Gerd Janson

Inspiré d’un terme spécifique en football américain qui signifie “reculer pour aller de l’avant”, le label du producteur allemand Gerd Janson propulse depuis 2002 la house et la disco dans l’espace en ayant bâti un édifice à l’esthétique particulière fait de passion, de talent et d’authenticité. Gros plan sur l’un des fleurons de la production musicale contemporaine allemande.

Direction Darmstadt, une petite agglomération de l’Ouest allemand, dans la région de l’Hesse. C’est dans cette métropole éloignée des grands centres économiques et culturels teutons que Gerd Janson et son compère Thorsten Scheu, plus connu sous le nom de Glance, mirent au monde, en 2002 et dans l’anonymat général, une progéniture du nom de Running Back. À l’origine, et comme souvent dans ces projets de mélomanes, où prime avant tout un amour commun pour une certaine esthétique sonore, le but était de produire le cercle restreint des proches et des artistes du coin sans aucune visée commerciale à proprement parler. Après une première sortie de Second Life, un des nombreux alias de Thorsten Scheu, deux autres suivirent entre 2002 et 2006 et donnèrent à Running Back une certaine notoriété chez un îlot de connaisseurs férus de deep underground. Force est de constater que malgré une légère renommée acquise lors de ces premières années, la productivité du label, avec seulement trois sorties sur plus de quatre ans d’existence, laissait entrevoir anguille sous roche. Peut-être faut-il attribuer ceci à des considérations purement financières, cependant, l’éclatement de la gestion bicéphale du label en 2006 laissait plutôt présager d’une mésentente entre ses deux fondateurs.

Ayant en effet pris des horizons musicaux différents, il semblerait que la séparation était inévitable et en 2006, Thorsten Scheu se retire pour laisser les reines de la monture au seul Gerd Janson. Dès lors, le label va prendre une toute autre dimension et s’émanciper des anciennes querelles artistiques, pour enfin s’épanouir  Dans cette mesure, il serait donc hardi de faire une distinction entre Gerd Janson et Running Back et bien que le principal intéressé s’en défende fermement, le label ne saurait être autre chose que le reflet de son créateur, la cristallisation de ses penchants musicaux.

Gerd Janson, qui comme beaucoup de jeunes ouest-allemands de sa génération embrassa la culture de la techno à travers les célèbres fêtes du Milk Club à Mannheim, n’était pourtant pas de ceux qui se délectaient de jungle et autre musique “hardcore”, préférant attendre patiemment les premières heures du jour lorsque retentissaient les sonorités house ou disco qui le transportaient réellement. De cet authentique amour pour un pan de la culture musicale outre-Atlantique, il s’est bâti une identité, un moteur, qui en plus de conduire Running Back à bon port, permet à Gerd Janson de multiplier les activités dans le milieu de la musique électronique qualitative. DJ, gérant de label, journaliste musical pour les magazines allemands Spex et Groove et enfin membre actif de la Red Bull Music Academy, il fait preuve d’un dynamisme qui ne saurait trahir sa volonté intarissable de transmettre un amour viscéral de la musique.

Thorsten Scheu, lorsqu’il s’écarta du projet en 2006, avait donc ouvert les vannes aux flots déchaînés de la passion de Gerd Janson, qui pouvait alors laisser échapper librement ses premiers amours. Cependant, ayant bien compris que  Running Back signifiait revenir en arrière, mais bien pour aller de l’avant, son objectif n’était pas de faire du neuf avec du vieux. Le climat ambiant n’était pas à la nostalgie sirupeuse mais bien à des desseins innovants et originaux. Dans ce cadre-là, le label a su se forger un style bien à lui et s’établir sur une dimension nouvelle.

En effet, Gerd Janson, à travers son écurie, s’est attaché à faire la synthèse de plusieurs univers qui lui étaient chers et à les entremêler avec justesse et précision. Si la disco représente à n’en pas douter l’essence originelle du label, il en reste que son tronc commun accueille de nombreuses autres branches. La part belle est en effet faite à une musique plus aérienne, lyrique et futuriste. Certains de ses fers de lance comme Lauer avec son EP Tentatious, le Romain Marco Passarani et son Colliding Stars Pt.2 ou bien encore les releases de Todd Osborn en sont de parfaits exemples. Largement germanophile, Running Back s’est aussi développé en puisant dans la production musicale de son pays, en particulier dans le krautrock et le mouvement “futuriste”, mais aussi dans une techno minimale plus contemporaine. Il s’inscrit dans cette génération dorée de la musique électronique allemande post 90’s dans laquelle on retrouve des labels comme Innervisions ou Kompakt  mais aussi des structures comme le mythique Live At Robert Johnson. Enfin, il ne faut pas négliger un penchant non dissimulé pour le dancefloor et le caractère inévitablement dansant des productions. Gerd Janson ne s’en cache pas, la dimension “club” du label est pour lui une priorité. The Voice From Planet Love de Precious System, ou le Sex Trax EP de Radio Slave qui furent deux succès massifs ne sauraient être taillés autrement que pour faire vibrer les boules à facettes.

Toutes ces attaches découlent finalement sur un genre particulier, un son nu-disco lyrique et racé qui propulsera le label sur le devant de la scène internationale à la fin des années 2000. Gerd Janson, par son humilité, son érudition et son hyperactivité, ont permis à faire de Running Back une institution majeure de la scène underground allemande, avec une ligne artistique accessible mais exigeante. Il faut aussi lui reconnaître une certaine habileté pour dénicher de jeunes talents car le label a vu éclore bon nombre d’artistes aujourd’hui reconnus et qui contribuèrent largement à son succès. Tensnake, Jacob Korn, Mark E, pour ne citer qu’eux, furent prématurément dans les petits papiers de Gerd Janson qui leur offrit un support pour révéler leur talent au grand jour. Parallèlement, on pourra aussi noter les signatures de plusieurs gros poissons venant aiguiser le potentiel racoleur de la maison. Ainsi Theo Parrish, Mr G, Robert Dietz, Smallpeople et bien évidemment Prins Thomas représentent le véritable “Hollywood Boulevard” de Darmstadt.

Si Gerd Janson aime confier qu’il est un piètre business man, il aura au moins réussi à fonder, à partir d’une base locale, très restreinte, une structure à dimension internationale qui se démarque évidemment par son poids sur la scène électronique actuelle, mais aussi et surtout par sa consistance louée tant par les connaisseurs que par un public moins averti. Un modèle de gestion pour un label en bonne santé qui se rapproche doucement de la centième sortie après laquelle Gerd Janson avait confié qu’il arrêterait peut-être à la gestion de Running Back…