Sorti il y a quelques jours, Faux Signal, la deuxième release du jeune label parisien Disques Flegon, est un EP composé de 5 titres de Greita. Après quelques tracks sur la première sortie du label, un Various où il signe encore Greta, David, de son prénom, offre une première vraie introduction à son univers et ses influences. Faux signal ou pas ?

Fan de jazz fusion, mais aussi de Versatile, d’Apron ou encore d’A.O.R. (le son west coast californien à la Ned Doheny), Greita est un omnivore. Comme beaucoup, il est le produit — mais aussi l’un des producteurs — d’une certaine configuration de la scène actuelle qui laisse beaucoup de place à l’expression d’un éclectisme très valorisé. L’heure semble au syncrétisme et c’est un peu ce que représente cet EP. Celui-ci combine deux atouts : excellente combinaison d’influences et grosse dynamique, il sonne actuel tout en étant le produit d’une histoire bien digérée. Ce n’est pas un hasard si David est grand amateur du label de Funkineven connu pour ses tracks puissants, pas forcément  toujours innovants rythmiquement mais bien plus au niveau des sonorités. De la sorte, il semble avoir intériorisé l’une des contraintes de la scène actuelle tout en l’adaptant à son jeu de références personnelles.

Comme sur la première sortie du label, on retrouve cette même précision au mixage : en un mot, le son est beau. A l’inverse des tendances lo-fi des dernières années, le jeune parisien accorde une haute importance à cette étape, déformation professionnelle oblige. Il finit actuellement ses études d’ingénieur du son, associant ainsi une vaste culture musicale à un savoir qu’il n’hésitera pas à partager si vous le croisez, lui ou DJ Stalingrad, plutôt branché électronique et dont on vous avait déjà parlé ici. C’est un peu l’un des atouts du label : Disques Flegon concentre des savoir-faire combinés à des personnalités musicales déjà bien affirmées. David joue la quasi-totalité des instruments sur l’EP lorsqu’il n’enregistre pas ses propres samples de batterie ou percussions.

Savoir faire, savoir entendre, savoir jouer… Cette maîtrise opère une certaine translation, important l’esthétique de la musique électronique vers le champ plus large et parfois plus strict des musiques enregistrées (avec toutes les techniques que cela recouvre). Cela revient à faire se rencontrer des univers aux caractéristiques sonores différentes : le son est mixé comme un morceau studio, et pas comme celui d’un bedroom producer. Il reste calibré pour le club en ce qui concerne les tracks dancefloor de l’EP que l’on pourrait qualifier d’énervés – c’est en tout cas le terme qu’utilise David.

Enervé comme ce solo de batterie par lequel débute le premier morceau « Plastic Salon », réalisé à partir de samples entrecroisés et recomposés. Les nappes de synthés atmosphériques et les leads font penser à des éléments de la techno et de l’electro made in Détroit alors que la rythmique fait plutôt penser à celle d’un morceau de broken beat. L’arrangement est intéressant, il y a du volume, de l’espace et les influences se mixent bien. Par rapport à un morceau de broken beat, le son est plus « fat ». Aussi, David garde une certaine retenue sur la section rythmique par rapport aux productions londoniennes, mais c’est au service d’une efficacité accrue — mention spéciale pour le break à la fin du morceau. C’est donc un premier morceau convaincant où, déjà, on retrouve un peu de l’esprit Château Flight, un peu énervé, un peu jazz, un peu breaké… Disques Flegon, c’est un peu comme si Versatile avait rendez-vous avec Apron, même s’il est encore un peu tôt pour totalement affirmer ça. En tout cas, il y a une french touch indéniable sur laquelle on est prêt à parier.

Ce côté breaké, c’est aussi un produit du jazz fusion/jazz rock que David apprécie beaucoup et auquel il rend un certain hommage sur le deuxième titre, « Paris Cedex » : on a l’impression d’écouter un mélange entre une production house à la Guidance super léchée et un morceau plus jazz à la Kyoto Jazz Massive, le tout… « énervé ». Ce n’est pas notre morceau préféré, mais c’est un morceau bien produit où Greita nous montre qu’il sait aussi bien jouer de la guitare.

Avec « Les Sous-Titres Indiens », l’EP change d’atmosphère et prend de l’altitude. Greita y dévoile un morceau instrumental avec un vrai batteur (Virgil Daum) sur une de ses compositions originales. C’est funky, breaké et en même temps beau comme un morceau de librairie française. Plus qu’un interlude, c’est l’un des meilleurs tracks de l’EP. Si les projets sont encore flous pour la suite, l’intéressé nous assure vouloir de plus en plus travailler de la sorte, c’est-à-dire quitter l’espace solitaire du studio pour passer plus de temps à composer et travailler en équipe.

On espère quand même qu’il continuera à programmer des patterns sur boîtes à rythmes comme sur le morceau « Hokkaido » que l’on vous propose d’écouter en exclusivité sur Phonographe Corp. Boogie interstellaire à la Star Creature, David y affiche une maîtrise des codes qu’il mélange tout en montrant sa dextérité au clavier. Seul reproche, le morceau est un poil trop complexe. Il n’en reste pas moins un OVNI et l’une des productions les plus intéressantes de l’EP.

Le dernier morceau « Est/Ouest » est l’un des meilleurs morceaux de l’EP. Mélodie ambient sur lequel David fait pleurer les synthés, c’est une réussite tant dans la composition que dans la production et, à la fin, on se sent tout fragile. C’est épique sans être cheap : c’est un beau dernier morceau.

On garde des 5 titres une véritable sensation de maîtrise, celle-ci d’autant plus intrigante que Greita n’est âgé que de 21 ans. Il montre avec cet EP qu’il a bien compris où il allait et d’où il venait. C’est, de notre point de vue, l’un des sorties les plus intéressantes de l‘année. Du coup, vrai signal et non pas faux signal : la négation semble plus être là à titre de défi personnel. N’était-ce qu’un échauffement ?