Kaitlyn Aurelia Smith sort son troisième album chez Western Vinyl. Intitulé EARS, le successeur d’Euclid, sorti l’an dernier, nous emmène encore plus loin dans son exploration sonore de la synthèse modulaire. Tombé dedans lorsqu’un voisin lui prête un Buchla Music Easel il y a quelques années, elle a depuis fait bien du chemin. L’américaine nous prouve encore une fois sa maîtrise musicale et sonore, au travers de 8 morceaux empruntant tant à la musique minimaliste de Terry Riley qu’au jazz ou à la musique folk. EARS semble être autant un hommage à ce qui l’a construit musicalement qu’un tour de force, où elle exprime pleinement ses talents pour l’arrangement, la composition et la synthèse.

L’album s’ouvre sur “First Flight” une envolée de 4 minutes où on peut entendre la voix de la modulariste se fondre dans des nappes et arpèges synthétiques aux harmonies complexes. Les ambiances éthérées et cosmiques donnent le ton de l’album. Il y a un côté très pastoral tout au long de EARS, où les orchestrations plus traditionnelles se mêlent à ses synthétiseurs modulaires dans un effort qui tient parfois de la parodie new age. Mais Kaitlyn maîtrise son art et, à l’image de morceaux comme “Envelop” ou “Existence in The Unfurling” l’arrangement et les harmonies parviennent à donner à l’auditeur une certaine sensation de  plénitude dans un épique mélange de sonorités acoustiques et électroniques de haute volé. Il y a en effet une apparente simplicité, rendant le tout très accessible. La productrice utilise également beaucoup sa propre voix, triturée, modifiée, la mêlant parfaitement au reste qui donne souvent un côté pop aliéné rappelant les sorties de Warp des dernières années. Un des moments les plus forts de EARS est sans doute le morceau “When I try I’m Full” où des séquences de Buchla créent des arpèges qui semblent évoluer d’eux-même dans le temps, suivi par un arrangement vocal déstructuré tentant de suivre les envolées mélodiques du modulaire. “Arthropoda” nous emporte également dans un voyage où s’entrechoquent sons concrets, arpèges et voix pour un résultat éthéré et flottant, qui témoigne de la précision et du talent de Kaitlyn Aurelia Smith pour la production.

L’esthétique sonore et musicale globale  du disque invoque sans nulle doute les grandes figures féminines de l’expérimentation telle que Suzanne Ciani ou Laurie Spiegel. Il semble y avoir là une volonté de s’inscrire dans cette tradition, tout en jouant d’un côté pop ésotérique pouvant parfois évoquer Bjork. Car si les textures et les arrangements sont complexes, ce qui prime ici est la richesse mélodique et le songwriting. C’est en cette combinaison astucieuse que réside finalement l’intérêt de ce disque, qui est sans doute le plus abouti de la productrice à ce jour. On notera également ce penchant un peu trop appuyé pour les atmosphères et sonorités new age un brin désuets, révélant un côté néo hippy un peu agaçant mais non moins dénué d’un certain charme.