisant soudain partager un amour commun pour la new age et la “musique planante” du début des années 70 dont l’album est profondément emprunt.

L’annonce d’un projet aussi conséquent avait forcément fait jaser et nous étions nombreux à nous impatienter de la sortie du LP. Il faut dire que Kompakt nous avait habilement mis en bouche en rendant publique quelques semaines avant l’un des 14 morceaux de l’album intitulé “Majestät“, fenêtre ouverte sur l’atmosphère de Vermont.

A l’écoute de cette somptueuse composition, il n’y avait plus de doutes quant à la qualité de l’album, il ne restait plus qu’à l’écouter.

Vermont est sans doute l’un des meilleurs LP de ce début d’année. Une ode ambient contemplative, d’une splendide pureté ; une oeuvre mentale maîtrisée et accomplie. L’album est entièrement composé à partir de “jam sessions” réalisées dans le studio de Danilo Plessow à l’aide d’une armada de synthétiseurs analogiques.

Les références sont ici bien visibles. L’album nous offre un voyage à travers les prémices du genre électronique, une expédition au coeur des années 1970 où la course au progrès et la conquête de l’espace, caractéristiques de ces années de guerre froide, avaient développé dans les mentalités une mystification de la chose futuriste, de la dimension cosmique. Ainsi, parallèlement au développement du cinéma de science-fiction, de la littérature d’anticipation, émergea un courant musical emprunt des considérations du temps. L’album a des saveurs résolument new age, une matière héritée des débuts de Tangerine Dream ou de Klaus Schultze dont la musique à la densité spatiale avait entraîné à l’époque un engouement populaire considérable. Danilo Plessow et Marcus Worgull ajoutent à ces emprunts une touche plus moderne, des sonorités techno et deep house pour éviter une indigestion probable. Le mélange est parfaitement réussi et nous pouvons dès lors nous laisser aller à l’invitation transcendantale de Vermont.

Comme la plupart des oeuvres ambient, l’album est d’une homogénéité presque absolue et il serait absurde d’effectuer ici une analyse de chaque morceau. Il serait impossible de détacher une partie du tout d’autant plus que sa composition issue de séquences d’improvisations ne prête absolument pas à le faire. Vermont est une oeuvre unie et unique et elle est à concevoir dans son entièreté. Cela étant dit, On ne pourrait que trop vous conseiller de prêter une écoute attentive à SharavDroixhe, Macchina et bien évidemment le somptueux Majestät.

En conclusion, on pourrait souligner que l’oeuvre a une dimension picturale et cinématographique particulièrement prononcée. L’artwork de l’album représentant probablement le sommet d’une montagne du Vermont – si l’on se fie au nom du duo et de l’album – est d’ailleurs particulièrement bien choisi. Le Vermont, est un état sauvage et escarpé du Nord-Est des Etats-Unis dont les couleurs automnales orangées sont uniques au monde, une enclave naturelle non loin des métropoles de Detroit et de Chicago et donc du berceau de la musique électronique contemporaine. C’est finalement ce que semblent peindre ici Danilo Plessow et Marcus Worgull, un paysage sauvage et cosmique pourtant hérité de la modernisation et du progrès technique.

L’album entier est à écouter sur Kompakt FM.

Note globale : 4/5